Pour la circonstance, Bertrand Delanoë, maire de Paris, était accompagné du maire du 14e arrondissement, Pascal Cherki, et de Mokhtar Trifi, président de la Ligue tunisienne des droits de l’Homme. Mais pas seulement. Six cars de CRS s’étaient joints à la cérémonie.
La nouvelle place Mohamed Bouazizi est située au bord du parc Montsouris, à l’angle de l’avenue Reille et de l’avenue Sibelle. Pour l’occasion chaque entrée du parc s’était donc vue dotée d’un substantiel dispositif policier. Les habitants du quartier pouvaient ainsi passer les grilles d’entrée sous le regard bienveillant de cinq ou six grands gaillards en armure républicaine. Mais tout le monde n’était pas le bienvenu.
Un petit groupe de jeunes migrants tunisiens sort du RER, s’approche de l’entrée et se voit interdire l’accès au parc. Le passants eux entrent et sortent sans que l’on se préoccupe de leurs allées-venues.
Ces Tunisiens voulant se rendre à la commémoration de leur compatriote ont donc été forcés par la police française d’attendre plus de deux heures devant les grilles du parc, le temps que le maire et ses invités finissent leurs discours. Un peu de chahut provoqué par leur immobilisation fera passer le temps sous le regard impavide des représentants de l’ordre.
La rue qui mène à la place est totalement bloquée dans les deux sens par des barrières : les CRS surveillent les quelques rares personnes qui demandent à passer le dispositif, carton d’invitation, carte de presse, vérifications… c’est une organisation de la sécurité digne d’un G8 qui attend ceux qui veulent se rendre à la commémoration-inauguration.
En un instant les représentants de la force publique s’en vont, il est de nouveau possible pour les migrants tunisiens de se rendre dans le parc. Sur la nouvelle place Mohamed Bouazzizi, sa mère est restée : elle accepte de répondre à une question, quel message aimerait-elle passer aux Tunisiens, en Tunisie comme en France :
S’il est important pour la mairie de Paris de rendre hommage à un mort, les vivants, eux n’ont pas l’air d’être les bienvenus. L’existence des migrants tunisiens gène. Une épine dans le pied des politiques. Lorsqu’un membre de l’équipe municipale se voit demander des comptes sur l’abandon des migrants délogés du 36, rue Botzaris, celui-ci tente désespérément de justifier l’action ou l’inaction de la mairie. Et le malaise est sensible :
Depuis leur arrivée en France, les migrants tunisiens subissent «une maltraitance institutionnelle», comme l’a nommée le directeur de France Terre D’Asile, joint au téléphone il y a quelques jours. 300 d’entre eux ont été pris en charge par des associations, mais des centaines d’autres survivent dans Paris, entre arrestations arbitraires (pour être relâchés sous quelques heures), errance et recherche d’aide de première nécessité. Le double jeu de Bertrand Delanoë est vivement dénoncé par des mouvements franco-tunisiens, comme celui du Front du 14 janvier :
Le gouvernement nie l’existence des migrants à la rue, la mairie de Paris estime avoir fait son possible, l’ambassade tunisienne ne répond pas. Et les migrants sont condamnés à voir de loin la France honorer leur propre héros mort pour la révolution tunisienne.
Bertrand Delanoë a été interpellé hier à ce sujet :
Les migrants et leurs soutiens espèrent que les discours de solidarité seront suivis d’actes concrets. Sans trop, désormais, se bercer d’illusions.
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Pascal Hérard : son/texte
Dragan Lekic : photos