Ils reprochent aux policiers d’avoir des fichiers sur les gens, ils font pareil. Ils reprochent aux policiers de faire justice eux-mêmes, ils font pareil.
La déclaration du syndicat Unité SGP Police résume bien les réactions provoquées par la publication, samedi, de l’article d’OWNI au sujet de l’existence du site Copwatch, premier site français dédié à la surveillance citoyenne des forces de l’ordre. Les identités, les photos et les fonctions de policiers de trois métropoles (Lille, Calais et Paris) s’y trouvent accessibles, parfois assorties de commentaires.
Quelques heures à peine après sa publication, le syndicat policier Alliance émettait une “alerte sécurité” sur Facebook enjoignant tous ses membres à veiller à la confidentialité des informations partagées sur les réseaux sociaux. Copwatch, en effet, publie plusieurs captures d’écrans Facebook (certaines datant de plusieurs mois) de policiers et affirme avoir suivi de près leurs activités à travers un passage au peigne fin de profils personnels, de groupes Facebook et de forums professionnels. Un tract du syndicat sur Copwatch a d’ailleurs été diffusé dans la journée de mercredi.
Contacté par OWNI, Denis Jacob le secrétaire général du syndicat, par ailleurs fiché sur Copwatch, juge que les administrateurs du site agitent inutilement le drapeau rouge :
Nous [les syndicats, N.D.L.R.] n’avons jamais couvert une quelconque bavure des forces de police et nous n’en protégerons jamais. S’il y a des faits avérés nous les sanctionnerons.
Même son de cloche du côté de Unité SGP Police: le copwatching n’est pas le bienvenu, le système judiciaire se suffit à lui-même.
Certains pensent que ce sont des intentions nobles que de surveiller les policiers. Pas nous. Si ces gens ont subi des violences policières, ils n’ont qu’à aller porter plainte. La justice est là pour prendre les plaintes et décider de l’acquittement ou non du policier concerné.
Mercredi en fin d’après-midi, le ministère de l’Intérieur nous confiait que l’administration déposait deux plaintes contre le site: l’une pour diffamation envers un agent des forces de l’ordre “particulièrement ciblé”, l’autre pour diffamation publique envers la puissance publique. Le porte-parole confie “ne pas savoir du tout qui est derrière le site”:
L’idée n’est pas de le faire fermer car il peut aller trouver un hébergeur ailleurs. Nous voulons essayer d’empêcher des propos diffamatoires comme nous l’avons fait en décembre dernier.
Quelques minutes auparavant, Paul, le porte-parole de Copwatch, nous assurait pourtant:
On a tout fait pour éviter l’attaque en diffamation, on n’a mis en ligne que ce qu’on a observé. Après, à chacun son interprétation…
Interrogé sur le ton du site, il se justifiait en évoquant la possibilité de toucher les collectifs anti-répression:
Non le ton n’est pas violent. Forcément, que l’on soit anarchiste ou socialiste, on ne le perçoit pas de la même manière. Après c’est vrai que l’expression “charnier de l’évolution” [utilisée pour désigner la police dans le communiqué de lancement, N.D.L.R.], on en a débattu entre les “copains”. Par contre le terme “fosse commune de l’humanité”, on était tous d’accord. Parce qu’on le pense.
Policiers, nous vous identifierons tous un-à-un,
Que votre impunité trouve une fin…
Le lancement en France, ces jours-ci, du premier site consacré à la surveillance des policiers promet de réveiller de vieilles querelles entre groupes libertaires et syndicats de policiers. Ces derniers ne devraient pas apprécier Copwatch Nord-IDF, un site inspiré par un mouvement né en 1990 aux États-Unis encourageant les citoyens à surveiller et à photographier les policiers. L’initiative française, liée au réseau des plates-formes alternatives Indymedia, se veut une première base de données consacrée aux policiers d’intervention. Des galons des gradés aux équipements des brigades en passant par la localisation des unités de CRS, c’est un véritable flicage en ligne des forces de l’ordre.
Le mouvement copwatching avait provoqué ses premiers remous en France en décembre dernier. La même plate-forme collaborative Indymedia Paris avait à l’époque publié des dizaines de clichés de policiers en civil, écouteur à l’oreille. “Ils sont dangereux, mettons-les en danger. L’insécurité doit gagner leur camp” proclamaient alors les quelques lignes accompagnant les photographies. Réaction fulgurante, outragée, des syndicats policiers, Alliance en tête, dénonçant “une prolifération de sites et autres blogs anti-flics”. Saisi, le ministère de l’Intérieur avait alors porté plainte contre le site et obtenu le retrait du billet polémique.
“Nous avions promis, nous avons tenu parole...” clament en guise d’exergue les concepteurs du site dans l’article sur Indymedia Lille annonçant leur retour. Ils publient les listes de fonctionnaires de police de trois métropoles: Paris, Lille et Calais. Toute la hiérarchie y passe. Des têtes des grands syndicats policiers jusqu’au portfolio détaillé d’une brigade d’intervention de terrain. Si la plupart des entrées ne sont que des agrandissements flous, fortement pixelisés, certaines comportent en revanche de véritables notices. Un policier d’intervention lillois est ainsi désigné comme étant “le plus violent” de la compagnie et réputé pour “taper dans les cellules de garde à vue”. De tel autre brigadier parisien, il est indiqué qu’il est “un stratège du guet-apens et de la chasse aux pauvres” et qu’il “n’hésite pas à faire tabasser des personnes”. Faciès toujours à l’appui. Si l’objectif (empêcher les exactions policières) semble louable, le ton est néanmoins assez simpliste comme le montre cette analyse sémantique du site que nous avons réalisée.
Le porte-parole de Copwatch, se présentant à OWNI sous le pseudonyme de Paul, explique sa démarche. Chaque métropole (Lille, Calais, Paris) dispose d’un groupe autonome. Ce qui les unit? “La répression de la police nationale”. “On veut détruire tout ce que la police dit pour donner une belle image d’elle” explique Paul. Impossible de savoir combien de personnes se trouvent derrière le site, tout au plus saura-t-on qu’ils sont une dizaine de militants à Lille. En préparation depuis plusieurs mois, Paul assure que la base de données a fait l’objet d’un méticuleux recoupement:
Nous ne diffusons aucune photo dont nous ne sommes pas certain de la fiabilité. Dans une ville comme Lille, par exemple, nous faisons ça depuis plusieurs années. Nous sommes allés filmer sur le terrain, avons fait des filatures à la sortie des commissariats et épluché les procès-verbaux des “copains” passés en garde-à-vue. Nous avons également décortiqué tous les reportages télés sur des brigades d’interventions diffusés lors de ces six derniers mois et avons enregistré les visages. Nous avons également créé des faux groupes Facebook pour récupérer des identités. Nous sommes devenus amis sur Facebook avec de nombreux policiers et pouvons ainsi voir toute leur vie, leurs amis.
Ces militants français s’autoproclament pourfendeurs des “liens intimes” entre la police du Nord et l’extrême-droite, quelques captures d’écran Facebook à l’appui:
Quand vous voyez que deux policiers vont donner des cours d’auto-défense à la Maison Flamande [une association identitaire de Lille, NDLR.], ça en dit long…
Dans un avis de recommandation de 2005, cité à juste titre par Copwatch, la Commission nationale de déontologie de la sécurité pointait l’absence de jurisprudence sur la question et précisait que le droit à l’image ne s’applique pas aux policiers dans l’exercice de leur fonction. Une loi ultérieure interdit toutefois la publication de noms de membres de certains corps des forces de l’ordre et les membres des services de renseignement.
Mais en publiant ces listes de noms et de visages, leur activité soulève des problèmes juridiques touchant au respect de la vie privée et au droit à l’image. L’agrandissement individuel de la photo de chaque fonctionnaire de police ainsi que l’indication de son nom, son grade et, parfois, de sa possible adhésion à une orientation politique joue sur un vide juridique. Contactée par OWNI, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) rappelle :
Les photographies que vous décrivez sont légales si les personnes qui y figurent ont pu s’y opposer ou en ont été informées. Ce qui est peu probable.
Aux yeux des promoteurs du site, en revanche, les captures d’écrans Facebook, par exemple, ne seraient pas illégales dans le sens où la totalité de la page web a été capturée et non la seule photo personnelle. De plus, les informations sur les profils seraient considérées comme publiques, ayant été mises en ligne de plein gré.
En cas de contentieux, les responsables du site pourraient se prévaloir de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme en matière de liberté d’expression. D’après la CNIL, leurs services de contrôle ne pourraient intervenir qu’à la suite d’une décision de justice :
Nous pouvons agir sur un site internet dont une partie du traitement se fait en France ou sur le territoire européen par le jeu de la coopération internationale. Dans le cas où le traitement se ferait de dehors de l’Europe, l’intervention pourrait être perturbée par le système du droit applicable.
Malgré une URL achetée en France, le site est basé chez l’hébergeur militant Rise Up, aux États-Unis. Essayer de le faire fermer relèverait donc de la gageure pour la justice française. Le collectif semble plutôt confiant :
La seule manière d’interdire le site serait de passer une loi qui interdit de filmer les policiers dans l’exercice de leurs fonctions. Et seules les dictatures passent des lois comme ça.