OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Occupy Wall Street refleurit http://owni.fr/2012/03/24/occupy-wall-street-refleurit/ http://owni.fr/2012/03/24/occupy-wall-street-refleurit/#comments Sat, 24 Mar 2012 13:40:21 +0000 Arnaud Contreras http://owni.fr/?p=103294 OWNI vous invite à retrouver, aux États-Unis, le mouvement Occupy Wall Street qui vient d'achever d'hiberner. Reportage plein de sève d'Arnaud Contreras qui a suivi les préparatifs des principales figures d'Occupy. ]]>

Barricade et hashtag © Arnaud Contreras

We sow seeds in the Fall… They blossom in the Spring in « The Declaration of The Occupation of New York »

Un peu moins présent cet hiver sur la scène médiatique depuis son éviction de Zuccotti Park en novembre 2011, le mouvement Occupy Wall Street n’a cessé pendant l’hiver d’accroître sa présence en ligne, de s’organiser, de préparer des actions en espérant peser sur la campagne électorale américaine et permettre à la population de débattre de thèmes que certains disent « endormis » par les autorités.

Depuis quelques jours, Occupy Wall Street organise de grandes manifestations, en avance sur son propre calendrier qui prévoit des événements avec les syndicats américains au mois de mai. Immersion pour l’Atelier des Médias de RFI et OWNI, pendant dix jours à New York auprès de figures phares du mouvement. Témoignages, images et sons captés à quelques jours de ce Printemps…

Margot Wellington, 80 ans, me regarde avec la tendresse d’une grand-mère. Ce soir, le Seaport Museum, pour fêter sa réouverture après de longs travaux, a choisi de présenter une exposition collective sur Occupy Wall Street. Première fois qu’un établissement officiel affiche son soutien à l’esprit de réforme qui souffle sur la ville. La grande bourgeoisie New Yorkaise, les 1%, trinque avec des employés, et personnels de services, hipsters militants, étudiants, syndicalistes, les 99%. Chacun discute devant les clichés réalisés aussi bien par des membres de la prestigieuse agence VII que par des photographes émergents ou amateurs et des passants ayant capturé quelques Instagram lors des événements de l’automne dernier.

Manifestation ©Arnaud Contreras

La vieille dame m’a abordé alors que je parlais du film Beat « Pull my Daisy » de Robert Frank, avec une des organisatrices arborant un badge YES, référence à peine voilée au YES WE CAN d’OBAMA. “Je retrouve enfin l’esprit beat que j’ai connu dans les années 50″ me dit Margot. “Chez les Occupy, il y a aussi des beats, mais pas que”, reprend –elle. “Sache qu’il n’y a pas une porte vers Occupy, il y en a 1000.”

Depuis début octobre, cette nuit passée à suivre à Paris les livestreams de l’occupation de Brooklyn Bridge, l’arrestation de 700 manifestants, j’ai tenté d’identifier par quelle « porte » entrer. Sur Twitter, les hashtags les plus présents après #OccupyWallStreet et #ows étaient « UsDayofRage et #usdor.

Sur leurs sites et pages Facebook, ce groupe revendique la réforme du système de financement des campagnes électorales, des élections nationales et fédérales, l’abolition du statut de “personne physique” pour les entreprises.

Alexa O'Brien en février à New-York par Arnaud Contras ©

Alexa O’Brien, fondatrice du mouvement Days of Rage m’accueille dans son petit appartement du Queens, après qu’elle m’eût posé par mail, téléphone, direct message sur Twitter, de multiples questions. Je me retrouve face à une trentenaire hypra active, souriante mais ponctuant ses propos de référence à de nombreuses peurs, intimidations du FBI envers des militants proches d’Occupy Wall Street :“Je ne sais plus qui est qui, qui joue quel jeu, pour qui. Il faut que tu comprennes qu‘un de mes collègues de travail m’a dit qu’on lui posait des questions sur moi.”

Dès le mois de mars 2011, Alexa se sent concernée par ce qu’elle voit, suit “intimement, sur Twitter”, les événements en Tunisie et en Égypte, est exaspérée par “le blocage complet de l’engagement citoyen dans l’espace public”. Elle est choquée par la puissance accrue des grandes entreprises et décide de créer Days of Rage.

Cela a été une décision impulsive, je ne m’attendais pas à ce que cela décolle avec une telle force. Nous avons eu 1000 followers en une semaine. Nous avons alors compris que nous avions une responsabilité, de créer un espace pour que les Américains puissent s’engager de manière authentique.

En juin, le magazine Adbusters lance un appel à des manifestations pacifiques sur les mêmes revendications, rejoint en juillet par le collectif Anonymous.

En juillet, US Day of Rage a soutenu l’appel à occuper Wall Street. A ce moment-là, nous avions déjà gagné de la confiance et de la crédibilité sur Twitter à travers des campagnes de sensibilisation. Nous avions mis en ligne des discussions et des formations autour de la non-violence et de la désobéissance civile. Nous avions créé une plateforme évolutive en ligne. Et bien entendu, nous avons contribué concrètement à l’organisation de cinq manifestations aux États-Unis le 17 septembre 2011 et nous avons contribué en ligne à 19 autres manifestations le même jour dans le monde.

Etudiant et Anonymous ©Arnaud Contreras

Le slogan “1 citoyen, 1 dollar, 1 vote” que diffuse US Day of Rage sur les réseaux sociaux est repris par des journaux tels The Nation ou The Guardian, deux titres qui ont choisi de couvrir les actions sans aucun répit depuis septembre 2011. Malgré une veille de 4 mois, des lectures diverses, je me suis trompé sur les personnes que je m’attendais à rencontrer. Alexa n’est pas une militante alter-mondialiste, drapeau “Free Tibet” au mur, graines de soja et tofu dans la cuisine. Après avoir travaillé pour les Nations Unies, des sociétés du NYCE, c’est une workaholic, plus expresso que thé vert, qui me reçoit. Elle ne veut pas que son engagement ait une quelconque couleur politique, revendique le sérieux de ses amis, refuse l’image de “hippies ou de gauchistes” que les “mass media cherchent à [leur] coller. Nous n’avons pas une opinion sur la droite ou la gauche, ce n’est pas pertinent”, reprend-elle.

Dans la société américaine, il y a quelque chose qui se nomme l’espace civique, public, cela n’appartient pas aux démocrates, cela n’appartient pas à la droite. Cela appartient aux Américains. Je sais qu’US Day of Rage soutient l’idée d’un gouvernement transparent et nous soutenons des sites de lanceurs d’alerte, comme WikiLeaks.

Anonymous à dreadlocks, par Arnaud Contreras ©

Au fil des mois, Alexa s’est en effet rapprochée de WikiLeaks, et contribue activement au site WLCentral, un collectif qui analyse chaque parole, chaque texte publié sur Julian Assange et son équipe. Ils démontent de manière rigoureuse la moindre rumeur concernant ce dernier. Les yeux d’Alexa s’assombrissent à l’évocation de Bradley Manning, son dossier prioritaire aujourd’hui. Sillonnant les États-Unis dans le WikileaksTruck, elle tente d’assister à chaque audience du pré procès, et de live-tweeter des éléments qui pourront être analysés par d’autres membres de WLCentral, partout dans le monde.

Quand je quitte Alexa, elle écrit en rafale plusieurs tweets me recommandant auprès de différentes personnes, et me met en garde avec sourire, sur le fait que maintenant,“je suis aussi dans le viseur”. “Tout le monde se regarde, s’observe ici”, me dit-elle.

Regardez le secteur de la sécurité et du renseignement aux États-Unis, qui ont explosé. Le nombre de personnes américaines qui sont classifiées. Ils ont mis toutes leurs techniques, dans tous les aspects de la société, Internet, la presse, l’espace civique. Ils ont créé des politiques qui sont des politiques de bureaucrates, mais qui affectent la société dans son ensemble.

Dans l’après-midi,  le compte Twitter d’Occupy Wall Street annonce une manifestation à Manhattan, en soutien aux Occupy d’Oakland, qui auraient été sévèrement réprimés la veille par les forces de police. Aucun écho sur les sites des grands titres. Je découvre en ligne des vidéos de guérilla urbaine. Une rangée de manifestants qui se protègent derrière des boucliers de fortune, fumigènes, explosions assourdissantes et lacrymos. À 19h00, je rate le départ des Occupy et rencontre deux jeunes femmes qui tentent de les localiser en suivant des fils sur Twitter.  À marche forcée, nous rejoignons 300-400 personnes bloquées sur les trottoirs. Le convoi est encadré par des dizaines de policiers, interdisant toute incursion sur la voie publique. Slogans classiques des 99 %, chants zapatistes, tous âges et classes vestimentaires mélangés.

À chaque croisement de rue, certains, le visage caché sous des masques Anonymous, nous encouragent à en profiter pour faire une incursion au milieu de la circulation. Une femme d’une cinquantaine d’années déborde un groupe de policier, brandit une pancarte “NY – Oakland- Occupy everywhere”. Les forces de l’ordre courent vers elle. Elle revient sur le trottoir se fondre dans la foule.

Quelques minutes plus tard, voix portées imitant une sirène. Une dizaine de policiers fonce sur les trottoirs, met à terre un militant et exfiltre en moins d’une minute, sous une nuée de téléphones portables, tablettes et ordinateurs portables qui filment la scène, captent les “Shame on you”.
Un jeu de cache-cache s’installe. À chaque croisement, nous ne savons pas si nous allons tourner à droite ou à gauche. Marche, course, marche, course pendant trois heures dans Manhattan, sans que je puisse déceler un but précis.

Un groupe de personnes hèle des policiers : “You’re also the 99%”.

Arrestation ©Arnaud Contreras

Nous nous arrêtons devant un bâtiment qui servait de centre social et de lieu d’habitation pour des migrants sud-américains. Expulsé il y a quelques semaines, l’immeuble va être réhabilité en logements de luxe. Un photo-montage présente sur la façade un chasseur en livrée qui ouvre la porte à un jeune couple modèle. Un policier demande s’il ne reste plus aucun journaliste sur le trottoir. Et de fait, les journalistes ne sont pas dans la manifestation. Ils sont de l’autre côté du cordon d’uniformes bleus.

Un militant d’Occupy Our Homes, la branche “Droit au logement” d’Occupy, escalade les palissades installées par le promoteur. Immédiatement une vingtaine de NYPD l’attrapent violemment, ainsi que quelques jeunes trop remuants. Jamais vu une telle agressivité dans les gestes, hormis dans certaines manifestations au Mali. Les Occupy tapent sur les palissades, hurlent.

Une bouteille en verre vient se briser au milieu de la rue. Les NYPD font de nouvelles incursions sur les trottoirs. Les caméras des télévisions filment de loin.

Tim Pool en action, février 2012, par Arnaud Contreras ©

Tim Pool, un live-streamer saisit chaque action, en commentant d’une voix calme les événements, tournant vers lui son iPhone. Dès le mois de septembre dernier, il est en tête des manifestations. Pas forcément militant, mais “journaliste citoyen”. Ses chaînes sur les différentes plateformes de stream sont les plus regardées, son nom est régulièrement cité par CNN lors des évènements. Je suis ses live-tweets depuis des mois. Nous convenons d’un rendez-vous le lendemain.

La manifestation s’achève dans un petit square, deux blocs plus loin. Un groupe pose à terre ses sacs à dos et tentes, lance l’idée d’une occupation du lieu. On s’est fait virer de Zuccotti Park en novembre, mais ce qu’on ne voit pas, c’est qu’il y a toujours plus de 50 occupations dans tout le pays, qui elles, n’ont pas été délogées”, me dit l’un d’entre eux.

Dans la nuit, je remonte la timeline de la soirée. Peu de temps après notre discussion, Tim Pool s’est fait agresser. Quelqu’un lui a arraché des mains son téléphone alors qu’il filmait. C’est la première fois dans l’histoire d’Occupy qu’un live streamer est pris à partie par un manifestant. Blogs et discussions reprennent la chronologie de l’incident, accusent les black blocks qui se cachent derrière leurs capuches et foulards. On parle d’une frange anarchiste dans Occupy, de provocateurs payés par Michael Bloomberg, le maire de New York.

Tentative de nouveau campement © Arnaud Contreras

Le lendemain matin, certains journaux relatent les faits… Depuis le trottoir d’en face. Quand il m’accueille chez lui, dans South Brooklyn, Tim Pool est tendu. Il vient de publier un “statement”, un communiqué. Le journaliste citoyen de 26 ans parle avec assurance, me montre son matériel léger de tournage, au milieu d’un capharnaüm de vieux PC et Mac première génération. Il vit dans cette maison délabrée d’un quartier populaire, en collocation avec quelques autres “gens d’images” qui suivent le mouvement, et un couple de sexagénaire. C’est ici qu’il a construit et testé “The Occucopter”,  un drone artisanal qui lui permet de filmer les manifestations, d’identifier les membres de NYPD qui agiraient avec trop de violence.

Tim porte un regard très critique envers les journalistes des mass media :

Ils font généralement une des choses suivantes en fonction de leur manière de voir la politique. Soit ils attendent la fin d’une manifestation pour commencer à filmer. Un moment où évidemment il reste très peu de monde. Vous pouvez voir les tout derniers manifestants et le commentaire c’est : “Regardez, il n’y avait personne”.  Et il y a l’opposé. Ceux qui attendent le pic de participation pour filmer et dire : “Regardez, il y avait 10000 personnes…” En fait dans les deux cas, ils fabriquent la réalité en fonction de leur sensibilité politique. Dans mon idée, la transparence, cela veut dire que les gens ont le droit de savoir ce qui se passe. Ce qui a lieu en public affecte le public. Il n’y a pas à tergiverser, on doit raconter ce qui s’est passé, point.

Livestreaming ©Arnaud Contreras

Dans les commentaires, deux reproches sont faits à Tim. Le premier concerne sa manière –assez agaçante- d’entrecouper ses commentaires de “vous pouvez me suivre sur le compte @Timcast”, et d’appels aux dons pour qu’il puisse poursuivre son travail. Le second met en débat son goût affiché pour une transparence totale, quitte à mettre en danger, montrer aux autorités qui suivent son stream, des militants qui commettraient des actes illégaux.

Par exemple l’autre dimanche où quelques manifestants balançaient des bouteilles et des canettes sur la police. On m’a personnellement demandé de ne pas filmer cela, de dévier ma caméra. On m’a dit exactement qu’il fallait “qu’Occupy Wall Street ait une bonne apparence” et je ne suis pas d’accord avec ça. C’est vrai que c’est important pour eux de décrier ce type d’agissements violents. Mon seul boulot à moi c’est de montrer au monde ce qui se passe. Si des manifestants balancent des bouteilles, si la police frappe des manifestants, c’est ça que je dois montrer.

Dicey Troop pendant une Assemblée Générale, à New-York en février 2012 par Arnaud Contreras ©

Ce débat dépasse la seule personnalité de Tim Pool. Occupy commence à se poser des questions sur cette transparence. Dicey Troop, la personne qui est derrière le compte officiel de l’assemblée générale d’Occupy Wall Street me donne rendez-vous … À Wall Street. Dans le hall d’entrée d’un grand immeuble de bureau, une cinquantaine de personnes assiste à la General Assembly[Assemblée générale] quotidienne, pendant que d’autres viennent bénéficier de la soupe populaire que distribue un groupe d’Occupy. Ici on ne vote pas, on approuve ou désapprouve par consensus, en utilisant les mêmes codes que les indignados espagnols. Langage de signes que retranscrit en direct Dicey sur Twitter, assis à côté des orateurs, pianotant à toute vitesse sur un clavier relié à un iPhone.

Je pense que le sujet important est la relation entre les manifestants, leurs messages, et la société. Et tu sais à New York, la police répond avec beaucoup de violence et de force pour tenter de taire ce que l’on dit et de supprimer notre organisation. Je pense qu’il y a vraiment deux approches sur ce qu’est ce travail : est-ce montrer ce qui se passe et témoigner du contexte qui engendre des conflits entre les manifestants et des structures de pouvoirs ? Ou bien est-ce trouver les choses les plus scandaleuses qui se déroulent en mettant la lumière sur la police ou les manifestants ? Je suis absolument pour la transparence, mais il y a aussi un droit à la vie privée, qui est parfois en conflit avec la transparence. Il y a des moments où les gens ont des conversations compliquées, dans des espaces privés. Tu sais, on ne ferme presque jamais les portes, et parfois les gens ont besoin de se sentir en sécurité, qu’on n’écoute pas ce qu’ils disent. On demande parfois à des gens qui livestream pour un certain public de quitter la pièce, et même les photographes, et d’autres journalistes, mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de transparence.

L’accès pour tous à l’information est l’autre chantier sur lequel travaillent tous les sympathisants d’Occupy Wall Street. Certes il y a quelques poètes, musiciens, écrivains et artistes qui foisonnent d’idées, organisent des free speech comme ceux que l’on peut retrouver dans les images d’archives du mouvement hippie, mais Occupy s’est dès le début organisé. Oui, Occupy est une idée, mais ce sont aussi des centaines de structures, de comités dans tous les domaines, pour toutes les professions. Chaque jour à heure fixe, comme indiqué sur leur site, se réunissent des commissions qui débattent de thèmes très précis : réforme financière, électorale ; refondation des systèmes éducatifs et de santé. Même une commission sur la défense. Des experts, professeurs d’universités, membres des 1% diffusent leur savoir auprès des 99%.

99 cats, par Arnaud Contreras ©

L’une de ces commissions, Occupy with Art est en résidence pendant deux mois dans les locaux du blog Hyper Allergic. Ils m’invitent à l’une de leurs réunions où l’on débat de manière calme sur le rôle des marchés financiers et du blanchiment d’argent dans le marché de l’art. Un jeune commissaire d’exposition lance un “The revolution will be curated”, repris en cœur par l’assemblée.

Je rencontre Alexandre, Zef et Katy devant une table où un groupe est en plein brainstorming pour inventer de nouveaux slogans. La priorité des trois amis, qui se sont rencontrés alors qu’ils évitaient les jets de gaz au poivre d’un membre de NYPD, à la fin d’un sit-in, est de rendre accessible l’information par des jeux. Ensemble ils ont fondé le collectif Revolutionary Games.

Selon Alexandre Carvalho, “Revolutionary Games” est un collectif consacré à Occupy Wall Street qui crée des jeux en ligne, mais aussi des jeux de rue.

Nous avons commencé à beaucoup citer un écrivain Hollandais qui s’appelle Huizinga, son livre s’appelle Homo Ludens. Il explique comment les jeux et le fait de jouer précèdent la culture. Avant de devenir des êtres humains, avant d’être conscients, nous jouions, nous avions ce type d’interactions. C’est un texte important pour nous. Pour relier jeu et guérilla, et insurrection, nous avons lu L’insurrection qui vient, par le Comité invisible, et Introduction à la guerre civile.

Depuis quelques jours, bien que de nombreuses références aient été faites aux indignados, ici on se définit comme « Occupy », pas comme « indignés ». Je n’ai rencontré personne qui connaisse Stéphane Hessel. En revanche, c’est la seconde fois que l’on me cite L’insurrection qui vient, et que l’on me pose des questions sur Tarnac, l’influence de Julien Coupat sur la jeunesse française.

anarchy ©Arnaud Contreras

Alexandre comme Zef se définissent comme anarchistes. Ce dernier a créé le concept d’Anarchive, sur le principe que chaque personne qui assiste à un événement d’Occupy doit collecter sa propre mémoire, sa propre expérience et la communiquer au plus grand nombre. Il est fermement contre l’idée d’une centralisation des archives, films, documents qui concernent Occupy, “le meilleur moyen pour que notre histoire soit manipulée, selon lui.

Je termine la soirée avec eux dans un pavillon où l’un de leurs amis live streamer diffuse “America” de Ginsberg. Long silence en écoutant le poème beat. Ils me présentent leurs actions à venir de “Novads”, leur prochain tour des États-Unis pour faire jouer la population américaine au dernier jeu qu’ils ont inventé : Memee, contraction de “Remember Me + Memory me + Meme”. Une forme de discussion orientée, ludique, avec la puissance d’un mème.

Alexandre est médecin épidémiologiste. Toutes les connaissances acquises dans le champs médical lui servent aujourd’hui dans ses actions virales en ligne.

Le jeu, jouer et l’art, ces choses sont des moyens d’éviter l’opposition directe, et aussi de faire réfléchir les gens. Ça les fait réfléchir à protester d’une autre manière, à considérer la révolution d’une manière différente.
Ici, nous essayons de révolutionner la révolution.


Photographies par Arnaud Contreras © tous droits réservés. #FYI pour les geek de la photo : Leica M7 (argentique) /-)
Arnaud Contreras est documentariste et producteur à France Culture. Il aime travailler au long cours sur des communautés, cultures et contrecultures. A paraître “Sahara Rocks !” aux éditions Bec en L’air sur la société saharienne actuelle et ses musiciens.
Une publication croisée avec l’Atelier des médias – RFI. Une émission enregistrée par Ziad Maalouf et Simon Decreuze.
Edition par Ophelia Noor pour Owni /-)

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Comprendre la révolution espagnole http://owni.fr/2011/05/21/comprendre-la-revolution-espagnole/ http://owni.fr/2011/05/21/comprendre-la-revolution-espagnole/#comments Sat, 21 May 2011 10:54:06 +0000 Enrique Dans http://owni.fr/?p=63791

[tous les liens de ce billet sont en espagnol, sauf mention contraire]

Enrique Dans est professeur des systèmes de l’information à la IE Business School et blogueur reconnu en Espagne. Il s’intéresse notamment aux effets des nouvelles technologies sur les populations et les entreprises. Dans ce billet publié sur son blog le 18 mai, il explique en sept points les causes de ce soulèvement.

Vous entendez toutes sortes de bêtises sur les mobilisations à Sol et dans de nombreuses villes d’Espagne : des théories conspirationistes absurdes [émission de radio] de ceux qui voient des ombres derrière toutes choses, jusqu’à la simplification grossière de ceux qui mettent l’étiquette “anti-système” alors même qu’ils ont la réponse sous les yeux. Ou encore la stupidité de de ceux qui prétendent être d’accord avec les manifestants [pdf], alors que ceux-ci protestent précisément contre eux, ce qu’ils ont fait et contre ceux qu’ils représentent.

Je suis totalement d’accord avec Periodismo Humano : quelque chose de grand est en train de se passer ici. Le rejet des théories conspirationnistes stupides est absolu et radical, l’interprétation est claire et convaincante : les gens descendent dans la rue parce qu’ils réclament un changement. Un changement sur le fond dans la manière de faire de la politique et d’exercer la démocratie.

Analyser les demandes des uns et des autres est un exercice vain : parmi les gens que je vois manifester dans la rue, très peu soutiendraient explicitement ces demandes. Beaucoup arrêtent de les lire parce qu’elles n’en valent tout simplement pas la peine : les citoyens descendent dans la rue avec une contre-pétition, appelant à un changement radical, parce que les partis politiques et le système ne les représentent déjà plus. Ils en représentent d’autres.

En ce qui concerne les demandes concrètes… cela viendra plus tard, pour le moment, nous sommes dans un processus de changement. De quoi ? Il est trop tôt pour le savoir, et il possible d’espérer que, quel qu’il soit, ce changement soit pacifique, ordonné et civilisé. Je suis entièrement d’accord avec le billet d’Antonio Ortiz à cet égard.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Voici les clefs du mouvement que nous sommes en train de vivre :

L’origine, le déclenchement

C’est le moment où les trois grands partis, PSOE, PP et CiU, forment un pacte pour faire passer la ley Sinde , en contradiction flagrante avec la volonté d’une grande majorité de citoyens, pour faire plaisir à un lobby. Attention, ceci n’est que le début, le détonateur : à l’heure actuelle, cela n’a déjà plus d’intérêt ou de pertinence dans les manifestations. Mais en voyant l’acharnement pathétique à “faire passer cette loi à tout prix” alors que l’ensemble du réseau s’était soulevé contre elle, le relayer en direct a eu le même effet – avec tout le respect dû aux tunisiens et en demandant pardon d’avance pour la comparaison tragique – que le suicide de Mohammed Bouazizi s’immolant en Tunisie. De l’activisme contre la ley Sinde est né le mouvement #nolesvotes (ne votez pas pour eux), en plus de la cristallisation d’un climat de mécontentement évident contre toute une manière de faire de la politique.

Les motifs réels

Les véritables raisons sont, et cela n’a échappé à personne, des sujets tels que la gestion de la crise économique, la corruption, le chômage (en particulier le taux de  plus de 40% de chômage pour les jeunes) et surtout, la désaffection envers une classe politique, identifiée comme l’un des problèmes majeur de la citoyenneté dans les enquêtes du CIS. Egalement, le désenchantement que l’on peut ressentir face à cette manière de faire de la politique qui fait de l’électeur un être sans importance, juste bon à déposer un bulletin dans une urne et qui, par cet acte, donne à un parti politique toute la légitimité de faire ce que bon lui chante pendant quatre ans. Un parti qui est devenu une grande entreprise inefficace et corrompue répondant aux intérêts des lobbies et pas à ceux des citoyens.

Place Sol à Madrid : Nous ne nous tairons pas ! La démocratie, maintenant !

Le témoignage est recueilli par d’autres associations

D’abord JuventudSinFuturo (Jeunesse sans futur) et ensuite DemocraciaRealYA (Une vraie démocratie maintenant !) ont été capables de s’organiser brillamment, avec civilité et pacifiquement pour transposer ce mouvement dans la rue. Ce fut l’épreuve du feu, le “moment de vérité” :  avant que les protestations ne prennent vie dans la rue, le réseau bouillonnait de dizaines de tweets par minute, de groupes Facebook et de posts de blogs, mais personne n’avait encore sauté le pas. Après les protestations, les gens se sont rendus compte qu’ils n’étaient pas les seuls à partager cet opinion, et que si l’organisation et l’action sont possibles, ils sont aussi une réalité concrète. C’est comme cela qu’est tombée la barrière que beaucoup se mettaient pour descendre dans la rue.

La décision de descendre dans la rue répond à un sentiment général

Et non pas à une revendication particulière comme une série de points d’un programme. Dans la rue, vous pouvez voir des personnes de tous les âges, opinions politiques, de toutes les conditions sociales. Des étudiants en chemises jaunes, des chômeurs, des punks, des retraités, des entrepreneurs, des enseignants … J’étais là, concrètement, et j’ai rencontré tous ces profils, un par un, et plus encore. Un qui salue une connaissance, et j’ai pu moi-même saluer plusieurs anciens élèves, des collègues, des gens que je connais qui ont créé des start-up, des cinéastes, des avocats, des journalistes … On trouve de tout. Littéralement tout.

Ne vous attendez pas à un accord sur les mesures à prendre, c’est impossible. Mais s’il y a une chose sur laquelle il existe bien un accord c’est la nécessité d’un CHANGEMENT. Et un retour en arrière n’est pas envisageable.

La démocratie, maintenant !

La simplification est mauvaise

Que les jeunes de gauche soient les plus susceptibles de descendre dans la rue ne veut rien dire, et prétendre inscrire ce soulèvement dans une idéologie ou un parti spécifique est tout simplement absurde. C’est normal et inévitable. Tenter de se placer devant les gens pour faire croire qu’ils vous suivent est encore plus pathétique : dans un mouvement aussi connecté, la personne qui tente de “diriger” en appliquant des techniques pastorales comme on le ferait pour un troupeau de bêtes se fait immédiatement régler son compte sur les réseaux sociaux.

En Égypte, il avait eu des moments où il semblait que les Frères musulmans monopolisaient la protestation, et d’autres qui montraient clairement la diversité et la pluralité au sein du mouvement. Ici il n’y a pas de leader, il y a des gens. Personne ne suit personne réellement, il ne s’agit même pas de savoir si c’est bien comme ça ou pas. Le désir de changement continue d’être présent, et c’est tout.

Attribuer ces manifestations à des mouvements organisés, à une stratégie concrète ou a des personnes spécifiques est une vieille interprétation, typique de ceux qui ne comprennent rien à ce qui se passe. Chercher à mieux organiser le mouvement, prétendre que des demandes concrètes sont en cours, demander un leadership plus clair et incarné ou chercher sous les pierres son origine alambiquée est absurde : cela ne peut pas être, et plus que tout, c’est impossible.

Et maintenant ? Maintenant nous voulons plus !

Une fois la mèche allumée, il est très difficile de l’éteindre. La manifestation du 15M (15 mai) à Madrid a rassemblé des dizaines de milliers de personnes ; un événement autorisé et organisé depuis des semaines. Cependant celui d’hier, le 17 mai à Sol, a été organisé en quelques heures, en utilisant uniquement Twitter et Facebook. La place de 10000 m2 fut presque entièrement remplie, jusqu’à la rendre impraticable.

L’exemple s’est également largement étendu à d’autres villes. Le contrôle de tous ces mouvements est tout bonnement impossible. Il faut absolument, et par tous les moyens, que tout se déroule de façon civilisée et pacifique, mais ne nous ne sommes pas sûrs d’éviter des mouvements incontrôlés d’une part ou des réactions excessives d’autre part.  L’ordre malheureux d’expulsion du camp de la place Sol dans la nuit de dimanche a déclenché le rassemblement de mardi après-midi, et ce phénomène pourrait se produire plus souvent.

L'avarice nique la liberté

Il est important de comprendre que nous avons passé une étape

Une étape vers un modèle que les partis politiques devront comprendre, de gré ou de force. Ils ne peuvent plus ignorer les citoyens et défendre d’autres intérêts. La politique ne peut pas continuer à être menée de cette manière là.

Nous ne sommes pas dans le cas de la Tunisie ou de l’Égypte : en Espagne il y a un gouvernement démocratiquement constitué et personne ne descend dans la rue pour le renverser, mais des changements importants sont nécessaires, des changements en profondeur et drastiques que les partis devront mettre en place maintenant.

Pour l’instant, les partis politiques sont en train de minimiser l’importance de cette question, et pensent : « ça va leur passer ». Mais nous ne sommes pas dans cette dynamique. Probablement l’ampleur du changement nécessaire est telle que nous devrons faire des modifications depuis le code électoral jusqu’à la Constitution elle-même. Mais si cela ne se fait pas, si des avancées dans ce sens ne se font pas sentir, le mouvement continuera, et a de fortes chances de s’étendre.

Si nous tenons jusqu’au dimanche 22 mai et que les élections nous ressortent le même scénario et toujours les mêmes messages, j’ai le sentiment que le mouvement va s’intensifier. Mais en qui concerne ces mouvements de société, personne n’en possède le contrôle ou le pouvoir de prédire ce qu’il en adviendra.
La seule certitude est que l’Espagne a déjà sa révolution.


Publié initialement sur le blog de Enrique Dans, sous le titre “Entiendo la #spanishrevolution”

Traduction : Ophelia Noor

Crédits photos :
via Flickr : Amayita [cc-by-nc-nd] ; Garcia Villaraco [cc-by-nc-sa] ; Brocco Lee [cc-by-sa]
via le wiki de #nolesvotes, logo sur fond noir nolesvotes


Retrouver notre dossier sur la démocratie réelle en Espagne :

La voix graphique de l’Espagne
Comprendre la révolution espagnole
Notre précédent dossier, du 21 mai 2011, sur la naissance du mouvement.

Tout les articles concernant l’Espagne sur Owni /-)

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http://owni.fr/2011/05/21/comprendre-la-revolution-espagnole/feed/ 41
Facebook et Twitter ne font pas les révolutions http://owni.fr/2011/03/08/morozov-facebook-et-twitter-ne-font-pas-les-revolutions/ http://owni.fr/2011/03/08/morozov-facebook-et-twitter-ne-font-pas-les-revolutions/#comments Tue, 08 Mar 2011 16:13:44 +0000 Evgeny Morozov http://owni.fr/?p=50321 Des tweets ont été envoyés. Des dictateurs ont été renversés. Internet = démocratie. CQFD.

Malheureusement, voici le niveau de nuance chez quelques figures notables qui pensent qu’Internet a joué un rôle dans les récents soulèvements au Moyen Orient.

Il était extrêmement amusant d’observer les cyber-utopistes (qui adhèrent à la vision selon laquelle les outils comme Facebook et Twitter peuvent construire des révolutions sociales) trébucher les uns sur les autres pour essayer de mettre un clou de plus dans le cercueil du cyber-réalisme. C’est la position que j’ai récemment avancée dans mon livre, The Net Delusion. J’y défends le point de vue selon lequel les outils numériques ne sont que de simples outils, et que les mutations sociales continuent d’impliquer des efforts laborieux sur le long terme par le jeu des institutions et des réformes.

Puisque les pom-pom girls d’Internet ne peuvent plus enterrer le cyber-réalisme, ni se soustraire à l’Histoire, elles doivent concevoir leur propre interprétation de la position cyber-réaliste, qu’elles assimilent au point de vue selon lequel Internet ne compte pas. C’est la caricature typique de la vision du monde du cyber-réaliste qui ne correspond pas à certaines parties de mon livre, pourtant très explicites. Voici juste une citation :

Internet est encore plus important et disruptif que [ses plus grands défenseurs] ne l’ont théorisé jsuqu’à présent.

Pas de leaders conventionnels

Prenez aussi les persécutions permanentes de Malcolm Gladwell, de plus en plus décrit comme une sorte de néo-luddite. Dans un chat en ligne sur le site du New Yorker peu de temps après son attaque provocatrice contre la “révolution Twitter” publiée en octobre dernier, Malcolm Gladwell a explicitement formulé, à trois reprises, qu’Internet pouvait être un outil efficace pour mener des changements politiques, si tant est qu’il soit utilisé par des organisations auto-organisées (à la différence d’individus isolés).

Ainsi, se contenter de montrer qu’Internet a été utilisé pour promouvoir et même organiser des manifestations au Moyen-Orient ne contre en rien cet argument. Pour réfuter cela, les cyber-utopistes auraient besoin de prouver qu’il n’y avait aucune coordination par des organisations d’activistes locaux – avec des leaders et des hiérarchies – qui ont tissé des liens resserrés (en ligne ou non) avant même les manifestations.

Ce que nous avons vu jusqu’à présent suggère que les choses se sont passées différemment. Il est vrai que les principaux organisateurs des mouvements égyptiens sur Facebook ne sont peut être pas des leaders révolutionnaires dans le sens conventionnel du terme (et comment le pouvaient-ils, étant donné les antécédents sinistres de l’ancien président Moubarak visant – avec le soutien de Washington – à disperser l’opposition ?). Malgré cela, ils ont exercé un leadership et ont agi stratégiquement  - y compris en allant jusqu’à se cacher quelques jours avant les manifestations  - exactement de la même manière dont s’y prendraient des unités révolutionnaires.

Rien de spontané

Les collaborations entre les cyber-activistes tunisiens et égyptiens – si largement célébrées dans la presse – n’étaient pas virtuelles non plus. L’espace d’une semaine, en mai 2009, je suis tombé sur deux ateliers au Caire (organisés indépendamment l’un de l’autre), où des blogueurs, des informaticiens, et des activistes des deux pays étaient présent en personne, se partageant des conseils sur la manière de s’engager pour éviter la censure. L’une des personnes présentes était le blogueur tunisien Slim Amamou, qui deviendra le ministre des sports et de la jeunesse en Tunisie. L’un de ces événements était financé par le gouvernement américain, et l’autre par l’Open Society Foundation de Georges Soros (à laquelle je suis affilié).

Il y a eu beaucoup d’autres événements comme ceux-ci – et pas seulement au Caire, mais aussi à Beyrouth et Dubai. La plupart d’entre eux ne furent pas publics car la sécurité des participants était en jeu – mais cela tend à démentir l’idée selon laquelle les manifestations récentes furent organisées par des gens au hasard faisant des choses au hasard sur internet. Ceux qui croient que ces réseaux étaient purement virtuels et spontanés ignorent l’histoire récente du cyber-activisme au Moyen-Orient  - pour ne rien dire du soutien qu’ils ont reçu, quelques fois avec succès, d’autres fois non, mais la plupart du temps en provenance de gouvernements occidentaux, fondations ou entreprises. Pour prendre un seul exemple, en septembre 2010, Google a convié une douzaine de blogueurs de la région pour une conférence sur la liberté d’expression que l’entreprise organisait à Budapest.

Retracer l’histoire de ces réseaux d’activistes nécessiterait plus qu’une simple étude de leur profil Facebook. Cela requiert un laborieux travail d’investigation – au téléphone et dans les archives – qui ne peut être fait du jour au lendemain. La raison pour laquelle nous n’arrêtons pas de parler du rôle de Twitter et de Facebook est la suivante: le contrecoup des révolutions au Moyen-Orient nous ont laissé si peu d’autres chose à raconter que l’analyse politique profonde des causes de ces révolutions seront absentes pendant les prochaines années.

Tout cela pointe la véritable raison pour laquelle tant de cyber-utopistes se sont fâchés avec Gladwell : dans un billet de blog complétant son article sur la présnce de manifestants place Tahrir, il osa suggérer que les griefs qui ont poussé les manifestants dans les rues méritaient bien plus d’attention que les outils qu’ils ont utilisé pour s’organiser. Cela revenait à cracher à la figure des digerati (l’élite d’Internet, ndlr) – voire même pire : sur leur iPad.

Et pourtant, Gadwell avait probablement raison : aujourd’hui, le rôle du télégraphe dans la révolution bolchévique de 1917 – de même que le rôle des cassettes enregistrables lors de la révlution irannienne ou que le fax dans les révolutions de 1989 – n’intéresse personne en dehors une poignée d’universitaires. Le fétichisme technologique est à son apogée immédiatement après la révoluion, mais tend à disparaître peu après. Dans son best-seller The Magic Lantern, l’un des observateurs les plus fins des révolutions de 1989, Timothy Garton Ash, affirma qu’ “en Europe de la fin du XXeme siècle, toutes les révolutions sont des télérévolutions”. Mais rétrospectivement, le rôle de la télévision dans ces événements semble plutôt anecdotique.

Sentiment de culpabilité

Est-ce que l’Histoire reléguera Twitter et Facebook aux oubliettes 20 ans plus tard ? Selon toute probabilité, oui. L’engouement actuel pour les changement politiques menés par les technologies est voué à se calmer pour un certain nombre de raisons. Premièrement, alors que les récents soulèvements peuvent sembler spontanés aux yeux des observateurs occidentaux – et donc aussi magiquement inattendus que des “flashmobs” (mobilisation éclair, ndlr) à San Fransisco à l’heure de pointe – la véritable histoire des changements de régimes par le peuple ont tendance à diminuer le rôle communément donné aux technologies.

En insistant sur le rôle libérateur des outils, et en minimisant le rôle des organisations humaines, ces prétextes rendent les américains fiers de leur propre contribution aux événements du Moyen Orient. Après tout, puisqu’une telle révolution n’aurait pas pu avoir lieu sans Facebook, alors la Silicon Valley mérite en grande partie d’être créditée pour sa contribution. Si le soulèvement n’était pas spontané et que ses leaders n’avaient pas choisi Facebook car tout le monde y est, l’Histoire deviendrait tout à coup moins glamour.

Deuxièmement, les médias sociaux – par la grande vertu d’être “sociaux” – se prêtent eux mêmes à des estimations désinvoltes, soit-disant expertes de leur propre importance. En 1989, l’industrie du fax n’avait pas utilisé une armée de lobbyistes et les utilisateurs du fax n’ont pas ressenti un tel attachement à ces maladroites machines, semblable à celui qui anime certains par rapport à leur tout-puissant réseau social.

Peut-être que les revendications démesurément révolutionnaires des médias sociaux qui circulent actuellement en Occident ne sont que des manifestations du sentiment de culpabilité de l’Occident de passer autant de temps sur les médias sociaux : après tout, si cela aide à répandre la démocratie au Moyen Orient, cela ne peut pas être si mauvais que de passer des heures à “poker” ses amis ou à jouer à Farmville. Mais l’Histoire récente des technologies suggère fortement que l’engouement pour Facebook et Twitter va faner au fur et à mesure que l’audience migrera vers de nouveaux services. Déjà, des technophiles rougissent au souvenir de la sérieuse conférence accadémique qui fut une fois consacrée à la révolution Myspace.

Enfin, les personnes qui nous servent de sources directes d’informations sur les manifestations peuvent simplement être trop excitées pour pouvoir proposer un point de vue nuancé. Se pourrait-il que le directeur des ventes de Google, Wael Ghonim – probablement le premier révolutionnaire diplomé d’un MBA, qui a émergé comme personnalité publique de la révolution égyptienne et s’apprête à publier un livre sur la “révolution 2.0”, ait exagéré le rôle de la technologie tout en diminuant son propre rôle de leader dans le mouvement ? Après tout, on ne connait pas de dissident soviétique qui ne croit pas que le fax ait renversé le Politburo, ou un ancien employé de Radio Free Europe ou Voice of America qui ne pense pas que les ondes occidentales  aient provoqué la chute du mur de Berlin.

Cela ne veut pas dire que ces dispositifs de communication n’ont pas joué un rôle dans les soulèvements des dix dernières années, mais il ne faut pas oublier que les personnes directement impliquées peuvent ne pas avoir l’appréciation la plus juste de la manière dont les événements se sont déroulés. S’ils ne veulent pas se condamner eux-mêmes à des pénibles discussions de bistrot avec les grisonnants et irréductibles grincheux des heures de gloire du fax ou des purs croyants de Radio Free Europe, alors les cyber-utopistes d’aujourd’hui doivent se déconnecter de Facebook et travailler un peu plus dur.

Traduction: Stanislas Jourdan.

Cet article a initialement été publié sur le Guardian

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Crédits photo: Flickr CC Ahmad Hammoud, cjb22, _dChris

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http://owni.fr/2011/03/08/morozov-facebook-et-twitter-ne-font-pas-les-revolutions/feed/ 13
Comment une poignée de geeks a défié l’URSS http://owni.fr/2011/02/02/comment-une-poignee-de-geeks-a-defie-l%e2%80%99urss/ http://owni.fr/2011/02/02/comment-une-poignee-de-geeks-a-defie-l%e2%80%99urss/#comments Wed, 02 Feb 2011 16:42:32 +0000 Olivier Tesquet http://owni.fr/?p=45029 URSS, 19 août 1991: huit apparatchiks exerçant de hautes fonctions au sein de l’Union soviétique profitent des vacances de Mikhaïl Gorbatchev dans sa datcha de Crimée pour tenter de prendre le pouvoir par la force. Hostile aux réformes, ce “Gang of Eight” de communistes orthodoxes (qui se fait appeler comité d’Etat pour l’état d’urgence) veut enrayer la perestroïka et la perte de contrôle des pays satellites. Alors qu’il visait à sauver les apparences d’une Union nécrosée, ce putsch raté précipita sa chute.

Mais il existe un aspect méconnu de cet épisode historique déjà largement documenté. Pendant les deux jours du coup d’Etat, tandis que Boris Elstine haranguait la foule juché sur un tank, pendant que la communauté internationale s’offusquait, tous les médias russes étaient mis en coupe réglée, soumis au blackout. Tous les canaux étaient fermés, sauf un: Usenet, cet aïeul des chatrooms capable de survivre sans l’assistance d’Internet. Pendant 48 heures, quelques dizaines d’individus ont alimenté ce petit tuyau, dernier moyen de communication vers l’extérieur.

Échange d’informations avec Helsinki

Comment réussir un tel tour de force? A cette époque, Relcom (pour Reliable Communications, “communications fiables”, NDLR) est un petit réseau indépendant fonctionnant sans les subsides de l’Etat. Ses clients fournissent leur propre modem et payent une cotisation de 20.000 roubles (sur un principe qui n’est pas sans rappeler le projet d’OpenLeaks). En tout, il connecte près de 400 organisations dans plus de 70 villes soviétiques, et utilisent UNIX et Usenet pour échanger des informations.

Les flux de Usenet en 1991

Depuis août 1990, Relcom a noué un partenariat avec EUnet, ancêtre des fournisseurs d’accès à Internet modernes. Ainsi, le petit projet soviétique, rendu viable par la Glasnost, est ouvert sur le monde, dialoguant avec un bureau d’Helsinki une fois par heure, par le truchement d’un bon vieux modem (sur un principe qui n’est pas sans rappeler l’initiative de FDN en Egypte, cette fois-ci). Ironie du sort, c’est grâce au prestigieux Institut de Kurchatov d’énergie atomique, fleuron de la recherche russe, que ce programme a pu voir le jour.

En s’appuyant sur l’architecture déjà très au point – et décentralisée – de Usenet (développé dès 1982 en URSS), ces proto-cyberactivistes s’emparent alors de l’outil à leur disposition pour contourner la censure traditionnelle, encore très ignorante des possibilités d’Internet. En résultent ce genre d’échanges, qui ne dépareilleraient pas sur Twitter en 2011:

Pour ceux qui sont intéressés, les déclarations de Eltsine sur la tentative de renversement de Gorbatchev peuvent être lus sur le newsgroup Usenet talk.politics.soviet

<USENET> 11h45 – 3 divisions de l’Armée Rouge ont rejoint le camp de Eltsine
<Scofield> Information confirmée. Source: Radio City News, 15h GMT +3, Helskinki, Finlande
<USENET> Posté depuis news-server@kremvax.hq.demos.su
<USENET> Un homme aurait été tué par des militaires à Riga, la nuit où Gorbatchev aurait été exfiltré de Crimée.
<USENET> Un mandat d’arrêt a été émis contre Boris Eltsine. C’est la première fois. La source est NBC.
<Scofield> Service d’information finlandais – télex de 16h: l’Union européenne tiendra une réunion d’urgence vendredi. Mitterrand a essayé d’appeler Gorbatchev plusieurs fois.
<muts> 200.000 manifestants à Leningrad. 400.000 à Chisinau (capitale de la Moldavie, ndlr)

“Ils l’ont seulement oublié”

Près de vingt ans avant l’avènement de l’expression consacrée “révolution Twitter”, quand le web n’existait pas encore et que l’Internet domestique était encore à l’état embryonnaire, voilà comment Usenet a préfiguré les usages que l’on semble découvrir aujourd’hui. Les similitudes sont nombreuses: comme en Egypte ces jours-ci, certains mettaient les utilisateurs en garde contre le risque de congestion, les appelant de leurs voeux à ne recourir au service que pour poster des informations relatives à la situation politique en cours. Polina Antonova, qui travaillait chez Relcom à l’époque, écrit ceci au moment de l’initiative:

Ne vous inquiétez pas, nous allons bien, même si nous avons peur et que nous sommes en colère. Les rues de Moscou sont remplies de chars, je les déteste. Ils essaient de fermer tous les médias, ils ont coupé le signal de CNN il y a une heure, et la télévision soviétique ne diffuse plus que des opéras et de vieux films. Mais, Dieu merci, ils ne considèrent pas Relcom comme un média de masse, ou ils l’ont seulement oublié. Désormais, nous transmettons suffisamment d’informations pour être emprisonnés jusqu’à la fin de nos jours :-)

A l’heure du dégroupage total et du très haut débit, ce témoignage ne signifie pas que le web politique est un combat d’arrière-garde: il ne fait que l’ancrer dans une réalité historique.

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Crédits photo: archives Relcom, Flickr CC iamtheo

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http://owni.fr/2011/02/02/comment-une-poignee-de-geeks-a-defie-l%e2%80%99urss/feed/ 9
Internet sert-il à faire la révolution? http://owni.fr/2011/02/02/internet-sert-il-a-faire-la-revolution/ http://owni.fr/2011/02/02/internet-sert-il-a-faire-la-revolution/#comments Wed, 02 Feb 2011 11:42:49 +0000 Pierre Haski http://owni.fr/?p=45003

Au moment où le débat fait rage sur l’importance réelle des réseaux sociaux et d’Internet dans la révolution tunisienne, Paris accueille un homme qui plaide à contre-courant : Evgeny Morozov, un exilé biélorusse aux Etats-Unis, qui vient de publier un livre au titre dégrisant : The Net Delusion (l’illusion du Net).

Morozov dénonce la “cyberutopie” qui draperait la technologie de vertus émancipatrices intrinsèques, mais prend surtout pour cible le soutien officiel des Etats-Unis à des blogueurs ou à des initiatives technologiques en direction des pays qui figurent dans le collimateur de Washington : l’Iran, la Chine, le Venezuela…

Une “ingérence numérique” aux relents de guerre froide, dit-il, qui aurait succédé, en quelque sorte, à l’ingérence de George Bush avec des tanks et des G.I. Pas de trace de cela en Tunisie. Sans doute, ironise Morozov qui refuse de voir dans la révolution tunisienne un démenti, ou au moins un bémol à ses thèses, parce que les Etats-Unis n’avaient aucune envie de renverser le régime pro-occidental de Ben Ali.

Pas de “révolution 2.0″ mais un effet Facebook

Revenons d’abord sur les événements de Tunisie. L’expression “révolution 2.0″ est assurément un abus de langage : le geste de Mohamed Bouazizi, l’homme qui s’est immolé à Sidi Bouzid, déclenchant le processus qui a abouti un mois plus tard à la fuite du dictateur tunisien, n’a évidemment pas été déclenché par Internet, mais par sa propre exaspération face à l’arbitraire dont il avait été victime.

Mais là où cet événement aurait pu rester localisé et ignoré, il a circulé et a mis le feu à la Tunisie. Et le vecteur de la circulation de l’info fut Internet ou, pour être plus précis, Facebook, qui, avec 2 millions de comptes en Tunisie, était devenue la seule plateforme d’échange d’informations non censurée du pays, alors que YouTube ou Twitter étaient devenus inaccessibles.

Facebook, expliquait il y a une dizaine de jours un invité tunisien de France Culture, était devenu un “territoire libéré” pour les jeunes Tunisiens urbains, un pays virtuel où se disait et se montrait tout ce qui pouvait déplaire au régime de Ben Ali.

Lorsque les premières images de manifestations et de répression ont commencé à circuler, elles ont trouvé sur Facebook le vecteur idéal. Particulièrement lorsque sont apparues les vidéos tournées à l’hôpital de Kasserine, la ville qui a connu le plus de victimes, avec des corps atteints par balles à la tête, et la panique dans l’établissement débordé par l’afflux de victimes.

Ces images ont sans doute représenté le point de non-retour pour cette crise sociale devenue révolution politique, et c’est incontestablement l’effet Facebook.

Une fois ce constat établi, Morozov a beau jeu de dire que si l’armée n’avait pas refusé de tirer sur la foule, Ben Ali aurait peut-être pu retourner la situation à son avantage, et aurait lancé une vague de répression contre tous ceux qui s’étaient affichés en faveur de cette révolution sur Facebook, Twitter et autres plateformes web. Avec des si…

Pas de “nouveau Rwanda” grâce à Twitter ?

Car Evgeny Morozov ne craint pas de dénoncer tous ceux qui, depuis les évènements d’Iran il y a deux ans, lors de la réélection d’Ahmadinejad, en passant par la Biélorussie et la Chine, misent sur Internet et les réseaux sociaux pour répandre les idées libertaires et saper les régimes autoritaires ou dictatoriaux.

Avec un florilège de déclarations outrancières, dont celle de Gordon Brown, l’ancien premier ministre britannique, que nous avions relevée en son temps, estimant qu’à l’heure d’Internet, il ne pouvait pas y avoir de “nouveau Rwanda”. Dans son livre, récemment paru aux Etats-Unis, il parle de “cyberutopie”, qui est

[…] la croyance naïve dans la nature émancipatrice de la communication en ligne, qui repose sur un refus obstiné de prendre en considération ses aspects négatifs.

Il considère pour sa part que les dissidents et autres activistes qui utilisent le Web dans ces pays soumis à des régimes policiers se mettent en danger car ils laissent derrière eux une trace qui rend leur surveillance et leur éventuelle capture plus aisées.

Le 21 janvier, lors d’une rencontre organisée par nos amis d’Owni à La Cantine, un lieu dédié au numérique à Paris, Morozov n’a pas hésité à dire que la leçon que devraient tirer les régimes arabes autoritaires qui craignent aujourd’hui la contagion tunisienne, serait de lever toute censure sur Facebook et de laisser leurs détracteurs sortir du bois. Avant de leur tomber dessus à la première occasion !

Le soutien au cyberactivisme, un “baiser de la mort”

Un brin cynique vis-à-vis de ceux qui s’enthousiasment sur la révolution internet en Tunisie, Evgeny Mozorov est plus convaincant quand il dénonce l’approche idéologique du département d’Etat américain, incarné par le grand discours d’Hillary Clinton il y a tout juste un an, sur la nouvelle frontière de la liberté que représente Internet, et sur le “baiser de la mort” que peut représenter le soutien actif de Washington aux blogueurs issus des pays autoritaires.

Il n’est pas le seul à le penser. Samy Ben Gharbia, un cyberactiviste tunisien exilé en Europe, a récemment publié un long texte, disponible en français sur Owni.fr, dans lequel il déclare d’entrée de jeu :

Ce document part donc de l’hypothèse que l’engagement privé – des entreprises – et public – de l’administration – US dans le mouvement pour la liberté sur la Toile est dangereux pour cette même liberté. J’éclairerai les raisons pour lesquelles je considère ce nouveau contexte comme étant extrêmement dangereux pour le mouvement des cyberactivistes de base.


Il convient toutefois de distinguer les engagements politiques, effectivement à double tranchant, des gouvernements occidentaux, Etats-Unis en tête, dans une nouvelle croisade libertaire à manier avec précaution, et l’usage que font les citoyens dans tous les pays concernés de ces technologiques.

Ainsi, vendredi, lors d’un séminaire du Ceri de Sciences-Po sur Internet et diplomatie, la représentante américaine du bureau Internet du département d’Etat, Michele Markoff, a fait un véritable discours de guerre froide face aux menaces russe et chinoise, appelant à une coordination entre pays “amis” au sein de … l’Otan. Laissant pantois les diplomates, comme la représentante britannique, qui venaient de parler avec enthousiasme de ses ambassadeurs blogueurs et de ses innombrables followers sur les comptes Twitter du Foreign Office !

Cyberguerre, cyberpropagande, cyberpolice, vont évidemment de pair, sur les mêmes technologies, avec le simple geste d’un jeune Tunisien qui “poste” la vidéo d’une manif contre Ben Ali. Mais Evgeny Mozorov va sans doute vite en besogne quand il rejette l’un comme l’autre au nom d’un principe de précaution politique qui, dans le cas de la Tunisie, aurait sans doute privé le geste de Mohamed Bouazizi du retentissement qui, au bout du compte, lui a donné toute sa portée et en a fait l’acte fondateur d’une véritable révolution.

> Evgeny Mozorov, The Net Delusion : the dark side of Internet freedom - Editions Public Affairs, 432 pages, 27,95 dollars.

Article initialement publié sur Rue89

Crédits photo: Ophélia Noor, Flickr CC believekevin

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http://owni.fr/2011/02/02/internet-sert-il-a-faire-la-revolution/feed/ 7
Tunisie: petite histoire illustrée d’Ammar (MAJ) http://owni.fr/2011/01/14/tunisie-petite-histoire-illustree-d-ammar/ http://owni.fr/2011/01/14/tunisie-petite-histoire-illustree-d-ammar/#comments Fri, 14 Jan 2011 18:17:08 +0000 Claire Ulrich http://owni.fr/?p=41732 Mise à Jour : c’est évidemment avec un immense plaisir que nous annonçons la nomination aujourd’hui 17 janvier 2010 de Slim Amamou, dont il est question dans cet article, au poste de Secrétaire d’état à la jeunesse et aux sports dans le gouvernement provisoire tunisien. Pourquoi pas ministre de l’information ? Parce que celui-ci a été aboli, au vu de son lourd passé détaillé ci-dessous :) Le premier ministre tunisien promet une “liberté totale de l’information” et la libération des prisonniers d’opinion. Mabrouk !

La censure de type “industriel” d’Internet qu’a pratiqué le ministère tunisien de l’Intérieur pendant dix ans, et que l’on découvre aujourd’hui, n’avait rien à envier à la censure chinoise ou iranienne. Comme son état ultra policier, et les privations de libertés civiques en Tunisie, la cyber-censure a été ignorée de l’Occident et ses cyber-dissidents n’ont quasiment jamais été écoutés ou soutenus. Depuis 2005, ils étaient une poignée, et ont  inventé à eux seuls ce que l’on appelle aujourd’hui le cyber-activisme à travers leur lutte en ligne contre “Ammar”, le sobriquet tunisien de la cyber-censure.

La 404 bâchée

Ammar n’existe pas, mais Ammar travaille bien pour le ministère de l’Intérieur, ou bien l’ATI (Agence Tunisienne de l’Internet). Ammar est le chauffeur de la “404 bâchée”. La “404 bâchée” est non seulement une camionnette vintage mythique en Afrique du Nord, c’est aussi une jolie image pour parler à mots couverts d’un site censuré en Tunisie. Une erreur 404, en jargon d’informaticien, est le message d’erreur qu’envoie un serveur informatique pour signifier qu’une page Internet n’existe pas. Cette page web existe, bien sûr. Mais un logiciel de filtrage du web, ou une manipulation policière, empêche tout ordinateur d’y accéder à l’échelle d’un pays. Ce message d’erreur 404 apparaissait si régulièrement sur les écrans d’ordinateurs tunisiens qu’il a inspiré une multitude de graphismes, logos, badges, bannières de blogs,  pour protester contre la censure des blogs tunisiens, des sites et blogs étrangers, puis, depuis 2008, des réseaux sociaux, des sites de partages de photos et de vidéos (YouTube,  Flickr, Vimeo, etc).

Une "404 bâchée" - illustration du groupe tunisien "Error 404" sur Facebook

Capture d'écran d'une preuve du filtrage de l'ATI (Autorité Tunisienne de l'Internet) : toute requête envoyée par un ordinateur vers un site était filtrée d'abord par l'ATI

Bannière d'une campagne tunisienne contre la cyber-censure

Campagne de protestation contre la censure des sites de partage de vidéos. Site Nawaat.org

Merci qui ? Merci l’ATI 

L’Agence Tunisienne d’Internet (ATI) a été fondée dès 1996 et contrôlait toutes les politiques et les fournisseurs d’accès à Internet tunisiens. Encore une contradiction : la Tunisie a très tôt promu et démocratisé les TIC (Technologies de l’Information et de la Communication) et est vite devenu une vitrine  rutilante de nouvelles technologies, de sous-traitance informatique et de taux record de  jeunes ingénieurs informatique, au point de décrocher l’honneur d’organiser à Tunis en 2005 le Sommet Mondial sur la Société de l’Information. Des dissidents et des organisations de défense des droits de l’homme avaient protesté, sans échos. Matrix ne pouvait pas se jouer en Tunisie, impossible.

L’ATI aurait dès l’année 2000 mis en place ou imposé aux FAI le naturellement très secret système de surveillance automatisée et de censure des contenus en ligne et des internautes, que ce soit à leur domicile, sur les ordinateurs d’accès public, ou dans les publitels (cyber-cafés), où il est obligatoire de présenter ses papiers d’identité avant de se connecter. Il se trouve que l’ATI a toujours été dirigée par des femmes, trois exactement : Khédija Ghariani, Faryel Beji, Lamia Chafaï Sghaïer. Quelques minutes de travail sur Photoshop, et les Tunisiens leur avaient trouvé un surnom : les  Ben Ali’s Angels.

Les Ben Ali's Angels, Anges de la censure d'Internet. Parodie d'affiche, mettant en vedette les trois directrices successives de l'ATI, l'Agence Tunisienne de l'Internet (Illustration disponible sur Nawaat.org)


Filtrage du Net : les suspects habituels

Une censure d’Internet de cette envergure n’est pas seulement affaire de policiers bien formés et zélés. Il est plus que probable que la Tunisie a fait l’acquisition de logiciels de “filtrage” de l’intégralité de son web, et qu’elle a été l’une des premières clientes de Smartfilter, l’outil de référence des régimes qui censurent leur Net, aux côtés de Blue Coat et de WebSense. Créé par  la société américaine Secure Computing, rachetée depuis par le grand de la sécurité McAfee, Smartfilter permet à ses “grands comptes” de bloquer des catégories entières de sites de façon automatique  et de “modeler” son web national en fonction de sa politique depuis les fournisseurs d’accès. Ce qui a poussé les internautes tunisiens à très vite s’initier à leur tour aux logiciels de contournement de la censure, tels que TOR, ou les VPN (Virtual Private Network), pour consulter ce qu’ils voulaient, anonymement. L’Open Net Initiative, un réseau de chercheurs sur la cyber-censure de trois universités (Harvard, Toronto, Ottawa) , a publié en 2008 un diagnostic de l’Internet tunisien après des tests conduits sur place ou à distance. Helmi Homan, le chercheur spécialiste de la zone Afrique du Nord  Moyen-Orient, a renouvelé ces tests durant la première semaine de janvier 2011. Ses conclusions identiques à celles de 2008 ne surprendront pas. Le web tunisien était totalement censuré par des logiciels automatiques de filtrage.

Intimidations, prison, prison, prison

Zouhair Yahyoui - Photo Pen.org

Le cyber-humour tunisien ne peut pas adoucir les ravages qu’a produit cette souricière à deux temps, où la police prend le relai de la cyber-police pour appliquer une législation redoutable. La Tunisie a fait sa première cyber-victime dès 2000.  Zouhair Yahyaoui, webmaster du site Tunezine, a été arrêté dans un cyber-café de Tunis, pour “propagation de fausses informations”, c’est-à-dire la publication sur son site du sondage suivant : “La Tunisie est-elle une république,  un royaume, un zoo, une prison ?” Condamné à deux ans de prison, torturé, il est décédé peu après sa libération d’un infarctus, à 35 ans.

Parmi des affaires plus récentes, deux parmi d’autres : le 14 mai 2009, la 5ème chambre du Tribunal de première instance de Tunis a condamné  une étudiante en technologies de l’information et de la communication de 22 ans, Mariam Zouaghi, à six ans de prison pour avoir consulté des sites Web interdits, mis en ligne des articles sur de supposés “forums extrémistes” et  recueilli des fonds pour soutenir la population de la bande de Gaza. Le 4 juillet 2009, la 8e chambre du tribunal de première instance de Tunis a condamné une professeur d’université à la retraite, Khedija Arfaoui, à huit mois de prison pour diffusion sur Facebook de “rumeurs susceptibles de troubler l’ordre public”.

Tout journaliste ou internaute “non autorisé” risquait en Tunisie une palette de représailles débutant par de simples “intimidations”, comme celle-ci, filmée avec un téléphone portable le 27 janvier 2009. Des policiers en civil encerclent les bureaux d’une radio par satellite de Tunis, Kalima, et arrêtent un de ses journalistes, Dhafer Ottey.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

La réalité augmentée des prisons tunisiennes

Pour lutter contre le silence et l’incrédulité, outre de “classiques” vidéos d’opposants laissées sur YouTube, comme la vidéo du pointage des déplacements de l’avion présidentiel tunisien, les cyber-activistes tunisiens ont innové avec de nouvelles formes d’information et de mobilisation en ligne. Sami Ben Gharbia, réfugié politique tunisien et créateur du site Global Voices Advocacy pour la liberté d’expression en ligne, a créé dès 2005 une carte Google des prisons tunisiennes, enrichies de vidéos et animations flash, lançant ainsi le “Maptivism” (activisme par les cartes) avant que le mot n’existe. En cliquant sur chaque marqueur, il est possible d’accéder à des lettres des familles des prisonniers, des articles de presse, des vidéos.Voici par exemple l’animation flash créée pour la prison de Zarzis. Plusieurs fois piratées sur différents blogs et sites, cette carte est aujourd’hui hébergée sur le portail dissident tunisien Nawaat.org.

Le siège virtuel du palais de Carthage sur Google Earth

Le même groupe de dissidents a aussi lancé le cyber-siège du palais présidentiel de Tunisie sur Google Earth. En insérant des vidéos et des témoignages  sur les lieux clés du pouvoir tunisien sur Google Earth , ils donnaient ainsi aux internautes du monde entier qui survolaient par hasard ces lieux des informations inattendues : vidéos de témoignages, appels à la libération des prisonniers politiques, et tout document impossible à consulter depuis la Tunisie ou ignoré ailleurs. Pour ceux qui n’ont pas accès à Google Earth, voici une vidéo de démonstration.

Le temps des pirates

Bannière de "recrutement" de hackers pour pirater les sites du gouvernement tunisien

Lors du dernier Réveillon, alors que la Tunisie ne faisait pas encore les gros titres, un groupe inattendu de soutien est arrivé à la rescousse des manifestants tunisiens : Anonymous, la “légion” de hackers qui avait peu de temps auparavant piraté le site de Amazon, de Paypal, de Mastercard, en représailles des représailles contre les sites Wikileaks. Les sites phares du gouvernement tunisien n’y ont pas plus résisté.

Image laissée sur les sites piratés du gouvernement tunisien : "La revanche, ça craint, pas vrai ?"

Il est utile de préciser que le gouvernement tunisien a fait le premier dans le piratage – ou si ce n’est lui, ses intérimaires loués à la tâche, souvent doté d’adresses IP très exotiques (Turquie, Asie centrale).  Sinon, pourquoi aurait-on pu compter des dizaines de blogs d’opposants tunisiens hackés et détruits de façon très ciblée au cours des cinq dernières années, que ce soit en Tunisie même ou à l’étranger, et quel pirate aurait pu tant en vouloir personnellement à des dissidents isolés ? Voici par exemple le graphique laissé sur le blog détruit de “Citizen Zouari” ,  l’ancien détenu politique  Abdallah Zouari, en 2009. Abdallah Zouari, assigné à résidence à 500 km de son domicile, s’est vu signifier à la même époque l’interdiction de se connecter à Internet ou même d’entrer dans les cyber-cafés locaux.

Image laissée par les hackers sur le blog de l'opposant tunisien "Citizen Zouari", signée "Samouraï"

Quelques captures d'écran des signatures de pirate après destruction de blogs tunisiens d'opposition (Tunisia Watch, Kitab, Tunisnews)

Hameçonnage et intrusions variées

Toujours très pointu, “Ammar” a également fait dans l’intrusion criminelle : les opposants tunisiens à l’étranger se sont régulièrement, depuis 2008, trouvés aux prises avec un “hameçonnage” (vol) de leurs identifiants et mots de passe conduit de façon extrêmement ciblée, et qui se sont reproduits à grande échelle durant les premières semaines de la contestation en Tunisie. Le blogueur Tunisien Slim Amamou, arrêté à Tunis le 6 janvier dernier, puis libéré le 12, avait fait en juin 2010 une analyse de ces intrusions. Auparavant,  le même groupe de blogueurs réunis autour du portail Nawaat.org avaient aussi découvert que le texte de leurs mails reçus dans leur compte privé pouvait être vraiment très différent selon que le destinataire se trouve en Tunisie, ou à l’étranger. Ci-dessous, une lettre d’information diffusée par e-mail de Tunis News vue de l’étranger…

La lettre d'information par e-mail de Tunis News vue depuis un compte mail en Europe

Ci-dessous, le contenu du même mail, depuis le compte d’un abonné en Tunisie. Un faux spam…(Source : blog de Sami Ben Garbia)

Facebook et Twitter : la contestation en images

Facebook et Twitter ont fourni aux internautes tunisiens le refuge qu’ils attendaient pour s’informer et s’exprimer. Deux plateformes difficiles à bloquer pour Ammar, que ce soit techniquement, ou politiquement, quand plus de un million de Tunisiens sont utilisateurs, sauf à vouloir empirer la contestation.  Ces plateformes sont au cœur de la “révolution du jasmin” depuis décembre 2010, et la photo du profil est devenu le lieu d’exposition des slogans et étapes de la contestation, de la répression, et d’une révolution.

Illustration publiée par @Bard_MeChebeK sur Yfrog

Illustration du portail Internet Nawaat : offre d'emploi pour jeune chômeur tunisien.Principales responsabilités : * Destitution du dictateur Ben Ali * Instaurer l’État de droit * Rétablir la dignité Tunisienne


Le drapeau tunisien, après la répression des manifestations à Thala et Kasserine (sur Facebook), devenu le nouveau profil de beaucoup d'internautes tunisiens sur FB et Twitter

Image de profil Facebook

Aujourd’hui, parmi les vidéos “explicites” d’un véritable carnage, vues sur YouTube ou Facebook,  sauvegardées comme témoignages sur des sites miroirs pour les enquêtes qui devront être menées , il y a aussi celle-ci, où les manifestants tunisiens chorégraphient le mot liberté en arabe, et cette fois-ci, dans la vie réelle :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Image de une Nawaat

Retrouvez notre dossier sur la Tunisie et celui de Global Voices

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http://owni.fr/2011/01/14/tunisie-petite-histoire-illustree-d-ammar/feed/ 11
Pourquoi ne peut-on pas vandaliser la page Wikipédia de Sarkozy? http://owni.fr/2010/12/09/pourquoi-ne-peut-on-pas-vandaliser-la-page-wikipedia-de-sarkozy/ http://owni.fr/2010/12/09/pourquoi-ne-peut-on-pas-vandaliser-la-page-wikipedia-de-sarkozy/#comments Thu, 09 Dec 2010 07:58:30 +0000 Maud Carlus et Martin Fossati http://owni.fr/?p=37067

Cet article est une contribution des étudiants de l’École de journalisme de Sciences-Po.

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Vous pensiez que la page Wikipédia de Nicolas Sarkozy était surveillée 24h/24 par une équipe chevronnée de l’Élysée afin de traquer la moindre petite critique ? Vous vous trompiez !

Car au pays de Wikipédia, ne modifie pas les pages qui veut. La communauté toute entière garde un œil sur les pages les plus sensibles. D’invisibles soldats de la « wikisphère » écument ces pages polémiques, souvent politiques, et tentent de conserver la plus grande neutralité possible.

Nous avons contacté certains des contributeurs les plus actifs sur des pages polémiques (UMP, Réforme des retraites, Affaire Woerth-Bettencourt…). Ils nous ont raconté comment ils gèrent au quotidien les problèmes liés au vandalisme et à la manipulation des articles politiques.

« Il s’agit pour eux de défendre mordicus une “vérité” »

Turb, contributeur wikipédien depuis plus de six ans, promu au rang d’administrateur et également membre du comité d’arbitrage (sorte d’instance suprême de résolution de conflits), est formel : « Le plus souvent, les gens n’ont pas conscience d’avoir une posture militante : il s’agit pour eux de défendre mordicus une “vérité”, généralement sur les adversaires, souvent grossièrement… La résistance à ces tentatives est maintenant de l’ordre de la routine. » Et il sait de quoi il parle, puisqu’à ce jour, Turb a fait 437 modifications sur la page de Nicolas Sarkozy, même s’il n’est « affilié ni de près ni de loin à l’UMP. »

Cependant, les particuliers, militants ou non, ne sont pas les seuls à intervenir sur les pages de leurs « idoles » politiques. Turb le confirme : « il y a déjà eu des cas où des manipulations d’articles ont été tentées, et où l’on constate que l’adresse IP d’où provient la modification correspond à un ministère, ou une mairie. »

Il arrive aussi que des personnalités politiques, insatisfaites de leur profil, entrent en contact avec les administrateurs. Cela a été le cas de Nadine Morano, en 2007. Voyez plutôt:

Il y a donc bien des garde-fous de la neutralité sur Wikipédia, incarnés par les administrateurs, chargés de lutter contre les tendances militantes de certains contributeurs. Mais qui assure la neutralité des administrateurs, eux-mêmes contributeurs ? Turb, qui déclare être vaguement « centriste » et « libéral », s’appuie sur les trois règles d’or édictées par Wikipédia : la vérifiabilité des sources, la qualité des sources et la pertinence des informations.

Il arrive que des membres de la communauté se laissent aller à du partisanat, et tentent de maquiller certains faits. C’est le cas de Cheep, wikipédien très actif : pas moins de 19.000 contributions depuis son inscription en juillet 2008. Ce sarkozyste revendiqué est intervenu plusieurs fois sur la page « Mouvement social contre la réforme des retraites 2010 ». Ses contributions ont été qualifiées « d’arbitraires » par d’autres utilisateurs : il aurait tenté de réduire l’ampleur de la mobilisation sociale contre la réforme des retraites en réduisant le nombre de manifestants. Épinglé par d’autres wikipédiens, et après moult discussions, Cheep a finalement accepté les critiques de ses pairs.

« On arrive souvent à un consensus »

Ascaron, étudiant ingénieur automobile, participe depuis près de trois ans à Wikipedia. Il consulte l’encyclopédie en ligne « matin, midi et soir ». Lui aussi constate que les « contributeurs lambda, qui ne cachent pas leur couleur politique, modifient facilement des articles pour les “arranger” à leurs goûts, ce qui mène généralement à des guerres d’éditions. » Proche des idées de l’UMP, ce contributeur estime qu’il est « important de mettre de côté ses propres opinions politiques. Ce n’est cependant pas forcément évident. La page de discussion des articles de Wikipédia permet alors de discuter avec d’autres contributeurs sur le contenu à ajouter à l’article. »

Toutefois, pour se prémunir d’éventuelles tentations, Buisson, autre utilisateur très présent sur la « wikisphère », préconise « d’en discuter avec des contributeurs qui n’ont pas les mêmes opinions dans les pages de discussion des articles et de faire un travail collaboratif. On arrive souvent à un consensus. » Prenant la défense de l’encyclopédie virtuelle, il estime que les « contributeurs réguliers ne sont pas là pour faire de la propagande pour leurs idées. »

HaguardDuNord, qui passe deux heures par jour sur Wikipedia, considère que la neutralité des points de vue n’est de toute façon pas une fin en soi. « La neutralité wikipédienne n’est pas de bannir tout jugement, mais de relayer les jugements pertinents en se basant sur les sources. » Malgré leurs opinions politiques divergentes, les contributeurs wikipédiens semblent, néanmoins partager des valeurs de neutralité, pour une autorégulation.

«Wikipédia fonctionne plutôt bien tout seul»

Autorégulation que les partis politique ont bien intégrée. Droite et gauche s’entendent sur un point : inutile d’intervenir directement sur Wikipédia. « Ça s’autorégule tout seul », explique Benjamin Lancar, président des Jeunes Populaires. « Si on s’amusait à attaquer la page de Martine Aubry, on se ferait censurer tout de suite. Ça ne sert à rien. » À l’UMP, deux personnes sont chargées de contrôler l’image du parti politique sur Internet, notamment sur les réseaux sociaux. Mais Wikipédia n’est clairement pas leur priorité.

Une opinion partagée par Mathieu Dehgan, l’un des trois community manager du Parti Socialiste. « On jette un coup d’œil de temps en temps, mais ce n’est pas régulier. » Nul besoin de surveiller le site au quotidien : en cas de modifications intempestives, il est vite averti. « Les informations remontent très rapidement. Les militants nous appellent pour le signaler, ou nous contactent sur le compte Twitter du PS. »

Autre argument : l’indépendance de Wikipédia. « Wikipédia n’a aucun lien avec nous », affirme Jonathan Debauve, responsable de la communication sur Internet du Mouvement des Jeunes Socialistes. « C’est une encyclopédie totalement indépendante. On ne peut pas mettre le point de vue que l’on veut dans l’article consacré aux jeunes socialistes ! »

Mathieu Dehgan est du même avis. « Pour le lancement de la Coopol, on souhaitait créer un article sur Wikipédia. On a contacté un administrateur de Wikipédia en France, mais il a refusé. » Motif : le réseau n’était pas assez connu.

Aujourd’hui, le community manager admet ignorer si le PS dispose ou non d’un compte Wikipédia. Et de résumer : « Wikipédia fonctionne plutôt bien tout seul. »

NB : voir aussi la discussion qu’a suscité cet article sur Wikipédia.

Image CC Elsa Secco pour OWNI sur une image CC Flickr quartermane

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http://owni.fr/2010/12/09/pourquoi-ne-peut-on-pas-vandaliser-la-page-wikipedia-de-sarkozy/feed/ 3
Le Popolo Viola défie Berlusconi http://owni.fr/2010/10/28/le-popolo-viola-defie-berlusconi/ http://owni.fr/2010/10/28/le-popolo-viola-defie-berlusconi/#comments Thu, 28 Oct 2010 17:31:07 +0000 Anne Daubrée http://owni.fr/?p=33908 La Piazza della Repubblica est violette de monde. Ce 2 octobre, en France, les syndicats invitent à manifester contre la réforme de retraite. En Italie, à Rome, c’est le « popolo viola » qui déferle, sur fond de crise politique aiguë. Mot d’ordre : « Licenziamolo » (licencions-le). Le message vise Silvio Berlusconi, président du Conseil, et se décline sur tous les tons, jusqu’aux plus carnavalesques. En attendant que le cortège démarre, un homme parade près de la fontaine, portant le « lit doré offert par Poutine » à Berlusconi, (rendu célèbre par les récits d’une prostituée fréquentée par le chef de l’état). À quelques pas de là, une famille toute de violet vêtue, enfants compris, s’adonne à une séance photo. Sous les arbres, un autre manifestant, très applaudi, scande les noms d’hommes politiques, Berlusconi en tête, dont les portraits sont reproduits sur un panneau « stop mafia ».

Un langage commun

Seul point commun entre tous ces manifestants : des banderoles, tee-shirt et écharpes de cette même couleur violette. « Ils se sont autoconvoqués, ils ont découvert un langage commun », commente Domenico Gallo, un magistrat romain croisé lors de la manifestation (en fait, je ne l’ai pas croisé exactement dans le cortège, mais derrière la scène, dans l’espace VIP de la piazza san giovanni). Un peu partout en Italie, ils se sont mobilisés via Internet pour organiser ce « No B day 2 », version abrégée du « no Berlusconi day » deuxième édition.

C’est la deuxième fois que l’autoproclamé « Popolo viola », qui s’est reconnu et agrégé via internet dans son opposition au régime actuel, organise une manifestation de cette envergure. « Nous sommes contre Berlusconi, mais aussi contre le berlusconisme » tient à préciser un manifestant romain. Entendre : contre la corruption, le conflit d’intérêt, les politiques qui mènent à la précarité, pour la liberté de l’information et le respect de la constitution.

Difficile cohabitation des drapeaux

Vers 14h30, le cortège s’ébranle dans une atmosphère plutôt joyeuse. « Berlusconi, espèce de salaud » ou « La Mafia, hors de l’Etat », scande une foule où se mélangent les âges, à travers les rues de la capitale. Aux banderoles violettes venues de toute la péninsule, – via 300 bus, d’après les organisateurs – se joignent celles de plusieurs partis. « On les voit trop », soupire une Turinoise, vêtue de violet.

Particulièrement présents, le bleu et le blanc de l’Italia dei valori (IDV parti fondé par un ex magistrat, Antonio di Pietro, en pointe dans le combat contre la corruption du monde politique) colorent la foule en marge de la majorité violette. Quelques hommes politiques tel que Nichi Vendola, président de la région des Pouilles, et figure montante de l’opposition, plutôt bien acueillis par les manifestants.

Fatiguée d’être en colère

En fin du parcours, les manifestants remplissent l’imposante Piazza San Giovanni. Là, sur une scène, des personnalités engagées issues de la société civile défilent pour parler de justice, des dangers qu’encourt la Constitution, de la crise de l’éducation, ou encore de la liberté de la presse. Pas d’hommes politiques au programme. Militants de la lutte anti mafia, précaires, journalistes engagés se succèdent sur les planches, égrènent les scandales occultés par la majorité des médias. « Je suis fatiguée d’être en colère (…), c’est à votre génération de faire changer les choses », tonne Concita De Gregorio, directrice du journal l’Unità, qui donne un large retentissement aux luttes sociales. Lorsque le frère de Paolo Borsellino juge assassiné par la Mafia, prend la parole, c’est l’ovation.

À l’apparition du visage de Berlusconi en vidéo sur l’écran géant, les lazzis se déchainent, comme une poussée de fièvre. Les derniers manifestants resteront tard pour écouter de jeunes artistes, malgré la fraicheur de la nuit, pendant que les médias se chamaillent déjà autour des chiffres officiels versus ceux des manifestants : 10 000 pour les uns, 50 000, voire plus pour les autres.

Amer apprentissage

C’est en tout cas beaucoup moins que le 5 décembre dernier. Ce jour là, le No B day avait réuni environ 500 000 personnes. Ce 2 octobre laisse un goût de « pas comme la dernière fois » dans la bouche des manifestants, partagés entre la déception et la joie de descendre dans la rue. Entre ces deux dates, les membres du « popolo viola » ont fait l’apprentissage de la politique, pour ceux qui n’avaient pas encore milité, et de l’invention de formes démocratiques en ligne, pour tous. Non sans mal.

Des groupes locaux se sont divisés, notamment sur la question de la collaboration – ou pas – avec les partis politiques. Et les modalités des processus de décision en ligne restent à inventer. « Nous devons apprendre à dialoguer en ligne, à nous modérer », soupire GianFranco Mascia, l’un des organisateurs, qui rêve à la constitution d’un Move on à l’italienne, qui permettrait aux individus de se coaguler en ligne pour intervenir dans le débat politique, sans mettre sur pied une organisation structurée.

Recherche mégaphone

Ces militants d’un nouveau genre sont plutôt étonnés de voir débarquer plusieurs médias français, – France 3, Canal plus – et de s’entendre considérés comme des pionniers de la politique 2.0. « En France, vous savez bloquer un pays », me dit-on plusieurs fois, d’un ton admiratif. Eux désespèrent de se faire entendre dans un espace médiatique cadenassé. Les télévisions, tout particulièrement, sont pratiquement absentes de la manifestation.

La revue de presse du lendemain est éloquente. Les quotidiens d’opposition, dont La Repubblica et Il Fatto quotidiano font écho à la manifestation. Mais Libero, un quotidien qui soutient avec acharnement la politique berlusconienne, titre « haine sur la Place ». Un récit qui colle mal avec l’image de ces manifestants, l’air décidé, qui ont marché dans Rome avec la Constitution italienne pour seule arme de poing.

Illustration de Une au second degré par Loguy, à télécharger par ici

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Gauche italienne: la relève vient du Sud… et d’Internet http://owni.fr/2010/10/28/gauche-italienne-la-releve-vient-du-sud-et-d%e2%80%99internet/ http://owni.fr/2010/10/28/gauche-italienne-la-releve-vient-du-sud-et-d%e2%80%99internet/#comments Thu, 28 Oct 2010 16:45:43 +0000 Anne Daubrée http://owni.fr/?p=33868 Retrouvez la traduction de cet article et l’ensemble de nos articles en anglais sur http://owni.eu !

Outsider de la politique italienne, certains l’appellent le « Obama » blanc. Cela ne dérange pas Nichi Vendola, figure de l’opposition qui construit sa réputation grâce au web. «  Nichi Vendola est obligé par sa personnalité même, par son histoire, d’être novateur », analyse Federico Mello, journaliste au Fatto quotidiano. C’est peu dire que l’homme est atypique : président de la région des Pouilles, au sud-est de la péninsule, Nichi Vendola  se revendique tout  à la fois communiste, croyant et homosexuel. Ce qui ne l’a pas empêché de gagner les élections régionales à deux reprises, après avoir remporté les primaires de la gauche. Et ces derniers succès électoraux doivent beaucoup à sa stratégie Internet.

Responsable de sa communication, la société locale Proforma s’est notamment inspirée des méthodes d’Obama pour lancer les «  fabbriche di Nichi » (usines de Nichi) : un réseau de sympathisants composé pour l’essentiel de déçus de la gauche, mais surtout de très jeunes, souvent étudiants, qui vivent là leur première expérience politique qui organise, via Facebook, le soutien de la campagne de son candidat. La «  fabbrica » de Bari, capitale de la région des Pouilles, donne le la, en proposant des actions simples et conviviales comme les « guerrilla gardening », consistant à aller biner le parc public de la ville, ou des « réunions tupperware » pour convaincre d’aller voter pour le candidat. A l’inverse, certaines initiatives de fabbriche locales (vidéos, slogans, matériel de campagne…) sont remontées et servent à la campagne officielle.

La fabbricha de Rome a ainsi amené 240 bulletins de plus en faveur de Vendola en organisant le trajet en bus depuis la capitale. «  Nous avons délégué des pans entiers de l’organisation et de la créativité de la campagne », explique Dino Amenduni, spécialiste des réseaux sociaux chez Proforma. Selon ses calculs, au delà des simples fans Facebook, ce sont « environ 10 000 personnes » qui  se mobilisent fortement depuis cet été via les Fabbriche.

En campagne pour les primaires de la gauche, de fabbrica en fabbrica

Au mois d’octobre, pour Nichi Vendola, l’enjeu a basculé du régional au national avec l’accord de la gauche pour élire lors de primaires son chef de file pour les prochaines élections législatives. Et les fabbriche pourraient se révéler un outil décisif. En campagne hors de sa région, Nichi Vendola fait le candidat voyageur, visitant toute l’Italie de «  Fabbrica » en «  Fabbrica ». D’abord dans la capitale, où ses partisans romains avaient réuni 300 personnes pour une soirée débat rapportée jusque dans la presse nationale, puis en Sicile pour une rencontre sur le thème « un Sud meilleur ».

« Nichi Vendola  doit être plus connu dans le reste du pays. Les « fabbriche » ont un rôle important à jouer. L’activisme des personnes est essentiel pour suivre les rencontres avec Nichi, apporter des contenus vidéos…», analyse Dino Amenduni. On  compte aujourd’hui 479 Fabbriche, qui ont essaimé bien au delà des frontières de la région des Pouilles, et mêmes par delà les Alpes, à Paris ou Berlin. De nombreux étudiants ou émigrés italiens se sont saisis de ce moyen de renouer des liens avec leur terre natale.

De l’usine à activistes au laboratoire politique

Pour Nichi Vendola, qui lançait «  la poésie est dans les faits », en guise de slogan de campagne,

la Fabbrica avec ses volontaires, est un exemple d’autoformation à la politique et de réforme de la politique. Ce n’est pas un simple comité électoral, mais un espace différent, actif et créatif. (…) Des idées, des propositions et des actions de tout genre naissent et se diffusent dans toute la  région, via internet et les actions sur le territoire (1).

Une visite à Laterza,  petite ville perdue dans la campagne des Pouilles, semble lui donner raison. Ici, la Fabbrica organise des visites guidées dans le parc naturel voisin -la Gravina -  menacé par les promoteurs immobiliers et les chasseurs. Objectif : sensibiliser les habitants de la zone à un autre développement possible, basé sur le respect de l’environnement.

Même souci à Galatone, où une autre  Fabbrica  monte des opérations de nettoyage du territoire. Les sympathisants de Florence ont pour leur part mis en place des ateliers gratuits pour apprendre à confectionner son propre liquide vaisselle à partir de produits naturels. Une recette bientôt transmise à la Fabbrica de Rome. Un exemple parmi d’autres des liens qui se tissent par échanges de mails, visio conférences via Skype ou encore aux rencontres nationales l’été dernier. « Nous préparons un réseau social pour permettre aux Fabbriche d’avoir des échanges plus horizontaux » ajoute Dino Amenduni, qui réfléchit aussi  à des outils de fundraising pour les fabbriche, « autofinancées ».

Dans une Italie où la tentation du discours du « tout pourris » est forte, Nichi Vendola a su mobiliser les énergies d’une toute  jeune génération dans un projet politique, via le réseau. Il lui reste à présent à répondre aux espoirs qu’il a suscités.

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(1) La fabbrica di Nichi, cosimo Rossi intervista Nichi Vendola, manifestolibbri 2010

Photo Credits: nichivendola.it, Flickr CC Paride de Carlo.

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Les cyberactivistes italiens : précurseurs des nouvelles contestations numériques http://owni.fr/2010/10/28/les-cyberactivistes-italiens-precurseurs-des-nouvelles-contestations-numeriques/ http://owni.fr/2010/10/28/les-cyberactivistes-italiens-precurseurs-des-nouvelles-contestations-numeriques/#comments Thu, 28 Oct 2010 15:18:22 +0000 Anne Daubrée http://owni.fr/?p=33895 Octobre 2009, la toile italienne est en ébullition : la Cour Constitutionnelle vient de déclarer inconstitutionnel un projet de loi mettant Silvio Berlusconi, le président du Conseil, à l’abri de ses multiples procès. Sur Facebook un mystérieux « Saint précaire » lance un appel : tous dans la rue, pour exiger les démissions de Berlusconi. Le 5 décembre, à Rome, quelques 500 000 manifestants se retrouvent dans le cortège. Le fruit de deux mois de travail acharné de volontaires disséminés du Nord au Sud de la péninsule, qui ont ouvert des pages Facebook locales, imprimé et distribué des tracts téléchargés sur Internet, organisés des manifs éclairs (flash mob)…

Opposants de toujours à Berlusconi, précaires en lutte, militants de la lutte anti-mafia, jeunes sans expérience politique, se sont agrégés sur la toile à cette occasion, sous le nom de « Popolo Viola », une couleur choisie pour sa neutralité politique. Au-delà de la manifestation qui a pris d’assaut les rues de la capitale, « une série de réseaux biodégradables se sont développés qui se créent et se dénouent en fonction des situations », observe Emanuele Toscano, sociologue, qui compte parmi les initiateurs du No B Day. Un exemple parmi d’autres du nouvel élan qu’ont trouvé sur la toile des mouvements de contestation étouffés par la “ berlusconisation” de l’espace public.

La télé verrouillée

Internet a ouvert une brèche nouvelle, dans un paysage médiatique jusqu’alors cadenassé par Silvio Berlusconi. Le président du conseil détient un vaste empire audiovisuel privé (Canale 5, Italia 1…) et enfreint la loi pour bloquer les nouveaux entrants. Dans les kiosques aussi, il peut compter sur de nombreux soutiens, dont le quotidien Il Giornale, détenu par son propre frère, où Internet est régulièrement accusé de tous les maux.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Les chaînes publiques n’ont guère plus de liberté de ton depuis qu’en 2004, Il Cavaliere a fait virer une poignée de journalistes trop critiques à son goût. L’un d’eux, Michele Santoro, animateur de l’émission politique corrosive Anno Zero n’a retrouvé sa place que sur une décision de justice. Le 25 mars dernier, censuré, il a transféré son émission… sur Internet. Pas de vagues sur le service publique. Et, si l’eau s’avise de frémir, le président du Conseil n’hésite pas à décrocher son téléphone pour intervenir en direct, pendant Balloro, une émission politique pourtant bien moins critique que Anno Zero.

Vacance de contre-pouvoirs

Au chapitre des contre-pouvoirs insuffisants figure aussi, en bonne place, l’opposition politique. Les activistes qui se mobilisent contre le berlusconisme via les réseaux « ne sont pas satisfaits de la manière dont l’opposition joue son rôle et préfèrent s’auto-organiser », analyse Federico Mello, journaliste pour Il Fatto Quotidiano. Ils considèrent le leader de l’opposition, le Partido Democratico (PD, Parti démocratique), comme un poids mort de la contestation. De fait, jusqu’à la dernière minute, son secrétaire général, Pier Luigi Bersani, a renaclé à soutenir la manifestation qui a mis 500 000 personnes dans les rues contre son principal adversaire! Le tout, au grand désespoir des jeunes cadres de sa formation.

Un pays fait pour les vieux

Au delà du politique, « l’Italie n’est pas un pays pour les jeunes » titrait Il Corriere della Sera, un quotidien difficile à accuser de gauchisme. Écoles et universités sont en crise, notamment victimes de coupes budgétaires. Les jeunes, y compris les plus diplômés, sont condamnés à des petits boulots précaires. Au second trimestre 2010, le taux de chômage des 15-24 ans est monté à 27,9%, d’après l’Istat (l’institut national de la statistique italienne). Une situation d’autant plus insupportable quand elle est comparée aux pratiques d’un État où des starlettes sont nommées ministres, où les scandales de corruption s’accumulent et où le président du Conseil, trainant d’innombrables casseroles judiciaires, s’illustre par le faste de ses fêtes, ses frasques avec des prostituées et ses tentatives de tordre la Constitution pour éviter les procès.

Privés des canaux traditionnels, l’info et les mouvements contestataires passent par le web. Avec des succès parfois étonnants : dans deux conseils régionaux siègent les élus du « Movimento 5 stelle », mouvement politique né et organisé sur le web, sous l’impulsion du tonitruant Beppe Grillo, mélange de Coluche et Michael Moore. Ce comique très populaire, bouté hors du petit écran pour son irrévérence politique dans les années 80, a trouvé refuge sur la toile depuis 2005 et a su en utiliser toutes les ressources.

Le lance-pierre de l’info

D’après Wikio, le blog de Beppe Grillo est le blog politique le plus lu en Italie. Auquel s’ajoutent d’autres sources d’information libres en ligne. Sur le site de Il Fatto Quotidiano,  jeune journal qui critique aussi bien les dysfonctionnements de l’Etat que l’impuissance de l’opposition, les articles sont partagés jusqu’à 15 000 fois sur les réseaux sociaux ou par mail, d’après Federico Mello, un des journalistes. Pour lui, « les citoyens italiens ne cherchent pas seulement à s’informer, ils veulent aussi diffuser l’information sur le réseau ».

Plus que des relais, les internautes deviennent producteurs d’information : Spinoza, blog d’actualité satirique, reçoit les billets de 7000 personnes. « Le blog a explosé après la victoire électorale de Berlusconi, en 2008. Les lecteurs ont commencé à poster leurs saillies » témoigne Alessandro Bonino, l’un des fondateurs du blog. Articolo 21, du nom de l’article de la Constitution qui sacre la liberté de la presse, a lui aussi choisi de s’appuyer sur les textes envoyés par ses lecteurs. Première mission que se fixent ces sites d’info : démonter la propagande véhiculée par la télévision. Valigia Blu a ainsi organisé devant le siège de la Rai une chorale parodiant les titres les plus ridicules des JT de la chaîne publique :

Un chaton nait, un dauphin rote, ce n’est pas le zoo, mais le sommaire du journal de Rai 1….

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Objectif : réclamer les démissions du directeur de l’information.

Frein légal et frein technique

Ces mouvements numériques sont ils assez forts pour parvenir à transformer la politique et la société ? Les freins sont puissants : malgré les 300000 signatures recueillies grâce à une initiative Internet menée par Beppe Grillo, la loi d’initiative populaire qui visait à réformer la vie politique dort au fond d’un tiroir, au Sénat. Pendant ce temps, le gouvernement tente d’en promouvoir d’autres lois, destinées à limiter la liberté d’expression jusqu’à s’attirer les foudres de l’OCDE, qui en juillet dernier, lui a demandé de retirer sa loi dite « bâillon », laquelle visait à limiter la publication du contenu des écoutes téléphoniques par la presse. Un texte qui, au passage, a bien failli clouer définitivement le bec des bloggeurs impertinents. Il leur imposait les mêmes devoirs qu’à la presse, notamment le droit de réponse en 48 heures, sous peine de 12 5000 euros d’amendes.

L’accès à Internet demeure, par ailleurs, pour l’instant très limité : moins d’un ménage sur deux dispose d’une connexion, d’après l’Istat. Et la qualité du réseau est déplorable, l’État n’investissant pratiquement pas, pour améliorer les infrastructures. A contrario, la quasi totalité des Italiens regardent la télévision.

« C’est difficile de parler au reste du pays, on reste entre nous », se désolait une manifestante anti-Berlusconi, le 4 octobre dernier, à Rome. Un isolement qui s’ajoute au caractère composite des mouvements qui se déploient sur Internet jusqu’à les faire parfois basculer dans une véritable cacophonie. Depuis son blog, Beppe Grillo ne soutient pas les initiatives du « Popolo viola ». Entre deux No B day, (le deuxième s’est déroulé le 4 octobre dernier), les groupes qui composent le Popolo Viola se sont divisés sur de multiples questions, dont celles de la collaboration avec les partis politiques. Et l’élaboration des modalités de prises de décision en ligne ne se fait pas sans heurts.

La télévision du président est nue

Néanmoins, le monde politique commence à s’ouvrir. L’IDV, l’Italia dei valori, un parti d’opposition, a soutenu les manifestations du « Popolo Viola ». Dans le PD, des élus et des cadres poussent à l’ouverture du parti. Et une figure montante de la gauche, Nichi Vendola, actuellement gouverneur de la région des Pouilles, se montre parfaitement en phase avec les mouvements qui se développent sur le réseau.

Bien que le gouvernement continue de trainer des pieds pour freiner Internet, la bataille est loin d’être gagnée avec les plus jeunes. Une partie de la nouvelle génération s’informe en ligne, agit et a abandonné cette « pensée paresseuse », décrite par Gian Franco Mascia. Laissant leurs aînés vaincus et sans espoir s’affaler devant la télévision du président du Conseil, les jeunes se tournent vers ce web qui crépite d’une idée qu’on croyait disparue en Italie. Celle d’un changement possible.

Photo FlickR CC JCP.im, Redbanshee, Gengiskunk, Bondine.it.

Cet article doit beaucoup aux ouvrages suivants

Federico Mello, Viola , Aliberti editore 2010

Gianfranco Mascia, Il Libbro viola, B.C.Dalai editore, 2010

Marco Travaglio, La scomparsa dei fatti, Il saggiatore 2007

Concetto Vecchio, giovani e belli, chiarelettere, 2009

Arturo di Corinto, Alessandro Gilioli, I Nemici della Rete, Rizzoli 2010

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