Tous les liens de cet article sont en anglais, sauf mention contraire
Entre 2009 et 2010, un bataillon d’artistes, 102 en tout, descend dans le ventre de New York et transforme une station de métro abandonnée en galerie d’art, sous la direction de deux de leurs pairs, Workhorse et PAC. Un travail de fourmi, et dangereux, The Underbelly Project avait pour but de revenir aux fondamentaux du graffiti, d’accomplir une action authentique et poétique, à une époque où Banksy et JR sont sur-médiatisés et sur-vendus.
Nous sommes dans une époque où l’on oublie les sources de la passion des artistes,” nous raconte Samantha Longhi de Graffiti Art Magazine [fr]. “Le marché de l’art s’est envolé. Les organisateurs de l’Underbelly project ont voulu revenir aux sources du street art, avec l’envie de montrer le travail de plusieurs artistes sans dimension marchande. Pour le plaisir de peindre.”
Difficile d’en savoir plus sur ce projet hors du commun, les participants ne souhaitant pas s’exprimer sur le sujet ou étant tout simplement injoignables. La médiatisation, sans doute trop précoce, du projet en octobre 2010, via un article dans le New York Times , a fait tourner la tête de la MTA , la RATP new-yorkaise. Dans l’ère post-11 septembre, 102 artistes ont graffé pendant 18 mois dans une station abandonnée du réseau, au nez et à la barbe des autorités.
Un exploit qui peut leur coûter très cher, le graffiti étant considéré comme un crime aux États-Unis. En témoigne la récente arrestation de Revok à Los Angeles, un des artistes du Underbelly project, qui a écopé de six mois de prison ferme et d’une caution fixée à 300.000 dollars.
Les organisateurs et les artistes ou photographes impliqués se font donc très discrets, en témoigne cette réponse d’un des participants à ma demande d’interview : “Maybe this is a bit paranoid or whatever, but honestly I’m not very comfortable answering any questions for an article relating to The Underbelly Project at this point (…) I’m sorry I can’t be more helpful.”
En France, le graffiti, même s’il n’est pas nommé par la loi en tant que tel, est considéré comme un délit passible de 30.000 euros d’amende et deux ans de prison ou 3.750 euros et des travaux d’intérêt général en fonction de la gravité des dommages causés.
Dans ce projet qui mêle street-art et exploration urbaine, les graffeurs autant que les photographes font de la ville leur terrain de jeu. La performance, le challenge, l’adrénaline, la curiosité et le jeu font partie de l’équation. Tous prennent des risques physiques, juridiques et financiers potentiellement importants. Comme le résume très bien le LTVS squad sur son site : “Pour résumer, nous explorons “des lieux interdits” que nous documentons, dans New York et ses alentours. Nous sommes des fanatiques de l’exploration urbaine sans être des têtes brûlées. Nous aimons profondément le vieux New York.”
Une relation de confiance s’établit bien souvent entre les producteurs de cet art éphémère, destiné à être passé au Kärcher, et les photographes qui mettent en valeur et documentent leur travail. Parmi les photographes, qui ont pu pénétrer dans la station, Ian Cox de Walkandy, Luna Park de Robotswillkill et RJ Richmond de Vandalog. “La dimension documentaire est importante,” reconnait Samantha Longhi, de même que reproduire l’ambiance si particulière à un lieu. Justement, quid de l’exportation du projet Underbelly dans d’autres villes, de la sortie du livre et de l’exposition annoncée ?
Il était question d’exporter le projet, continue Samantha Longhi, des repérages ont été faits dans d’autres villes, mais pour l’instant les curateurs du projet préfèrent se tenir tranquilles. Le projet a eu pas mal de bâtons dans les roues, il ont eu des soucis avec la police sur place [à New York], il y a eu des fuites et du vandalisme pour trouver la station. Il était prévu de faire une exposition à l’Opera Gallery avec la sortie du livre, mais tout est en suspens, y compris le site internet du projet, pour des raison sécuritaires et juridiques.
La galerie a été vandalisée, et la MTA ne devrait pas lâcher le morceau, dans une des villes les plus répressive contre le graffiti, qui en est pourtant le berceau.
Les politiques successives depuis les années 1980, dont celles de Rudy Giuliani et Michael Bloomberg, maires de New-York, ont mis en place plusieurs “Task Force” anti-graffiti ou anti-vandalisme.
Sur le site officiel de l’état de New York on peut lire que “la lutte contre le graffiti fait partie de l’éducation des citoyens“, et plus loin, que “500 dollars seront offerts pour toute dénonciation“.
Samantha Longhi, qui connait les personnes impliquées dans le projet, ajoute qu’ils ont en leur possession des dizaines de milliers de photos non publiées, des vidéos ont été réalisées, le projet a été très bien documenté, toujours avec ce souci d’être libre dans l’exécution et de revenir aux sources :
Contrairement a une exposition comme celle qui se tient en ce moment au MOCA de Los Angeles, l’Underbelly reste dans les codes originels du graffiti. Les artistes se sont co-optés entre eux, sans distinction de notoriété ou de valeur marchande. Les curateurs sont des graffeurs. La recherche d’authenticité est une question permanente dans ce milieu.
En attendant d’en savoir plus sur cette aventure collective hors norme, voici l’une des rares vidéos disponibles sur Internet. C’est une installation de IAM faite pour l’Underbelly Project et filmée par Jason Eppink. La Shadow Machine est un système de projection analogique qui reprend des photographies de Jules Edward Muybridge [fr].
The Shadow Machine par Jason Eppink sur Vimeo.
Des stations de métro abandonnées à New-York : http://www.columbia.edu/~brennan/abandoned/ [en]
Une possible localisation de la station Underbelly serait la station South 4th Street à South Williamsburg, Brooklyn. [en]
Retrouvez notre Une sur les explorateurs urbains (illustration CC Loguy)
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