OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 LGBT: la lutte de la rue aux ministères http://owni.fr/2011/06/29/lgbt-la-lutte-de-la-rue-aux-ministeres/ http://owni.fr/2011/06/29/lgbt-la-lutte-de-la-rue-aux-ministeres/#comments Wed, 29 Jun 2011 15:05:12 +0000 Thierry Schaffauser http://owni.fr/?p=72069 Je vis au Royaume-Uni depuis 2007. Ici, l’égalité des droits existe officiellement depuis que le Civil Partnership Act reconnait aux couples de même sexe les mêmes droits qu’aux couples hétérosexuels. Seul le mot mariage est différent, mais ça aussi on nous dit que ça va arriver. Alors oui, ça crée une différence énorme parce que symboliquement les hétéros britanniques doivent s’habituer depuis 2005 à ce qu’on soit réellement leurs égaux en droits. Il ne s’agit pas que du civil partnership ou de l’adoption. Il y a aussi, par exemple, des trucs qui ne risquent pas d’exister en France pour bientôt parce qu’en France, on est contre le communautarisme.

C’est ce qu’on appelle ici la diversity policy ou affirmative action traduit incorrectement en français par « discrimination positive ». Des entreprises s’engagent à embaucher des homosexuels, les chaînes de télévision à avoir des personnages ou animateurs homosexuels, la police recrute des gays et des lesbiennes au sein du LGBT police board qui se spécialise dans l’accueil des victimes LGBT (lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres) et l’investigation des crimes homophobes et transphobes. Les syndicats ont des conseils spécifiques pour les minorités, dont les LGBT, afin de traiter spécifiquement les discriminations homophobes dans le monde du travail, les agences d’adoption passent des pubs dans la presse gay pour nous inciter à adopter et nous convaincre que nous pouvons nous aussi être de bons parents.

Coming out, en anglais dans le texte

En plus de ces politiques communautaristes assumées, il y a une très forte visibilité presque partout. On n’attend plus que les footballers professionnels fassent leur coming out. Sinon, on a déjà des dizaines de députés et ministres ouvertement gays, des évêques de l’Eglise anglicane, des humoristes, des tonnes de célébrités qui se marient devant les cameras et les photographes des magazines, et quand on parle de stars, c’est du genre Elton John, Jimmy Somerville ou George Michael, des stars internationales donc. Faut dire que la pratique de l’outing n’a pas été qu’une menace ici, et on voit le résultat.

Enfin dernière différence, le mouvement gay ici est riche. En France, on a Pierre Bergé. Au Royaume-Uni, il y en a des dizaines qui financent toutes sortes de charités au profit de la communauté. En France, on milite sans argent ou on est dépendant de la subvention de la Mairie de Paris qu’il ne faut surtout pas critiquer. Au Royaume-Uni, ils font du fundraising et du networking afin d’avoir l’appui de gens puissants. Le Labour party a permis beaucoup de ces réalisations, mais le nouveau gouvernement de coalition entre les conservateurs et les libéraux ne revient pas sur les mesures d’égalité. C’est acquis pour tout le monde.

Alors vous me direz que ça a l’air bien. Ils ont presque tout. Oui, c’est vrai, on a presque tout si on est riche et puissant. Mais en réalité le mouvement gay n’existe plus depuis la campagne contre la section 28 qui interdisait de parler de façon positive ou neutre de l’homosexualité. Le mouvement gay au Royaume-Uni, c’est juste un business, tout comme la lutte contre le sida d’ailleurs. Pride London n’a aucun message politique et pense juste à devenir la plus grande Europride pour 2012. Il s’agit juste d’une fête commerciale et les associations qui veulent l’autorisation de défiler derrière les barrières de ‘sécurité’ de la parade doivent payer les organisateurs. Les autres ne peuvent que regarder passer les associations, compagnies et différents représentants d’industries défiler. On y va pour applaudir les militaires et les policiers gays dans leur uniforme et ils reçoivent en général un accueil chaleureux car ici ce sont leurs ‘boys’ et que le pays est en guerre.

Officiellement il n’y aurait pratiquement plus d’homophobie dans le pays. Donc plus besoin de militer. Il y a de toute façon des lobbyistes professionnels qui sont payés par les organisations pour faire ce travail-là. L’organisation Stonewall avait été fondée par des homosexuels riches dont des célébrités comme l’acteur Ian McKellan. Aujourd’hui, elle reçoit énormément d’argent de donateurs privés, mais aussi de fonds publics car elle sait se rapprocher de politiques influents. Des groupes de professionnels gays se mettent en réseau pour se promouvoir les uns et les autres dans les sphères économiques et politiques. La presse gay n’a donc pas grand-chose à dire à part vendre des produits pour les gays d’entreprises gay ou gay-friendly.

La seule homophobie qui resterait viendrait principalement des minorités religieuses, des communautés migrantes ou ethniques, des personnes des classes sociales inférieures. C’est ce qu’on peut lire en tout cas dans certains articles de la part de journalistes gays qui parlent à présent d’« homophobie musulmane » et croient savoir que dans certains quartiers de Londres comme Hackney et Tower Hamlets, l’homophobie serait plus forte qu’ailleurs. Un peu comme quand on parle des banlieues en France.

Pourtant, d’après moi, le mouvement gay est en train de perdre énormément en ce moment au Royaume Uni. Non pas à cause des musulmans, qui sont en fait de plus en plus nombreux eux aussi à soutenir l’égalité des droits, mais à cause des politiques de coupes budgétaires du gouvernement. Officiellement, le gouvernement soutient les droits LGBT et il est même prêt à les renforcer. En pratique, depuis qu’il est en place, il prétend que le pays est en situation de dette extrême à cause du gouvernement précédent qui, il est vrai, a donné beaucoup d’argent à ses amis des banques, et il faudrait à présent faire des économies. Bizarrement, l’idée d’augmenter les impôts, de stopper l’évasion fiscale des riches, ou d’arrêter des guerres coûteuses ne leur vient pas à l’esprit, mais réduire les services publics et les dépenses de l’Etat, ça ils kiffent. Il se trouve que parmi les coupes budgétaires, il y a en fait toutes ces subventions aux associations qui se sont spécialisées dans ce qu’on appelle ici le secteur volontaire. Au lieu d’embaucher des fonctionnaires, le gouvernement précédent a donné beaucoup d’argent à des organisations qui vont offrir des services spécifiques auprès de communautés particulièrement vulnérables.

Militants professionnels

Plein d’associations LGBT se sont créées dans les dernières années quand le Labour était au pouvoir pour faire ce travail communautaire. Broken Rainbow [en] aide les victimes de violences domestiques au sein des couples de même sexe, Galop [en] lutte spécifiquement pour aider les victimes d’homophobie, Stonewall Housing [en] tente d’aider les LGBT à se loger, Open Doors [en] s’occupe des LGBT âgés, etc. Tous ces groupes perdent leur financement public ainsi que les services VIH de prévention ou de dépistage. Il n’y a plus d’argent pour mener des enquêtes profondes contre les crimes de haine ou assurer la sensibilisation aux cultures LGBT dans les écoles à l’occasion du LGBT History month [en] chaque mois de février. Bref, tout ce que nous avons gagné en droits, ces organisations qui apportent une aide concrète au sein de la communauté auprès des personnes les plus vulnérables sont en train de le perdre en moyens et risquent parfois de disparaitre. Selon moi, c’est la pire menace depuis Section 28, sauf qu’officiellement les leaders des organisations LGBT mainstream qui ne sont plus vraiment militants, mais des professionnels, ne portent pas de discours sur ces coupes budgétaires. La plupart sont de toute façon des hommes conservateurs qui soutiennent la politique du gouvernement et ne considèrent en rien ces coupes comme une question gay.

Il est vrai que l’ensemble du pays est concerné par les coupes budgétaires et les gens se préoccupent plus de leur service public que du budget de ces associations. Mais la gestion d’un budget, c’est une question très politique, non ? Le fait que les gays, lesbiennes, bis et trans’ puissent être davantage concernés par l’accès aux services publics, l’accès aux soins par exemple, c’est bien une question politique qui devrait intéresser la communauté ? Pour l’instant, seuls quelques groupes queer radicaux comme Queer Resistance, ou des syndicalistes LGBT tentent de dénoncer cette situation. La question de ces coupes budgétaires ne sera pas une revendication de Pride London ni des journalistes gays qui sont plus préoccupés pour l’instant par les musulmans homophobes.

Récemment, l’association Stonewall a remis un prix à la ministre du Home office Teresa May, car ce ministère aurait une politique de non-discrimination et serait gay-friendly auprès de ses employés gays. Pourtant, Teresa May a voté à plusieurs reprises dans le passé contre les droits LGBT ou contre le droit à l’avortement. Elle a sans doute changé entre temps. C’est ce qu’elle dit. Mais les pratiques d’expulsion des demandeurs d’asile LGBT de la part de son ministère, elles, n’ont pas changé. Stonewall avait déjà été sous le feu des critiques l’année d’avant pour avoir nominé la journaliste lesbienne Julie Bindel pour un prix similaire. Or, Bindel, influencée par un féminisme radical séparatiste, est également fortement controversée pour ses prises de position sur les trans’ et les travailleurs du sexe. Manifestement Stonewall n’y avait pas pensé.

Aujourd’hui en France on nous dit de marcher en 2011 et de voter en 2012. On devine que ça veut dire voter pour les partis de gauche et le Parti socialiste de préférence. Mais une fois que certains dans notre mouvement obtiendront les postes qu’ils convoitent depuis longtemps, et que certains ont déjà d’ailleurs, que va-t-il se passer pour les autres ? On nous dit qu’on aura le mariage et l’adoption et je veux bien croire que le PS le fera. Mais que va-t-il arriver pour les autres qui ne sont pas dans une situation de vie de couple ou familiale, voire qui rejettent ce mode de vie ? Est-ce que le mouvement gay ne risque pas de s’arrêter tout simplement une fois que chacun pensera que nous avons acquis l’essentiel avec l’égalité des droits? N’est-ce pas ce qui est déjà en train d’arriver quand on nous appelle juste à voter comme s’il suffisait de faire confiance à nos élus ?

Récupération impérialiste

Surtout, il faudrait comprendre que ce mouvement n’est pas que gay, ou pas que LGBT, si on prétend sérieusement à l’inclusion. Les hommes gays ne peuvent pas parler au nom des LBT comme ils le font, et c’est pour ça que je parle surtout de mouvement gay dans ce texte au lieu de reprendre l’ensemble LGBT habituel qui finalement ne veut rien dire à part une forme de récupération impérialiste si je comprends bien la critique de Lalla Kowska-Régnier.

Ce mouvement est aujourd’hui représenté par des personnes qui font en partie carrière grâce à lui. Mais j’aimerais que nous n’oublions pas qu’il a été initié et vit encore à travers des personnes qui se battent parce qu’elles savent qu’elles n’ont plus rien à perdre. Je pense aux personnes qui n’ont ni carrière, ni réputation, ni famille à défendre ou à protéger. Je pense aux putes, folles, trans’, squatters, usagers de drogues, séropos, précaires, chômeurs, banlieusards, butches, immigrés, SDF, etc. Toutes ces personnes qui sont parfois stigmatisées comme trop radicales, donnant une trop mauvaise image, trop sexuelles, trop communautaristes, trop en colère, trop hystériques ; toutes ces personnes qui n’ont même pas la possibilité de cacher qui elles sont dans un placard doré, qui ne peuvent pas acheter l’acceptation des hétéros car elles n’ont pas d’argent, et qui n’ont pas de garde du corps pour les protéger quand elles se font agresser. Ces personnes, à y regarder de plus près, forment la majorité de notre communauté.

Notre avenir, ce n’est pas juste un bulletin de vote dans l’urne et une ou deux lois. Notre avenir doit rester politique et penser au delà des catégories LGBT. Notre avenir, c’est de continuer à lutter jusqu’à ce que tout le monde bénéficie de ce mouvement de libération. Notre libération sera commune et celle de toutes ou ne sera pas.


Article initialement publié sur Minorites.org sous le titre “LGBT du futur : clientélisme politique et coupes budgétaires”
Crédits Photo FlickR CC by-nc lewishamdreamer / by ceajae / by-nc KJGarbutt

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En défense du porno http://owni.fr/2011/06/19/en-defense-du-porno/ http://owni.fr/2011/06/19/en-defense-du-porno/#comments Sun, 19 Jun 2011 13:58:40 +0000 Didier Lestrade http://owni.fr/?p=70486

Note: certains liens de cet article sont NSFW

Le porno est partout. Ça effraye beaucoup de monde parce que les gens n‘ont toujours pas compris à quoi ça sert. Et cela fait des années que j’écris sur ça, que d’autres le font aussi, et les préjugés sont toujours les mêmes. Et même si certains de ces préjugés sont absolument recevables, il y a certaines choses qu’il faudrait mettre au clair, parce que l’époque a changé, parce que le porno a changé, et que tout ça va devenir de plus en plus important.

Pour commencer, quand j’écris sur le porno dans mon site perso, les pics de visites sont énormes. Ça monte tout de suite, dans l’heure. Cela finit même par m’amuser. Je passe quelque temps sans rien écrire sur ce site, ou alors je publie des textes qui ont un rapport avec des archives, la musique ou le sida, mais rien n’attire les internautes autant que le porno. Cela ne veut pas dire que ce que j’écris est intéressant en soi, cela veut dire que la curiosité est intense et que beaucoup de personnes ont envie de lire un point de vue différent sur le porno, parce que ça les excite, ou qu’ils veulent apprendre. Car malgré le nombre important de blogs qui traitent de ce sujet, il y a relativement peu d’analyse sur l’actualité, ou sur ce que ça veut dire.

Récemment, il y a eu un échange assez vif sur Facebook avec des amis que j’aime beaucoup qui me mettaient en face de mes contradictions. Comment moi, quelqu’un très engagé sur la prévention, le consumérisme gay, la compulsion, la morale, la vie intime, pouvait encourager et légitimer une telle industrie basée sur la prostitution, parfois la drogue et le sida ? Comment pouvais-je trouver ça excitant tout en connaissant le background et le symbole culturel que cela représente ? Et surtout, est-ce que ça n’allait pas me retourner dans la figure ?

Je suis absolument conscient de toutes ces questions. Elles sont dans tout ce que j’écris, depuis plus de 15 ans sur le porno car mes considérations positives sont toujours équilibrées avec la description du côté sombre de cette production. Alors je vais essayer d’être clair et même si je me doute que cela ne fera pas changer d’avis les copains qui sont contre le porno, au moins cela mettra les choses en perspective.

D’abord, j’ai absolument pas peur d’un quelconque backlash. Allez-y, je vous attends. Dès la création de Têtu, en 1995, nous avons parlé du porno parce que nous avions décrété que c’était un sujet important, non seulement au niveau de l’actualité de la production (chroniquer les films qui sortent), du fonctionnement des réalisateurs en les interviewant au même niveau que des stars de la chanson ou du cinéma normal, et en consacrant des dossiers à l’histoire de ce mouvement chez les gays. Il y avait une idée politique dans le fait d’analyser la sexualité dans les films en revendiquant que c’est un aspect fondamental de la culture gay, qui a eu l’impact que l’on sait sur tout le reste. La mode de Jean-Paul Gaultier, les shows de Madonna, les dessins de Tom of Finland, la littérature, la photographie de mode, l’art contemporain, le design, la drague sur Internet, tout est influencé par le porno. Il n’y aurait jamais des phénomènes culturels gays comme le cuir, les clones, les bears, les hipsters aujourd’hui sans le porno. Regardez la première vidéo de Frankie Goes To Hollywood, Relax, et dites-moi que le porno n’est pas la source principale d’influence. C’est quand même effarant d’avoir à rappeler ça dans une culture homosexuelle où le sexe est absolument central, et pas dans sa version douce de l’érotisme. Non, c’est de la pornographie.

Les secrets de l’homosexualité

Tout ce qui était underground chez les gays est devenu majeur culturellement grâce à l’influence du porno. Maintenant que Taschen a vulgarisé les plus grands secrets de l’homosexualité, et on ne cessera de les remercier pour ça, la sexualité gay est devenu un sujet d’art et de consommation quotidienne. Et pourquoi ? Parce que le porno est un des domaines où les gays ont été les plus innovants et, dans ce domaine, ils sont toujours à la pointe de la création. Cela ne se voit pas seulement à l’activité sexuelle qui est montrée dans les films, c’est tout ce qui l’entoure : les génériques, la musique (parfois), la qualité de l’image, le design, le contenu des bonus, le développement marketing des marques des studios, leurs logos, le look des acteurs, leurs personnalités, etc.

Bien sûr, pour un bon porno il y en a dix qui sont mauvais et parfois très mauvais, mais c’est pareil dans toute forme de création et surtout, surtout : c’est toujours intéressant de décrire un porno nul, car il y a aussi beaucoup de choses à exprimer et à décrire – et parfois très drôles.

Donc si le porno est capable de créer un fusion entre le sexe et l’art (ce qu’on voit très bien à travers l’essor de Tumblr, qui va prendre de plus en plus la place de Facebook pour certains d’entre nous, parce qu’on y découvre plus de choses), il faut se poser des questions sur cette capacité qu’a le porno gay de sortir de sa mauvaise réputation – et je trouve que sur ce point, le porno hétéro a encore beaucoup de travail à faire.

Car mon point de vue est très différent de ce qui se passe dans le porno hétéro. Je parle ici d’une sexualité entre hommes. Et nous sommes des hommes, bordel. On ne va pas commencer à avoir des jugements à chaque fois qu’on voit un mec en train de sucer une bite ou un anus avec une bite dedans. On n’en a rien à foutre des considérations féministes dans le porno gay, OK ? On ne va pas s’excuser pour quelque chose que des femmes pourraient nous reprocher dans la sexualité entre hommes, OK ? Si elles ne comprennent pas, on s’en branle. Et si certains gays pensent comme des féministes, très bien, mais à mon avis il y a d’autres domaines dans lesquels ils feraient mieux d’intervenir avant de cracher sur le porno. Commencez par DSK.

D’une manière générale, le porno est un moyen évident pour comprendre l’évolution des pratiques sexuelles. On peut être d’accord ou pas avec certaines attitudes et il y a beaucoup de choses qui me gênent énormément dans les pratiques, comme le fait de se cracher dessus et la prévention que j’aborderai plus loin dans ce texte, mais je pense sincèrement que c’est une chose de critiquer ces pratiques et de refuser de les regarder quand si peu d’études comportementales abordent le sexe gay tel qu’il se pratique.

Oui, le porno influence notre manière d’aborder le sexe, mais le porno est aussi influencé par ce que font déjà les gays. C’est un miroir déformant, mais cela reste un miroir pour beaucoup d’entre nous qui n’allons pas sur les sites de rencontre, qui n’ont pas une sexualité débordante et qui se contentent très bien de ce qu’on appelle le vanilla sex (le sexe basique). Il ne faudrait pas oublier que le porno est à la base du sexe par procuration. On regarde souvent ce que l’on ne fait pas soi-même, soit parce que la vie est comme ça, ou parce que d’autres (les acteurs porno en l’occurrence) sont meilleurs que nous et sont capables de performer d’une manière qui les met vraiment à part.  Et même si tout le monde, en particulier les jeunes, s’avère très technique aujourd’hui, c’est parce que la pratique de la sexualité s’est effectivement libérée, même si tout le monde est loin d’être aussi performant que dans le porno.

Donc on pourrait presque dire que les acteurs sont des virtuoses de la sexualité, ils sont des artistes de leur genre, ils ne deviennent pas célèbres uniquement parce qu’ils sont jolis ou parce qu’ils ont une grosse bite. Et je crois que c’est une des raisons principales de la gêne que procure le porno à certains, et même chez les fans, c’est que cela nous met dans une position d’infériorité, forcément, parce qu’on a beau être bon dans le sexe, le porno présente toujours une version améliorée, comme un Best Of, puisqu’on ne garde que le meilleur (enfin, pas toujours). C’est un peu comme quand vous allez voir un concert : vous êtes émerveillé par le talent de l’artiste, mais cette supériorité vous rappelle forcément que vous ne seriez pas capable d’atteindre un tel niveau d’excellence.

Le bus et le taxi

Il y a une chose qui m’a toujours fascinée. Il y a beaucoup de gays qui n’aiment pas le porno parce qu’ils n’en ont pas besoin. Ils peuvent se branler mentalement, sans avoir à recourir à des images ou à des films. Je trouve ça normal mais, d’un autre côté, j’ai toujours vu ça comme une limite. C’est comme ce que me dit toujours un de mes amis: « À quoi bon attendre le bus quand on peut appeler un taxi ? » Bien sûr, tout le monde n’a pas l’argent du taxi, et je prends toujours le bus et le métro, mais vous comprenez l’idée. Pourquoi refuser quelque chose qui est conçu pour apporter du plaisir ? Il y a assez de catégories différentes de porno pour trouver un réalisateur qui produit exactement le sexe que vous aimez.

Il y a aussi ceux qui disent qu’ils ne comprennent pas cette obligation gay à encourager une uniformité physique, un idéal de la beauté et de la musculature. Il y a 30 ans, quand j’ai commencé Magazine, j’étais tout le temps effaré quand quelqu’un me disait: « Mais quel est l’intérêt de montrer des hommes toujours musclés, avec la peau huilée pour mettre le corps en valeur ? »

Hello ? Oui, c’est un idéal, et alors, il faudrait s’empêcher de le voir ? On a beau être des crevettes, si on avait le choix, je suis persuadé que tout le monde serait content de vivre avec des abdos et des biceps qui ressemblent à quelque chose. Et le sport, on ne va pas commencer à dire que c’est mal de faire du sport, OK ? Et oui, il y en a pour qui ça devient une obsession, qui se rasent tous les poils et qui veulent se conformer à ce que les médias gays nous présentent, mais on est sorti de ça depuis pas mal de temps et aujourd’hui, les gays ne se sont jamais autant montrés tels qu’ils sont, pas rasés, pas musclés, et les bears, c’est surtout un phénomène culturel et esthétique qui valorise l’embonpoint, donc même la culture gay a évolué, et le porno a contribué à ce besoin de voir des hommes différents.

La photographie masculine a toujours été une recherche de l’extraordinaire. Que serait le travail de Bob Mizer, de Robert Mapplethorpe, de Pierre & Gilles et de Wolfgang Tillmans sans cette recherche de la beauté ? Tout ça est de l’Art avec un grand A désormais. Je refuse catégoriquement de m’excuser pour cette recherche de la beauté, elle est à la base de toute ma passion de vie, et je ne suis pas un pervers qui fait des choses condamnables dans ma vie privée. Le porno est une chance unique de voir ces hommes, célèbres ou pas, nous inviter dans l’intimité de ce qui est le plus profond chez eux, le sexe, le plaisir, l’orgasme.

Et ce n‘est même pas du voyeurisme, bien que je n’ai aucun problème avec ça non plus, c’est la modernité de notre époque qui fait que les hommes se livrent au regard extérieur et c’est aussi toute la base des sites de drague, de Tumblr, de Facebook et du porno. C’est la société qui nous empêchait, avant, de communiquer cette nudité et ce sont toujours les forces réactionnaires qui veulent nous empêcher de partager quelque chose que l’on n’avait pas le droit de montrer avant. C’est pourquoi Porno Is The New Black, c’est le phénomène culturel le plus important de notre époque car Internet est derrière. Et c’est juste le début.

Alors, bien sûr, quand on en arrive à ce niveau de pudeur perdue, on arrive évidemment à des excès et j’en ai assez parlé dans mon livre The End, sur l’influence que cette valeur marchande peut avoir sur la prévention du sida. Quand j’ai chroniqué les premiers films de Treasure Island Media sur mon site, même mes amis m’ont dit que c’était dangereux, que c’était contraire à mes convictions.

Il se trouve que TIM m’a envoyé depuis des années presque tous leurs DVDs donc je commence à avoir une idée complète de ce qu’ils font. C’est un studio leader qui montre des trucs qui me donnent la gerbe et vraiment, qui ne m’excitent pas. Pour rester pudique, je me contenterai de dire que j’y arrive pas. Et je suis totalement conscient de tout ce qu’écrit Madjd Ben Chickh dans cette Revue 86 de Minorités, je le sais, je le pense. Ce délire sur le fait de contaminer les autres, le sperme qu’on congèle pour l’inoculer avec des grosses éprouvettes, c’est un cauchemar. Mais TIM sait sortir aussi des films qui sont filmés différemment, avec des plans plus larges, et alors là, c’est objectivement la bombe.

Treasure Island et la vanille

Mais c’est ce que beaucoup de gays font aujourd’hui, même à moindre dose. Je ne sais pas si Paul Morris [en], le patron de TIM, a convaincu les gays de le faire ou si ce sont les gays qui ont demandé à Treasure Island de faire ça, la poule et l’œuf, le fait est, la fascination pour le sperme existe aujourd’hui comme elle n’a pas existé depuis les années 70.

Et si cela était réservé aux méchants barebackers lipodystrophiés de Treasure Island, ça serait facile à mettre de côté, dans une case. Mais les jeunes d’aujourd’hui sont les leaders de cette obsession du sperme. Elle est réelle. Elle ne va pas partir. Les traitements contre le sida ont à nouveau changé notre vision du sperme. Et même si moi je ne touche pas le sperme des autres à moins d’avoir une perche de 5 mètres (j’exagère), je sais que le sperme est redevenu central pour une majorité de gays, même ceux qui sont dans le sexe vanille.

Donc, encore une fois, il est intéressant de se demander quelle est la vocation du porno et dans quelle mesure ce qui est dangereux n’est pas fait par procuration, comme tout le reste du porno est fait par procuration. Sans mentionner que notre regard sur ces films bareback n’est même plus celui que l’on avait au début des années 2000, quand Dustan a défendu l’abandon de la capote pour admettre, avant de mourir, que « ça allait trop loin ». Dix ans ont passé et on ne s’est pas « habitué » au bareback, mais il est tout autour de nous, exactement comme le cinéma a poussé de plus en plus loin l’illustration de l’horreur avec des films vraiment effrayants comme  Saw et The Human Centipede. Car à côté de ça, TIM c’est presque de la rigolade.

Je voudrais vraiment insister sur un point. Depuis 1987, les films pornos américains, et les autres qui ont suivi, ont été safe. Cela fait donc 25 ans qu’une grande majorité du porno officiel, celui des grands et petits studios, est safe. Bien sûr, il y a toujours un ou deux films chez Raging Stallion ou ailleurs qui débordent, où les mecs sucent la bite après avoir joui, ou jouissent sur des muqueuses à éviter. Mais quand ça arrive, on le note toujours.

Il y a réellement un glissement qui s’opère, on ne sait pas si les grands studios vont persister à rester safe quand les grands profits se font avec les films non-safe des petits studios, mais pour l’instant, ça tient toujours. Et cela ne veut pas dire que les acteurs sont safe dans d’autres films ou qu’ils le sont dans la vraie vie. Moi je pars toujours du principe qu’ils ne le sont pas. Mais je reste fasciné, et émerveillé, et reconnaissant de voir qu’une partie énorme de la production porno, et la plus prestigieuse, parvient à produire encore et encore des films excitants qui sont safe.

Donc les gens qui disent le contraire ne connaissent pas le porno comme je le connais. Je reçois ces films depuis trop longtemps pour voir la constance du safe sex, malgré des pratiques qui évoluent, dans un marché énormément mouvant, avec des studios majeurs qui sont rachetés par d’autres et une influence du téléchargement toujours plus rapide, instoppable. Et ce n’est pas uniquement une vitrine. Ces grands studios, ces grands acteurs, performent toujours du safe sex. Une scène de pipe, maintenant, c’est 20 solides minutes. Une pénétration, ça dure des heures. Les occasions de ne pas être safe se présentent à chaque seconde. Et le minuteur s’allonge, et le film se termine, tout a été safe ET excitant, la preuve, vous avez joui, et avec le sourire s’il vous plait. Donc il faudrait quand même reconnaître cette constance d’esprit et quand on me reproche de « cautionner cette industrie », je la cautionne aussi pour ce maintien de l’effort de la prévention.

Sur FB, mes amis Anglais ont été les plus catastrophistes sur les liens entre le porno et la prostitution. Moi je trouve ça étrange car c’est à Londres qu’on a vu en premier, en Europe, des cabines de téléphone remplies d’annonces de nanas à poil, alors qu’on France, la prostitution chez les gays est un phénomène assez récent. D’ailleurs, il serait intéressant de voir s’il y a un lien de causalité entre cette émergence de la prostitution de masse à Londres à une époque où les vidéos et les revues pornos étaient toujours interdites mais bon. Dans tous les gratuits gays de New York ou de Londres, il y avait alors des pages et des pages et des pages d’escorts dès les années 90. En France, vous pouvez toujours chercher, mais il n’y en a toujours pas dans les canards gays. C’est passé directement sur Internet.

Et là aussi, je pense que la prostitution pour les hommes, c’est pas pareil que pour les femmes. Je me suis payé un mec que deux fois dans ma vie, une fois à New York et une fois à Marrakech, avec des hommes adultes à chaque fois. Et ça n’a pas été renversant, mais je n’ai pas de blocage là-dessus. J’ai même une idée sur ça : pour moi, le porno gay est beaucoup moins associé à la prostitution que le porno hétéro. On voit certains acteurs porno disparaître d’une manière violente, mais j’en vois aussi beaucoup qui sont capables de sortir de cette époque de leur vie sans qu’ils se fassent hara-kiri. C’est parce qu’ils ont intégré, eux aussi, la banalité de la pornographie et de la prostitution et qu’ils ont été capables de dépasser toutes les cochonneries éthiques que l’on ne voit pas dans le porno, qui sont off caméra, même si les bonus de making-of dans les DVDs nous ont montré aussi que vraiment, c’est pratiquement plus cool que beaucoup de choses qui se passent dans les backrooms. C’est plus propre d’abord, plus boring, et plus professionnel.

Le bio et McDo

Enfin, pour finir, parce que je pourrais parler de ça pendant des heures et ce texte est déjà trop long. Si vous voulez dire que lorsqu’on est un vrai écolo, on ne va pas chez McDo pour manger un burger, je suis d’accord. Mais je vais au McDo une ou deux fois par mois parce que j’aime vraiment trop ça et pourtant je recycle tout, j’ai mon compost, j’économise l’électricité, je débranche mes appareils domestiques, je ne chauffe pas ma maison comme un branque et je ne roule pas beaucoup, par choix.

Donc si on défend la prévention du sida, on n’encourage pas l’industrie porno, on retourne aux vieux Honcho des années 90 ou, mieux, on passe sa vie dans les bars et les lieux de drague  à attendre Mr Right. Bullshit to that. On verra comment vous serez à 53 ans avec 25 ans de vie séropositive derrière vous. Les filles, dans ce cas, je vous propose de faire un petit tour des autres industries et vous conviendrez, comme moi, qu’elles sont toutes aussi pourries que l’industrie porno.

La musique ? Pfff, regardez Universal et le mal que ça a fait à la musique. Le cinéma ? C’est aussi un outil de propagande. L’édition ? Je ne sais même pas comment j’arrive à publier des livres avec toutes les choses affreuses que j’ai pu écrire sur le monde de l’édition. Les médias ? C’est devenu une profession détestée, à juste titre. L’agriculture ? Ce sont les agriculteurs qui ont créé la malbouffe, pas les industriels. Le sport ? C’est la FIFA. L’art ? Give me a break, ce sont les pires. La politique ? Vous rigolez j’espère. Toutes ces industries, car ce sont des industries, ont perdu toute valeur morale en l’espace de 15 ans seulement.

Et franchement, je ne suis pas obsédé ou quoi, mais un DVD porno me donne plus de satisfaction qu’un CD, qu’un film, qu’un livre, qu’une revue, qu’un repas, parce que le caca qui est derrière est finalement tellement moindre que le caca énorme qui existe derrière toutes les autres industries. Au moins, c’est un caca toujours minoritaire, gay, et qui me ramène toujours, inconsciemment ou pas, à mes origines. Rick Wolfmier, Mike Betts. Maintenant, essayez de faire mieux que ces deux hommes.

Billet initialement publié sur Minorités

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Jeunes gays, demain ce sera bien http://owni.fr/2011/06/16/itgets-better-youtube-homosexualite-jeun/ http://owni.fr/2011/06/16/itgets-better-youtube-homosexualite-jeun/#comments Thu, 16 Jun 2011 13:39:44 +0000 Alexandre Léchenet http://owni.fr/?p=67696 (tous les  liens de cet article redirigent vers des ressources en anglais)

Le 22 septembre 2010, vers 21 heures, la nuit s’installe entre les gratte-ciels. Sur le pont George Washington qui relie le nord de Manhattan au New Jersey, des passants trouvent un porte-feuille contenant un permis de conduire et une carte d’identité. Le jeune Tyler Clementi a sauté quelques minutes plus tôt.

Trois jours avant, le 19, Tyler prévoyait de passer une soirée en compagnie de son copain. Il avait avertit son colocataire qui racontait alors sur Twitter :

Mon colocataire a demandé la chambre jusqu’à minuit. Je suis allé dans une autre chambre et j’ai allumé ma webcam. Je l’ai vu embrasser un homme. Youpi !

Deux jours plus tard, le colocataire poste un nouveau tweet :

À tous ceux qui ont iChat, je vous défie de me rejoindre pour un chat vidéo entre 21 heures 30 et minuit. Oui, ça se reproduit à nouveau.

Sur le forum JustUsBoys.com, dans une conversation retrouvée par Gawker, le jeune Tyler s’inquiétait. Ayant aperçu le message sur Twitter, il demandait aux membres quelle solution trouver pour régler ce problème d’espionnage. Son dernier message sur le site raconte qu’il va remplir un formulaire pour changer de chambre. Le lendemain, il est mort.

“Ça va aller mieux”

Une demie-douzaine de suicides de jeunes homosexuels est très médiatisée en septembre 2010. Dan Savage, chroniqueur pour The Stranger, journal de Seattle, rappelle dans une de ses chroniques que 9 jeunes homosexuels sur 10 se font harceler pendant les années lycées. Jeunes auxquels on peut ajouter ceux dont on suppose l’homosexualité sans qu’elle ne soit avérée.

Il explique ensuite qu’il aimerait aller dans les écoles expliquer que ça peut s’arranger, faire de la pédagogie. Cependant, dans de nombreuses écoles, la porte est fermée aux personnes souhaitant évoquer l’homosexualité. Alors qu’ils viendrait pour raconter la difficulté de faire accepter son homosexualité, certains parents et professeurs considèrent ces interventions comme des convertissements.

J’aurais aimé lui parler ne serait-ce que cinq minutes pour lui expliquer que ça s’améliore ensuite,  mais c’est impossible. Il m’est alors apparu que je pouvais lui parler grâce aux réseaux sociaux.

Devant ce constat, il enregistre avec son mari une vidéo où il explique que, malgré le harcèlement dont ils furent tous les deux victimes à l’école, c’est allé mieux ensuite, ils se sont rencontrés et sont aujourd’hui heureux. Ils ajoutent que, globalement, ça va mieux après. Dan Savage héberge la vidéo sur une chaîne Youtube créée pour l’occasion et intitulée It Gets Better . Il invite ses lecteurs, dans sa chronique, témoigner à leur tour et à déposer leurs messages de soutiens et d’espérance sur la chaîne Youtube à destination des jeunes qui font face à ces problèmes à l’école.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Les contributions arrivent alors nombreuses, poussées entre autres, par la médiatisation du suicide de Tyler Clementi qui a eu un écho important au même moment. L’initiative est rapidement relayée par les médias nationaux et  un site est alors construit avec Blue State Digital, cheville numérique de la campagne en ligne de Barack Obama, pour encourager la production et la dissémination des vidéos.

Les personnalités politiques, comme Barack Obama, et de nombreuses entreprises profitent pour témoigner à leur tour et se lancer dans l’aventure It Gets BetterApple, Pixar et Facebook ou Gap ont, par exemple, proposé leurs versions. Tombant parfois dans le gaywashing, telle cette publicité pour Google Chrome utilisant la campagne.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

“Donnez leur de l’espoir”

L’intérêt de cette campagne, selon Mary L. Gray, sociologue et anthropologue, est que Youtube offre un espace de dialogue important et que ces vidéos peuvent sauver quelques jeunes qui y trouvent une aide bienvenue et une occasion d’imaginer leur futur. Les réseaux sociaux permettent un dialogue quand il est parfois difficile de trouver un interlocuteur avec qui parler de sa sexualité près de chez soi.

Parmi les 20 000 vidéos créés depuis le 21 septembre 2010, certains témoignages sont très émouvants comme celui d’un élu de Fort Worth, au Texas qui raconte le suicide d’un jeune lycéen de son administration à l’âge de 13 ans. Il enchaîne ensuite sur une confession sur les difficultés qu’il a rencontré pendant ses jeunes années.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Souffre et attends

Cependant l’opération révèle plusieurs problèmes assez importants raconte Mary L. Gray. Le premier est l’attitude attentiste qu’il suppose : la seule chose qui règlerait les agressions homophobes serait le temps. La campagne, même si elle donne de l’espoir aux jeunes agressés, ne règle pas le problème du harcèlement à l’école et entérine l’idée que celui-ci est irrévocable et normal. Elle suppose également que tout harcèlement est homophobe et que si un jeune fait trop efféminé, et est agressé, c’est qu’il est homosexuel.

L’école est le moment où l’on apprend à devenir des adultes, des citoyens et des employés. Tout comportement ne correspondant pas à ce qui est considéré comme normal peut donc être cause d’intimidation par ses pairs. En France, en mai 2011, Luc Chatel était un des premiers ministres à évoquer publiquement le sujet, en ouvrant les Assises nationales sur le harcèlement à l’École.

Dans cette quête du camarade de classe normal, un des problèmes est celui du genre et de la sexualité. À ce niveau, le lycée, et particulièrement aux États-Unis confie Mary L. Gray, est le lieu où sont produits des rituels permettant de faire apparaître une masculinité et une féminité normée. Notamment en s’affichant avec une petite-amie ou un petit-ami et plus globalement en se comportant comme son genre le suppose.

Un des effets de cette normalisation affichée est que les personnes débordant un peu trop de leur genre sont qualifiées de pédales, de tapettes en France et de sissy ou de fag ou de queer aux États-Unis. Elles sont également brutalisées, poussées dans les couloirs, moquées, et donc exclues. Le suicide devenant quatre fois plus problable chez les jeunes homosexuels.

Témoins trop urbains

Tout au long des vidéos de la campagne It Gets Better, une autre impression assez étrange flotte, celle qui voudrait qu’il faut obligatoirement quitter sa province coincée pour échapper aux autres et rejoindre une ville plus ouverte où les homosexuels peuvent rencontrer des amis et des conjoints. Une vision légèrement bobo de la ville accueillante et de la campagne rustre. Dans les faits, et au moins aux États-Unis, de nombreux homosexuels vivent très bien sans quitter leur village natal.

Peu d’études se sont penchées sur ces homosexuels des champs. Dans son livre retraçant ses recherches, Out in the Country, Mary L. Gray explique que dans chaque comté aux États-Unis on peut trouver des couples homosexuels. Ils sont cependant beaucoup plus discrets que dans les villes. D’une part parce que les combats LGBT —lesbiens-gay-bi-trans—sont plutôt focalisés sur une vision urbaine de l’homosexualité. D’autre part parce qu’ils ne disposent pas des ressources et lieux de rencontres qui pourraient leur permettre d’échanger avec d’autres. Selon ses recherches, Mary L. Gray a découvert que plus tôt les jeunes faisaient leur coming out, plus ils restaient autour de leur lieu de naissance et qu’ils arrivaient à s’arranger avec leurs familles.

Dans un article sur son blog, elle explique qu’une solution, en plus des témoignages émouvants qui nous expliquent que ce sera mieux demain, serait d’essayer que ça soit mieux aujourd’hui. Ou comment It gets better pourrait devenir Make it better.


photo Flickr cc Alexandre Léchenet

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Rick Santorum: pas une référence http://owni.fr/2011/06/14/santorum-google-bombing-sodomie-referencement-sexe/ http://owni.fr/2011/06/14/santorum-google-bombing-sodomie-referencement-sexe/#comments Tue, 14 Jun 2011 09:51:54 +0000 Alexandre Léchenet http://owni.fr/?p=67756

Un mélange mousseux de matière fécale et de lubrifiant, effet secondaire apparaissant parfois suite à un rapport sexuel anal.

Cette définition presque parfaite méritait un nom. Grâce à un concours organisé par Dan Savage, tenant une chronique sur le sexe pour The Stranger, le terme est trouvé. Il s’agit du santorum. Du nom du sénateur républicain Rick Santorum, candidat à la primaire de son parti pour l’élection présidentielle de 2012. Mais l’histoire est plus compliquée que ça.

Tout commence en 2003, après que Rick Santorum a tenu des propos choquants sur l’homosexualité. Rappelant ceux récents de Brigitte Barèges en France, il assimile l’homosexualité à l’inceste, la pédophilie et compare celle-ci à des comportements bestiaux:

La définition du mariage n’a jamais inclus l’homosexualité. Et il ne s’agit pas que des homosexuels, mais aussi “homme + enfant” et “homme + chien”.

Dan Savage propose alors dans une chronique de redéfinir le terme santorum, de la même façon que le sénateur a redéfini l’homosexualité. Il lance alors un concours parmi ses lecteurs pour trouver la parfaite définition et nommer une position sexuelle en son honneur.

Pendant plusieurs semaines, il publie les meilleures contributions avant de tomber sur celle qui lui semble coller parfaitement, même si elle ne qualifie pas un acte sexuel :

C’était la définition parfaite. Il n’y avait pas de nom auparavant pour cela. Ça n’entrait en compétition avec aucune autre proposition. Ce n’est pas bienvenu. Si vous faite une sodomie correctement, ça n’arriverait pas. Et si ça arrive, c’est un peu tue-l’amour, ce que serait l’arrivée du sénateur dans la pièce au même moment.

Une fois la définition trouvée, il la met en ligne sur SpreadingSantorum.com et attend que le sénateur évoque l’opération pour lui donner de l’importance. Le blog mis en ligne sert également à suivre la dissémination du terme. Et utilise l’aide involontaire du moteur de recherche Google pour propulser son terme en tête des résultats.

Le bombardement Google (ou Google Bombing) est une méthode de référencement permettant de fausser les résultats sur un terme ou une expression précise. En effet, pour qualifier les URL qu’il visite, le crawler utilise entre autres le terme qui décrit le lien. Cette technique avait été utilisée par des militants, par exemple en 2007, où de nombreux internautes avaient fait des liens vers le site de Nicolas Sarkozy grâce au terme Iznogoud. Si bien que lorsqu’on tapait iznogoud, le premier résultat était le site de campagne du Président actuel.

Aujourd’hui, aux portes de la primaire, on peut imaginer le problème de Rick Santorum. Car 8 ans après la création du terme, il apparaît toujours en tête des requêtes et est devenu un vrai nom commun, utilisé de manière régulière. Maureen O’Connor, journaliste pour CNN, parlait en février dernier du problème Google du candidat :

Autant il est facile de cacher un site en particulier au fond des réponses de Google, autant essayer d’enterrer son propre nom est tout simplement impossible.

Car les spécialistes de l’e-réputation semblent impuissant face à cette mixture qui apparaît en première position. Et le terme n’a pas fini de faire parler de lui. Le 9 mai 2011, Jon Stewart, présentateur de The Daily Show, parlait des candidats à la primaire républicaine et soulignait leur manque de popularité. Au moment d’évoquer Rick Santorum, il déclare  :

Peut-être que ce candidat n’aimerait pas que vous le googliez. Et si vous n’avez pas saisi cette blague, allez faire un tour sur Google, santorum veut dire quelque chose d’autre…

Petite annonce qui a fait de ce terme un des plus recherchés sur le moteur de recherche le lendemain, relançant l’intérêt pour le petit problème de référencement du candidat.


image de l’American Congress et captures.

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Convertir les invertis http://owni.fr/2011/04/30/convertir-les-invertis/ http://owni.fr/2011/04/30/convertir-les-invertis/#comments Sat, 30 Apr 2011 11:00:30 +0000 Alexandre Léchenet http://owni.fr/?p=59225 Il a fallu attendre 1993 pour que l’OMS retire officiellement l’homosexualité de la liste des maladies mentales. Auparavant, en 1973, l’Association Américaine des Psychiatres aux États-Unis et le Ministère de la Santé en France en 1981 avaient fait cette modification.

À la recherche d’une origine, certains groupes religieux ancrent l’homosexualité dans la psychologie, allant chercher des explications dans le comportement ou l’histoire des personnes “touchées”. C’est ce que tente d’illustrer Alfie’s Home, un livre de Richard Cohen, “convertisseur” états-unien. Il raconte, sous la forme d’un album pour enfant, l’histoire d’un jeune garçon qui ressent une attirance pour les garçons. Un assistant social trouve avec lui les causes de ces sentiments : trop de temps passé avec sa mère, mésentente entre ses parents qui détruisent son image du couple hétérosexuel, manque d’affection de la part de son père et surtout attouchements de la part de son oncle. Le spécialiste lui explique ensuite qu’il ne fait que croire qu’il est gay alors qu’il n’en est rien. D’ailleurs, cette analyse “guérit” Alfie qui est “finalement heureux chez lui“.

Guérir l’homosexualité ?

Car si l’homosexualité s’explique par une modification psychologique de l’individu, il existe sûrement des moyens de la traiter et de permettre à ces gens de vivre en paix avec eux-mêmes et avec Dieu. Si, selon ces groupes, il faut se sortir de l’homosexualité c’est que ce comportement rend les gens tristes et surtout qu’il est interdit par la Bible.

Tu ne coucheras point avec un homme comme on couche avec une femme. C’est une abomination. (Lévitique 18:22)

Ainsi, Hubert Lelièvre, aumônier auprès de malades du SIDA, rapporte dans son livre “Je veux mourir vivant” la réponse qu’il fait aux homosexuels :

Je ne peux pas te dire que vivre dans l’homosexualité soit bien, soit une route à prendre pour sa vie. D’ailleurs, je n’ai jamais entendu l’un de vous me dire qu’il en avait été heureux.

Pour résumer, un homosexuel est triste et l’aider à oublier son homosexualité c’est avant tout l’aider à être heureux dans sa vie. Ironiquement, la solitude est également une des conséquences de leurs thérapies de conversion. La seule chose que promettent ces mouvements, c’est d’oublier ses tendances et de vivre à jamais célibataire ou abstinent. Le site Truth Wins Out qui a pour but de démystifier ces thérapies aux États-Unis relève d’ailleurs toutes leurs déclarations à ce sujet dans une rubriqueEx-gay ne veut pas forcément dire hétéro“. Un autre danger de ces mouvements, selon Mary L. Gray, chercheur en anthropologie à l’Université d’Indiana, est qu’ils prodiguent des thérapies sans aucune habilitation et sans suivi psychologique pour des personnes rendues fragiles par leurs traitements.

L’histoire de ces thérapies de conversion est assez vieille et les méthodes sont variées. Des violentes, comme la lobotomie ou les décharges électriques à chaque pensée érotique impliquant des personnes du même sexe au siècle précédent. D’autres comme la “thérapie de genre“, une rééducation permettant de vivre conformément à son genre. Les hommes aiment le sport et les voitures, les filles font le ménage et la couture. Dans un film de 1999, “But I’m a Cheerleader” ces différentes thérapies sont visibles. Notamment les cours de ménage pour les filles et les cours de virilité pour les hommes, voire les leçons de sexe.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Ce que montre cette bande-annonce est également ce qu’a dit Mary L. Gray : l’inscription à ces thérapies vient souvent des parents. Ils trouvent leur fils trop efféminé ou que leur fille n’a pas assez de petits copains, ils le font aller à ces camps. En France, Christian Vanneste, député de l’UMP, avait espéré qu’il soit possible également pour ses administrés de faire de même. Il déclarait dans le documentaire, diffusé sur Arte, “Je suis homo, et alors ?” de Ted Anspach :

[Il devrait être possible], lorsque l’on perçoit ce genre d’évolution [vers l'homosexualité] de proposer aux parents une “thérapeutique”, tout au moins un traitement, un accompagnement pour faire en sorte que la personne évolue. À mon sens ce serait une bonne solution.

Le principal argument selon lui pour soigner les homosexuels est qu’une société composée à “parité d’hétérosexuels et d’homosexuels” serait une “menace pour notre avenir et on ne semble ne pas le comprendre“. Pour l’aider à contrer cette menace, il peut compter sur les mouvements “réparateurs” présents en France et notamment sur Internet. Le site OserEnParler, sous une apparence pédagogique et compréhensive de l’homosexualité propose une suite de rubriques sur l’homosexualité irréversible. De la même manière, le mouvement Exodus International propose sur son site des témoignages et un soutien, mais également une application pour iPhone.

Exodus International est une association dont un des fondateurs avait fait la une de Newsweek en 1998 avec pour gros titre “Gay for Life ?”. Sur son site et dans son application iPhone, on peut lire des conseils quotidiens pour vivre au mieux dans l’abstinence laissant transparaître une stigmatisation de l’homosexualité. Ce qui fait dire à John Avarosis, blogueur pour AMERICAblog, qu’en s’adressant aux enfants et en les stigmatisant ainsi, Exodus représente un danger mortel. D’ailleurs, une pétition lancée par Truth Wins Out largement partagée a permis le retrait cette application de l’App Store, arguant que celle-ci diffusait un discours de haine envers un groupe de personnes en particulier, une des conditions de retrait selon les conditions générales de vente d’Apple.

Du côté de la médecine

Les partisans de ces traitements ne sont pas seulement des associations religieuses. En Espagne par exemple existe une clinique proposant de convertir les gays. Un des spécialistes de cet établissement déclare :

Personne ne veut être homosexuel, cela vous tombe dessus. S’ils pouvaient changer leur orientation sexuelle grâce à une pilule, 99% d’entre eux le feraient.

De la même manière, en Grande-Bretagne, de nombreux psychiatres prétendent pouvoir effectuer de tels traitements. 1 sur 5 selon une étude en 2009. C’est notamment le cas de Lesley Pickington. Piégée par le journaliste Patrick Strudwick, elle déclarait que l’homosexualité était “une maladie mentale, une addiction et un phénomène anti-religieux“. Suite à ces déclarations, la psychiatre risque de perdre son habilitation. Un jugement un peu fort selon certains élus conservateurs, puisque l’un deux, Roger Helmer, député européen, s’est énervé sur Twitter.

Pourquoi est-il normal pour un chirurgien de pratiquer une opération de changement de sexe, mais qu’il n’est pas normal pour un psychiatre de tenter de convertir un homosexuel consentant ?

Il fut aussitôt corrigé par le porte-parole du Parti Conservateur.

Ce dont ont besoin les lesbiennes et les gays est d’un traitement équitable par la société et non pas d’un traitement mal intentionné par une minorité de professionnels de la santé.

Surtout que le parallèle entre la chirurgie de changement de sexe et les conversions d’homosexuels n’ont rien à voir souligne Mary L. Gray. Alors que l’un tente de raccorder le corps avec le genre d’une personne, l’autre est un déni d’une partie importante de l’identité par des voies non médicales.

En finir avec ces croyances

Mary L. Gray pense que ce qui est grave avec tous ces traitements , c’est qu’ils charrient avec eux toutes les croyances autour de l’homosexualité. Notamment l’obsession selon laquelle, en parlant trop d’homosexualité aux jeunes et en leur expliquant que ça n’est rien de grave, on risquerait de les convertir. Peur de la conversion qui s’associe régulièrement d’un amalgame entre homosexualité et pédophilie.

Un des moyens d’en finir avec ces idées serait de parler un peu plus ouvertement d’homosexualité, notamment à l’école. Ce qui ne risque pas d’arriver en France, après l’interdiction de diffusion du film “Le Baiser de la Lune“, qui racontait l’histoire d’amour de Félix et Léon, deux poissons. En Californie, en revanche, on parle d’inscrire dans le cursus un cours sur les combats LGBT. Peut-être un début de solution.


Illustrations CC Flickr My Little Pony Pride by Austin & Zack

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Mauvais sang http://owni.fr/2011/04/26/mauvais-sang/ http://owni.fr/2011/04/26/mauvais-sang/#comments Tue, 26 Apr 2011 15:39:46 +0000 boree http://owni.fr/?p=34679 Il faut croire que les hasards n’existent pas.

Alors même que j’étais plongé dans la rédaction de ce billet, j’ai reçu le message suivant :

Cher Borée,

Vital et irrem-plaçable, le Don de Sang permet chaque année de soigner 1 million de malades. Donner son sang est donc indispensable, cependant seulement 4% des français accomplissent ce geste.
Pour la 8ème année consécutive, l’EFS, l’Etablissement Français du Sang organise le 14 juin, la JMDS, Journée Mondiale du Don de Sang, préparant à cette occasion, un événement ludique et pédagogique à Paris, ainsi que 300 collectes dans toute la France.
(…)
Cette année pour la première fois, l’EFS renforce son interaction avec la communauté en mettant en place 4 chats pour répondre aux questions des internautes.
Le premier aura lieu mardi 19 avril sur le thème de « Qu’est-ce que la JMDS ? »
Vous êtes influent, vous partagez vos passions avec votre communauté de lecteurs. Ils vous apprécient pour votre liberté de ton et votre authenticité. C’est pourquoi, nous avons besoin de votre soutien bénévole en tant que bloggeur pour relayer l’appel de l’EFS. Ainsi, vous faites un geste solidaire et contribuez à un mouvement national.

Moitié colère, moitié humilié

Mon père a toujours été donneur de sang. Quand j’étais gamin, j’étais très fier de ça. En plus, il nous ramenait les gaufrettes du petit casse-croûte offert après le don. C’était la fête. Je me suis toujours dit que je serai, moi aussi, donneur de sang quand j’aurai l’âge. C’était une évidence.

Lorsque je me suis retrouvé en première année de médecine, il y a eu ces affiches un jour : « Faculté de médecine – Don du sang mercredi prochain ». J’y suis donc allé avec deux copines. Sans me poser aucune question. Puisque c’était une évidence.

En arrivant, on nous remettait des questionnaires qu’il fallait lire et remplir avant un entretien avec le médecin responsable.

Quand ce fut mon tour, je lui tendis le questionnaire complété et elle me demanda avec un sourire :

- Bon, pas de problème alors ?
- Euh… si… je suis homosexuel, je ne peux pas être donneur alors ?
- Ah non, en effet, je suis désolée.
- Mais pourtant, je me suis toujours protégé.
- Oui mais ça ne change rien. C’est comme ça. On ne veut prendre aucun risque.

Et je suis donc reparti, passant entre les tables alors que je venais seulement d’arriver. Moitié colère, moitié humilié.

C’était en 1992. Aujourd’hui, en 2011, et malgré de vifs débats, la loi n’a toujours pas changé.

Les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes ont toujours l’interdiction de donner leur sang. De même d’ailleurs que leur moelle osseuse. Pour leurs organes en revanche, en cas de décès, pas de problème et si je me laissais aller à faire du mauvais esprit, je pourrais en conclure qu’un homosexuel acceptable est un homosexuel mort…

La France n’est pas un cas isolé

La majorité des pays développés a le même usage. Certains ont opté pour des limitations plus nuancées. Seules certaines régions espagnoles et la pourtant machiste Italie ont abandonné toute restriction fondée sur l’orientation sexuelle.

Les Britanniques pratiquent eux aussi la même exclusion. Mais leur loi semble sur le point d’évoluer. Amère consolation. Désormais, les homosexuels devraient être autorisés à donner leur sang… à condition de ne pas avoir eu de rapports sexuels depuis au moins 10 ans.

Et là, je dois bien avouer qu’à tout choisir, je préfère encore la logique d’exclusion complète. Parce que cette non-avancée britannique me paraît totalement surréaliste et vexatoire et, surtout, je ne vois absolument pas sur quelles données scientifiques elle pourrait se fonder.

De toute manière, les rares études ayant abordé la question, celles qu’invoquent les décideurs politiques, sont discutables et déjà datées dans un domaine qui connaît des évolutions techniques constantes.

Car il n’est peut-être pas inutile de rappeler que les échantillons de sang sont systématiquement testés, entre autre, pour le VIH. Et que, si les habituels tests de dépistage peuvent mettre jusqu’à six semaines pour se positiver, le circuit de la transfusion sanguine utilise une technique de diagnostic génomique viral (DGV) qui se positive dès le douzième jour (et jamais au-delà de 3 semaines) suivant une éventuelle contamination. Il n’y a ainsi presque aucune place au doute.

Je veux bien qu’on prenne une marge  de sécurité confortable, pour être sûr de ne pas passer à côté des zéro-virgule-quelque-chose % de tests faussement rassurants dans les délais habituels, mais qu’on m’explique quand même de quel chapeau ils ont sorti ces dix ans !

Oui, le VIH est toujours présent

Et oui, proportionnellement, les homosexuels masculins sont bien plus fréquemment touchés. Pire, parmi les différents modes de contamination, c’est le seul groupe pour lequel le nombre de nouveaux cas continue à augmenter. Ça ne sert à rien de le nier.

Non seulement ça ne sert à rien mais c’est même un tort. Refuser cette évidence au nom du « tous égaux, tous pareil », c’est rester dans une démarche de prévention tout public et, donc, largement inefficace. Les messages de prévention marchent quand ils sont ciblés.

Reconnaître qu’il y a toujours, trente ans après le début de l’épidémie, une spécificité de l’impact du VIH parmi les homosexuels, c’est permettre le développement d’une stratégie adaptée. Mais revenons-en au don du sang.

Il n’est peut-être pas inutile de rappeler que la transmission du VIH par la transfusion sanguine a été un drame mais que ce problème est aujourd’hui largement maîtrisé. Le risque résiduel est évalué actuellement à environ 1 risque théorique pour 3 millions de transfusions. Sauf, qu’en 2008, le CDC a décrit le premier cas de contamination identifié depuis 2002, et alors même que les USA pratiquent environ 14 millions de transfusions par an.

En comparaison, les accidents de transfusion qui présentent un risque vital se produisent environ 1 fois pour 100 000 transfusions et le risque de décès directement consécutif à une transfusion est de l’ordre de 1 pour 300 000 (chiffres pour la France et les USA).

Que, malgré tout, l’on soit prudent au sujet du VIH et que les politiques mouillent leurs petites culottes depuis l’affaire du sang contaminé, je peux le comprendre.

Mais quand même…

L’Établissement français du sang, pour justifier l’exclusion des gays, invoque un chiffre absolument effrayant de 17,7% de prévalence (la proportion de personnes atteintes) du VIH parmi « les homosexuels masculins ». Point. Sans aucune nuance ni précision.

Ces chiffres se fondent sur l’enquête Prevagay. Cette enquête a été réalisée « au sein de la population des hommes ayant des relations sexuelles avec les hommes qui fréquentent des établissements gays parisiens (bars, saunas, backrooms). »

Ne pas faire du Marais une généralité

Quelqu’un pourrait expliquer à nos pros de santé publique que Paris ce n’est pas la France, et que le Marais ce n’est pas « les homosexuels masculins » ?

Qu’on fasse une enquête dans ce milieu, tout de même assez particulier (12% des hommes enquêtés ont eu au moins un rapport anal non protégé dans l’année avec un partenaire occasionnel, 18% ont eu au moins une IST dans l’année), pour mieux le connaître et pour pouvoir y développer une prévention spécifique, c’est très bien.

Mais qu’on étende à tous les homos de France des chiffres de prévalence récupérés dans des backrooms parisiennes, ça me paraît juste dramatique.

Qu’est-ce qui fait le risque, l’orientation amoureuse ou les pratiques sexuelles ?

Je vis depuis plus de dix ans en couple stable et fidèle. Comme des milliers d’autres. Et comme des milliers d’autres, je ne pense pas être plus « à risque » que mon frère ou que mon voisin qui vivent en couples hétérosexuels.

Peut-être faut-il rappeler qu’il n’existe pas de test pour « détecter l’homosexualité ». Et que, de toute façon, ces données sont donc déclaratives.

Quand l’Etablissement français du sang demande « Avez-vous eu des rapports avec un autre homme ? Oui/non », ils sont bien obligés de faire confiance aux réponses des gens. Parce qu’ils n’ont de toute façon pas d’autre choix.

De la même manière, qu’ils demandent s’il y a eu un changement de partenaire depuis quatre mois.

Sauf que cette question ne concerne que les rapports hétérosexuels. Imagine-t-on que les homos seraient plus menteurs ? Mais alors, pourquoi ne le seraient-ils pas aussi pour la question précédente ?

Et, au final, c’est quand même la question d’un éventuel changement de partenaire récent qui nous intéresse si on veut limiter les risques liés à la transfusion, non ? La FDA étatsunienne elle-même reconnaît que les possibles rarissimes risques résiduels de transmission du VIH via la transfusion sont dus quasi-exclusivement au problème de  la courte période « silencieuse » (une douzaine de jours) suivant une éventuelle contamination.

Les seules questions valables seraient donc celles visant à écarter les donneurs qui pourraient se trouver dans cette situation, éventuellement en prenant une marge de sécurité raisonnable, telles que : « Avez-vous eu un(e) nouveau(elle) partenaire au cours du dernier mois ? «

Le don du sang est gratuit, ceux qui y participent le font par altruisme. Comment imaginer qu’ils proposeraient de donner leur sang en sachant qu’ils ont pu avoir une conduite à risque dès lors que la définition de ces conduites à risque est suffisamment précise, sérieuse et fondée ?

Les études se sont basées sur une estimation du risque théorique comme si les donneurs potentiels allaient donner leur sang de manière aléatoire, quelle que soit leur activité sexuelle les jours et les semaines précédents. La logique même du don est fondée sur la confiance et le sens des responsabilités des donneurs. Comment ne pas croire que ceux-ci puissent choisir de donner ou pas en fonction de leur vie intime récente ? Pour autant que les règles qui seraient posées soient logiques, compréhensibles et non discriminatoires et qu’il n’y ait alors aucune raison de vouloir les transgresser.

A moins qu’il ne s’agisse pour les décideurs de faire oublier « l’affaire » et, désignant un groupe bouc-émissaire, donner l’illusion à la population que toutes les mesures nécessaires à la protection sont prises.

Non, décidément, je n’arrive pas à trouver de solide raison scientifique, rationnelle et logique, à tout ceci.

C’est donc avec un réel plaisir que je vais relayer l’appel de l’EFS et, en effet, inviter mes lecteurs à participer aux chats et à l’ensemble des manifestations autour de la Journée Mondiale du Don du Sang. Et plus particulièrement, je vais les inviter à poser une question bien précise…

Le don du sang, le don de moelle sauvent des vies. Faire ce don est un geste de profonde générosité et, sans raison valable, il n’est pas normal de stigmatiser ainsi des donneurs potentiels. A quand la fin de cette discrimination idiote, nuisible et qui n’est plus fondée sur des preuves scientifiques ?

Merci à celles et ceux qui ont bien voulu participer à la relecture de ce billet : DrCouine, Asclepieia et Jean-Marie de Grange Blanche

>>Article initialement publié sur le blog de Borée

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Combien de gènes déterminent Bertrand Delanoë ? ou la contre-attaque de la “whiz-génétique” http://owni.fr/2010/11/14/combien-de-genes-determinent-bertrand-delanoe-ou-la-contre-attaque-de-la-whiz-genetique/ http://owni.fr/2010/11/14/combien-de-genes-determinent-bertrand-delanoe-ou-la-contre-attaque-de-la-whiz-genetique/#comments Sun, 14 Nov 2010 08:30:50 +0000 John Horgan (Trad. Tom Roud) http://owni.fr/?p=33271 L’homosexualité est un choix. En tous cas, c’est ce que les conservateurs religieux veulent nous faire croire. Mais voter à gauche serait génétique. Enfin c’est ce que des chercheurs de l’Université de Californie à San Diego (UCSD) et d’Harvard voudraient nous faire croire.

Oui, l’inévitable est arrivé. Juste avant les élections  américaines du 2 Novembre – coïncidence ? – des chercheurs auraient démontré un lien entre des vues politiques de gauche et DRD4, un gène produisant un récepteur pour la dopamine, un neurotransmetteur. Cette étude parue dans The Journal of Politics, menée sur 2000 personnes montre une corrélation entre DRD4 et les vues de gauche chez les personnes ayant eu beaucoup d’amis dans leur adolescence.

L’auteur principal, James Fowler, de l’UCSD, s’est focalisé sur DRD4 car ce gène avait été précédemment relié à la “recherche de nouveauté”. D’après un communiqué de presse de San Diego, le raisonnement de Fowler est le suivant :

les personnes avec l’allèle du gène corrélé à la recherche de nouveauté pourraient rechercher davantage à se confronter aux points de vues de leurs amis. Du coup, les personnes avec cette prédisposition génétique pourraient avoir un nombre moyen d’amis plus important, ce qui les exposerait à un spectre social plus grand, avec pour conséquence de les faire pencher davantage à gauche.

Les équipes d’UCSD et d’Harvard se vantent d’avoir trouvé le premier lien entre un gène et une opinion. En fait, si leur résultat est confirmé, cela serait le premier lien confirmé entre un gène et n’importe quel comportement complexe.

Frénésie de gènes du comportement

Le “gène du gauchiste” est en effet le dernier avatar d’une longue série de spectaculaires annonces de la génétique du comportement, ou plutôt ce que j’appellerai la “whiz-génétique” (“gene-whiz science”). La génétique du comportement, qui a la prétention de relier les différences de comportement  entre individus à des variations génétiques, reçoit une attention tout à fait disproportionnée, d’autant plus que la plupart de ses “découvertes” résistent rarement à un examen plus attentif.

Les scientifiques, ou plutôt les whiz-généticiens, font typiquement une annonce du genre : : “Il y a un gène qui vous rend gay/superintelligent/ qui vous fait croire en Dieu/ qui vous fait voter Bertrand Delanoë.” Les media et le public amplifient le buzz, s’ébahissent collectivement ! Le problème, c’est que les études qui suivent échouent lamentablement à corroborer l’annonce initiale, et reçoivent évidemment beaucoup moins d’attention, ce qui donne l’impression fausse au public que l’annonce initiale était exacte – ou plus généralement, que nous serions déterminés par nos gènes.

Ces vingt dernières années, les “whiz-généticiens” ont découvert des gènes pour les QI élevés, l’homosexualité masculine, la croyance religieuse, l’addiction au jeu, le syndrome de déficit d’attention, l’obsession compulsive, la bipolarité, la schizophrénie, l’autisme, la dyslexie, l’alcoolisme, l’addiction à l’héroïne, la mélancolie, l’extraversion, l’introversion, l’anxiété, l’anorexie, la violence – vous voyez le tableau. Jusqu’ici, aucune de ses annonces n’a été confirmée par les études ultérieures.

Ces échecs ne devraient pas être surprenants, étant donné que ces nombreux traits de personnalité sont certainement la résultat de complexes interactions entre gènes et environnement. De plus, la méthodologie des généticiens du comportement les expose naturellement à de nombreux faux positifs. Les chercheurs sélectionnent en général un groupe de personne ayant un trait de personnalité commun, et commencent à chercher si un gène  n’est pas exclusivement présent dans ce groupe, mais simplement sur-représenté par rapport à un groupe témoin. La réalité, c’est que statistiquement, si vous regardez assez de gènes, vous tomberez nécessairement sur un gène qui répondra à ce critère par pur hasard.

Hamer, empereur de la whiz-génétique

Le plus célèbre des  whiz-généticiens est le généticien Dean Hamer du National Cancer Institute. Son premier coup d’éclat date de 1993 et de la “découverte” du gène de l’homosexualité. Après ce premier papier paru dans Science, Hamer, aidé d’un journaliste, a rapidement sorti un livre, “La science du désir” que le New York Times a qualifié de “notable”. Les études qui ont suivi n’ont trouvé aucune preuve du “gène gay”.

Dans son livre de 2004, “le Gène de Dieu”, Hamer affirmait avoir trouvé un gène  relié à  la foi religieuse  ou à la spiritualité. TIME en a fait sa couverture, mais une critique de Carl Zimmer parue dans Scientific American rappelait ironiquement que le livre aurait plutôt dû s’appeler “le gène corrélé à moins de 1 pour cent de la variation trouvée dans des questionnaires psychologiques conçus pour mesurer une quantité appelée self-transcendence, qui recouvre un large spectre d’attitude depuis l’appartenance au parti écolo jusqu’à la croyance au paranormal, selon une unique étude non publiée et non reproduite”.

Hamer était naturellement à la tête du groupe qui a corrélé en 1996 le gène DRD4 à la “recherche de nouveauté”. De nombreux groupes ont tenté de reproduire les découvertes de Hamer, mais, d’après une revue parue en 2008, “les preuves de cette corrélation demeurent incertaines”. En attendant, DRD4 a aussi été relié à la schizophrénie, la maladie de Parkinson, les troubles bipolaires, l’addiction au sexe, la boulimie, et donc maintenant, les idées de gauche, d’après Wikipedia.

En fait, j’espère bien que la découverte du gène du gauchiste- contrairement à toutes les annonces précédente de whiz-génétique- sera confirmée, puisque dans ce cas, nous pourrions créer un meilleur des mondes  en fabriquant génétiquement des bébés de gauche. On pourrait même les financer avec le nouveau plan de couverture maladie d’Obama ! Hélas, cette vision utopique – tout comme le gène gauchiste- n’est qu’un doux rêve.

>> Article publié initialement sur Cross-check le blog (Scientific American) de John Horgan et traduit en français par Tom Roud.

À lire ailleurs :

Le gène du coureur

Fiche de lecture sur Le gène de Dieu

>> Illustrations : Wikimedia Commons CC par Photo75 et FlickR CC : Mike Towber

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