En décidant d’abroger seulement trois permis d’exploration d’hydrocarbures dans le Sud de la France, Nicolas Sarkozy est loin de fermer la porte aux gaz de schiste. Étalées sur près de 10 000 km² autour des Cévennes, les concessions de Montélimar, Nant et Villeneuve-de-Berg ne sont que trois des dizaines de permis d’exploration accordés par le ministère de l’Écologie dans toute la France ces dernières années. Grâce auxquels des compagnies pétrolières ou gazières pourront continuer de fouiller le sous-sol par la technique controversée de fracturation hydraulique.
L’annonce a pourtant produit l’effet désiré sur le plan médiatique. À la faveur d’articles titrés « le gouvernement abroge les permis de gaz de schiste », les militants impliqués dans le débat ont poussé sur les réseaux sociaux un long ouf de soulagement toute la journée du lundi 3 octobre. Un peu rapide.
Car en réalité 61 autres permis d’exploration gaziers et pétroliers en vigueur en France, ouvrent la voie aux gaz de schiste et autres hydrocarbures non conventionnels. Au plan du droit, ils s’intitulent, formellement, « permis exclusifs de recherche de mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux ». Autrement dit, des autorisations d’aller rechercher tout combustible volatile ou poisseux, à quelques profondeurs et dans quelque état que ce soit, depuis la classique poche de gaz jusqu’aux forages destructeurs à des kilomètres de profondeur.
Quand elles déposent leur volumineux dossier au ministère pour obtenir un permis, les compagnies pétrolières et gazières exposent par le menu les opérations qu’elles souhaitent mener sur place : profondeur des forages, méthode d’extraction, emprise au sol des plateformes, etc. Un document tamponné par la direction générale de l’énergie et du climat. Seule cette note d’intention archivée dans un tiroir de cette administration énonce clairement si oui ou non la société compte aller chercher des gaz de schiste.
Or, pour déterminer le bienfondé des permis, la loi votée le 13 juillet ne prévoit de vérifications entre la réalité des explorations et le contenu de cette note d’intention qu’a posteriori. Il suffit pour le moment à chaque société, de jurer, la main sur un rapport, qu’elle ne pratiquera pas de fracturation hydraulique.
Or le double discours est déjà pour certaines sociétés une spécialité. Telle Toréador, administrée par le frère de Julien Balkany elle avait essayé en mars dernier de décourager une manifestation prévue en Seine-et-Marne contre l’exploration des huiles de schiste en diffusant auprès des habitants des tracts assurant qu’il ne s’agissait là que d’exploration pétrolière « classique ». Une version dont OWNI avait révélé le peu de sérieux dans les documents transmis aux actionnaires de Toréador, prévoyant d’exploiter des couches profondes (le « thème liasique », couche géologique à plus de 2 000 mètres de profondeur où du gaz peut être emprisonné dans le schiste) et de « produire des réservoirs » dans le Bassin parisien. Une expression désignant dans l’industrie pétrogazière la première fracturation hydraulique sur un gisement.
Mais ces réalités techniques ne semblent guère intéresser le gouvernement. La tonitruante promenade dans les Cévennes que nous organise l’Élysée tombe tout juste l’avant-veille de l’examen à l’Assemblée nationale de la proposition de loi portée par la gauche et les écologistes pour pallier les insuffisances de la première « loi sur les gaz et huiles de schiste » adoptée à la mi-juillet. En déchirant trois bouts de papiers, le Président dégonfle par avance un débat qui aurait pu empoisonner ce début de campagne. Et retire aussi de la place publique un vrai débat qui n’a toujours pas eu lieu sur les choix énergétiques de la France. Quid des autres techniques et des autres réservoirs comme le offshore profond, les gaz de houille, les schistes bitumineux… Au final, le texte voté le 13 juillet ne définit en fait pas grand chose. Pas même en quoi consiste la fracturation hydraulique.
Pour éviter les risques liés à la fracturation hydraulique, il faudrait rentrer dans d’ennuyeux détails : parler des quantités d’eau utilisées, des produits chimiques injectés dans le sol, des gaz de houille et du pétrole de schiste… Donc, débattre politique industrielle, ce que l’État se garde bien de faire. L’article 4 de la loi sur les gaz et huiles de schiste votée le 13 juillet prévoit ainsi un « rapport sur l’évolution des techniques d’exploration et d’exploitation et la connaissance du sous-sol français, européen et international en matière d’hydrocarbures liquides ou gazeux ». Une façon de « ne pas fermer la porte » aux hydrocarbures de schiste, comme le promettait Eric Besson. Surtout à l’heure où la compagnie Elixir Petroleum publie un rapport dépeignant la verte Lorraine en petit Koweït plein de 164 milliards de barils de pétrole de schiste et 650 000 milliards de pieds cube de gaz de même extraction.
Laissant les écologistes et les militants s’empêtrer dans les explications techniques, le gouvernement joue la montre sur les hydrocarbures comme il l’a fait sur le nucléaire, promettant contrôles et commissions sans donner de perspective précise. Un temps qu’il ne souhaite pas prendre en ce temps de campagne présidentielle. Car un projet énergétique, ça ne s’invente pas en une balade dans les Cévennes.
Retrouvez toute l’actualité du schiste sur notre site dédié.
Retrouvez le livret “Gaz de Schiste, histoire d’une révolution énergétique hors de prix” par Sylvain Lapoix dans Le DVD du documentaire Gasland (Arte Éditions)
]]>Dans le cadre de la présidentielle, le nom de cet avocat de 47 ans est depuis quelques jours cité comme futur directeur de campagne de la caution écologiste de la droite, Jean-Louis Borloo. Une promotion confirmée par le JDD de ce week-end.
Marié à Claude Chirac depuis 2011, Frédéric Salat-Baroux a débuté sa carrière au Conseil d’État avant de rejoindre l’Élysée en 2002, sous la présidence de Jacques Chirac et au poste de secrétaire général.
En 2007, il embrasse la carrière d’avocat en rejoignant le prestigieux cabinet d’avocats d’affaires Weil, Gotshal & Manges. Or, dans le cadre de ses activités d’avocat, Salat-Baroux défend depuis avril 2011 les intérêts de la société administrée par Julien Balkany, Toréador, qui mène en Île-de-France une exploration de grande ampleur pour les huiles de schiste.
Comme le montre le document ci-dessous (voir page 2), Frédéric Salat-Baroux défendait ainsi Toréador devant le tribunal administratif de Melun, dans un recours pour lui permettre de poursuivre la prospection.
Dans le cas présent, Salat-Baroux attaquait une décision du Conseil général de Seine-et-Marne qui interdisait à Toréador (au nom de la protection de l’environnement et de l’eau) l’exploration pour les huiles de schiste sur son territoire. Le 16 mai, le juge des référés accordait finalement gain de cause à Toréador qui pourra continuer à perforer le plateau de la Brie contre l’avis des collectivités territoriales et des associations locales.
Comme le révélait la Lettre A du 15 avril dernier, de nombreuses sociétés impliquées dans la recherche de gaz et huiles de schiste ont commencé à affuter leur arsenal juridique contre les décisions administratives qui pourraient menacer leurs coûteuses opérations.
Avouant une proximité « idéologique et personnelle » avec le président du parti radical, Frédéric Salat-Barroux attend dans la semaine le rendu d’une deuxième ordonnance dans une affaire plaidée au nom de Toréador. « La transition écologique et énergétique est une question primordiale », lançait l’ex-ministre dans Le Parisien Dimanche du 5 mai.
Avec un défenseur des huiles de schiste comme directeur de campagne, après avoir signé lui-même les permis d’exploration pour ces ressources, Jean-Louis Borloo aura besoin de plus qu’un Grenelle pour faire passer la pilule aux électeurs écologistes.
… il se focalise uniquement sur ceux impliquant « des forages suivis de fracturation hydraulique de la roche ». Autrement dit: jusqu’au forage, tout est permis. Et au delà, ce n’est que la fracturation hydraulique qui est interdite.
… elle ne rend illégale que « la fracturation hydraulique ». Pour reprendre la formule d’Yves Cochet, il suffit de renommer la méthode « Kärcher sous-terrain » et les industriels peuvent reprendre tranquillement leur exploitation! Comme nous l’avions relevé dans notre décryptage, un amendement du groupe SRC proposait pourtant d’interdire également « toute autre technique nécessitant d’injecter dans la roche-mère des adjuvants chimiques ou une quantité d’eau importante ». Mais c’est le camp de « l’innovation » technologique qui a remporté la manche, suivant l’idée selon laquelle le législateur doit laisser aux exploitants la liberté de développer d’autres méthodes.
… le terme « non conventionnels » ayant disparu, les explorations et exploitations prévues au large de la Côte d’Azur ou de la Guyane restent parfaitement légales.
… tombant également sous le terme « non conventionnel », les schistes bitumineux ne sont ni mentionnés, ni visés par cette loi, alors même que la France pourrait comporter sur son territoire certains sites exploitables. Parmi les techniques d’extraction, on peut énumérer le « strip mining » et le « open pit mining » (constistant à trépaner des montagnes où est enfermée la ressource) ainsi que le “true in-situ process” (TIS) par lequel le pétrole non « finalisé » est chauffé en profondeur avant d’être extrait. Autant de façon d’éviter toute forme de fracturation hydraulique tout en assurant une production pétrolière extrêmement nocive pour l’environnement.
… elle prévoit même dans son quatrième article des expérimentations « à seules fins de recherche scientifique sous contrôle public ». Autrement dit, c’est l’État lui-même qui réalisera les tests nécessaires au développement de nouvelles techniques d’exploitation des hydrocarbures non conventionels.
… le rapport cité plus haut ne vise qu’à établir un suivi de « l’évolution des techniques d’exploration et d’exploitation et la connaissance du sous-sol français, européen et international en matière d’hydrocarbures liquides ou gazeux. » En clair, il s’agit avant tout de connaître l’état actuel des réserves de pétrole et de gaz, ainsi que les derniers développements techniques disponibles en la matière. Tout ça, certainement, dans la très louable intention d’assurer « la souveraineté énergétique du pays ». En clair, comme l’a si bien dit Greenpeace : reculer pour mieux forer.
Photo FlickR CC : Dustin Gray ; Ari Moore.
]]>Nous avons alerté à maintes reprises les différentes administrations concernées, et plus particulièrement l’ex DIREM maintenant rattachée au Ministère de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, sur un certain nombre de sujets qui nous préoccupent comme étant des obstacles à la recherche pétrolière dans notre pays.
Permettez-nous de vous les exposer, car le moment nous paraît opportun compte tenu du mouvement de réforme dans lequel votre gouvernement s’est engagé pour sortir le pays de la léthargie dans laquelle il s’était enfoncé.
La liste de doléances qui suit est hallucinante : simplification des exploitations offshores, suppression des enquêtes publiques environnementales et archéologiques et, pour couronner le tout, suspension de pans entiers du droit du travail dans le cadre des activités de forage (repos hebdomadaire, limitation de la durée de travail journalière et hebdomadaire). Une démarche d’autant plus incroyable que la dernière réforme du code minier a exaucé tous les vœux formulés par les pétroliers.
Première préoccupation des pétroliers: les demandes d’exploration ou d’exploitation bien trop longues, complexes et soucieuses de l’environnement. Reprochant les « études préalables longues et coûteuses » exigées par les autorités administratives, les foreurs ménagent néanmoins les sensibilités écologiques :
Nul ne conteste la nécessité de protéger l’environnement, mais il convient de garder raison et de ne pas alourdir exagérément les procédures, car la mise en valeur du sous-sol est aussi un enjeu d’intérêt général.
Publiée le 20 janvier dernier, l’ordonnance portant codification de la partie législative du code minier répond parfaitement aux exigences du lobby : alors que l’enquête publique préalable était auparavant laissée à l’appréciation des autorités locales, le nouveau code précise dans le chapitre II consacré aux permis exclusifs de recherche que « L’instruction de la demande ne comporte pas d’enquête publique ». Voilà un problème évacué sans s’encombrer de détail.
Pour ce qui est des demandes sociales, la commande est plus salée :
dérogation permanente concernant le repos dominical […]
possibilité d’un rythme de travail continu en 2 postes de 12 heures dans le cadre d’un régime d’activité de 2 semaines de travail suivi de 2 semaines de repos.
Ici, il faut chercher au chapitre « temps de travail » pour lire en toutes lettres (art L191-1) :
Dans les exploitations souterraines de mines, la durée de présence de chaque travailleur dans la mine ne peut excéder trente-huit heures quarante minutes par semaine. Par dérogation aux dispositions des articles L. 3121-1 et suivants du code du travail, le temps de présence dans les exploitations souterraines de mines est considéré comme temps de travail effectif.
Quant aux règles de sécurité et de santé du quatrième livre du droit du travail, elles peuvent désormais, conformément à l’article L180-1 être « complétées ou adaptées par décret pour tenir compte des spécificités des entreprises et établissements relevant des mines et de leurs dépendances. »
La partie Outre-Mer a, conformément aux demandes de la première partie de la lettre, été largement développée : d’un article dans l’ancien code (L68), l’ordonnance a fait gonfler le nouveau règlement de 13 articles dans le chapitre III, Exploitation en mer. De quoi confirmer les inquiétudes de la député de Guyane, Christiane Taubira, auteur de plusieurs amendements au projet de loi contre les gaz et huiles de schiste portant sur cette question… Forages profonds, stockage de CO2 et géothermie sont désormais facilités, comme le demandait la lettre des lobbyistes.
Jointe au courrier des foreurs, une lettre du cabinet de François Fillon avait assuré que Matignon avait fait part des préoccupations du lobby à Jean-Louis Borloo, à l’époque en charge de l’énergie via le ministère de l’Ecologie. Mais il faudra attendre l’arrivée d’Eric Besson à Bercy, et le retour des mines et hydrocarbures dans le ministère de l’Industrie pour que les voeux des pétroliers soient exaucés… avec une rapidité remarquable !
Première difficulté rencontrée par le ministre: le code minier ne pouvait jusqu’ici pas être réformé par le gouvernement… L’astuce trouvée par Bercy consiste alors à ressortir une loi du 12 mai 2009 qui, au nom de « la simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures », permettait de modifier certains droits trop lourds par ordonnance. Pour ajouter le code minier à cette liste, le ministre insère discrètement au fin fond de la loi n°2010-1488, un article 28 élargissant les possibilités de réforme par ordonnance au fameux code minier.
Adoptée le 7 décembre 2010, cette nouvelle possibilité est utilisée par Eric Besson quelques semaines plus tard : le 19 janvier, sous prétexte de « simplification et clarification du droit », le ministre de l’Energie obtient en conseil des ministres l’adoption d’une ordonnance modifiant le code minier. Lequel est publié dès le lendemain au Journal officiel. La manœuvre aura pris un mois et demi et nécessité l’usage d’un « cavalier » et une procédure d’urgence pour la publication : un record !
Sauf que, dans l’affaire, Corinne Lepage renifle un dopage législatif : début février, l’avocate en droit de l’environnement et eurodéputée engage un recours devant le Conseil d’Etat pour contester la légitimité de l’ordonnance modifiant le code minier. Pour elle, la modification de ce code ne peut se faire que par la voie du législateur.
Plutôt qu’Eric Besson, c’est Nathalie Kosciusko-Morizet qui agit par un geste symbolique visant directement la juriste : le 27 avril, la ministre de l’Ecologie confie au juriste Arnaud Gossement une mission sur la réforme du code minier. En ciblant ce spécialiste du droit de l’environnement, NKM fait coup triple : associé du cabinet juridique de Corinne Lepage, l’avocat est également proche de Jean-Louis Borloo et ancien porte-parole de France Nature Environnement. Une forme de « ralliement » de pure apparence, la mission ne relevant que d’un exercice de droit comparé des droits miniers étrangers en vue d’une future réforme souhaitée depuis longtemps par le gouvernement… mais l’effet médiatique est immédiat, ce débauchage écolo étant interprété selon le voeux de la ministre par les médias. Sûre de son fait, Corinne Lepage s’accroche à son recours :
«La mission a été confiée à Arnaud Gossement à titre personnel et gratuit et dans un cadre sans rapport avec la modification du code minier de janvier dernier. Si conflit d’intérêt il devait y avoir, ce n’est pas moi qui abandonnerait ma procédure. Tout ce que cette nomination prouve, c’est que mon recours embarrasse vraiment le gouvernement.
Dans la France d’après, il ne fait pas bon se mettre dans le chemin de la « simplification administrative ». Surtout quand elle bénéficie à un lobby de 100 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel.
Retrouvez notre Une sur le gaz de schiste:
Loi sur les gaz de schiste: volte-face du gouvernement
En Seine et Marne, Copé et Jacob flirtent sur “leur” loi contre les gaz de schiste
Un lobbyiste des gaz de schiste chez les députés
Christine* a la cinquantaine, militante écolo rencontrée à la gare de Montpellier alors que j’allais assister à la réunion de Saint-Jean-de-Bruel organisée par José Bové pour informer les habitants du Larzac des projets de prospection de gaz de schiste. Depuis plusieurs mois, elle parcourt quotidiennement, parfois plusieurs heures par jour, le web et les sites officiels, à la recherche d’infos fraîches qu’elle partage par mail. Pas pour le plaisir, juste par inquiétude que sa maison du Languedoc, ou celle de sa fille à côté de Millau, ait un jour des robinets qui flambent, comme elle l’a vu dans Gasland.
Cliquer ici pour voir la vidéo.
Le 18 février dernier, elle m’a envoyé un curieux arrêté ministériel signé par Eric Besson : le texte autorisait le Crédit agricole à commercialiser du gaz naturel ! Quelques minutes après en avoir fait une brève, Pierre* répondait au message de Christine en y ajoutant un autre lien Legifrance : la Société générale était également autorisée à jouer aux marchands d’or gris.
Le débat sur les gaz de schiste est ainsi fait : très local, trop technique, il mobilise des citoyens désemparés dont le champ, le jardin ou la forêt sont menacés… et à qui aucune information complète n’est donnée, que ce soit par les pouvoirs publics ou la plupart des grands médias. Depuis notre premier article sur le sujet, les collectifs, groupes de discussion et simples forums se sont multipliés, faisant grossir la quantité de questions mais aussi injectant une foule de documents dans les débats. Jusqu’à l’arrivée de géologues, de techniciens ou de journalistes dans ces échanges, ces pièces du puzzle restaient blanches, muettes, ne faisaient que s’empiler sur le tas d’incompréhension ambiante.
Un tas que les gaziers et pétroliers se sont empressés de faire gonfler en y rajoutant des communiqués et des déclarations plus ou moins mensongères, parfois faussement explicatives, de temps en temps franches. Au final, disséminés et mal mis en lumière, les documents qui apportaient des réponses et auraient pu rétablir un semblant d’équilibre d’information dans le débat n’ont pour la plupart presque pas servi. Mais, heureusement, ils ont circulé.
Certaines pièces administratives sont arrivées à OWNI « toutes cuites » dans ma boîte mail, d’autres ont nécessité d’aller fouiller dans les documents financiers, rapports déposés en Mairie… Une grande partie est totalement publique, simplement inaccessible à tous les citoyens pour lesquels ils feraient sens. A en croire l’arrêté, la carte accompagnant le permis exclusif de recherche dit de Montélimar accordé à Total est disponible à qui se présente aux services du ministère en région, à la Dreal. Sur le papier seulement car, par téléphone, les services sont formels : la carte a été « ramenée » au ministère, avait-on expliqué à un journaliste d’OWNI pendant notre enquête. Les Provençaux n’ont plus qu’à prendre rendez-vous à La Défense pour s’informer…
Tous les documents qui nous sont parvenus, que nous nous sommes procurés ou qui nous seront transmis pouvant éclairer le dossier, nous avons décidé de les publier en un lieu unique : le blog OWNIschiste.
Consultable sur le blog et téléchargeable, chaque pièce sera remise dans son contexte par une introduction et un système de mots-clés (tags) détaillant :
- sa nature (type de document) ;
- la zone géographique concernée (pays + région(s) + département(s) + commune(s), selon pertinence) ;
- les sujets abordés (santé, eau, technique, législation, finances, etc.) ;
- le ou les acteurs mentionnés (pouvoirs publics, entreprises, experts, etc.).
Suite aux sources que nous livrons cette semaine, nous mettrons à disposition à un rythme régulier les documents en notre connaissance ainsi que ceux transmis par le biais de la « Privacy Box », qui permet aux internautes désireux de nous communiquer des documents en tout anonymat de nous les envoyer sans pouvoir être identifiés. Les documents les moins explicites feront l’objet de « décryptage » et l’article permanent petit lexique de bullschiste des hydrocarbures non conventionnels sera régulièrement mis à jour de nos nouvelles découvertes en matière de langue de bois.
En complément de ces données brutes, OWNIschiste publiera régulièrement des informations sur le dossier gaz et huiles de schiste et relayera les articles publiés ailleurs parmi les plus éclairant sur cette problématique.
Ouvert aux commentaires, le blog est, comme tout contenu OWNI, en Creative commons non commercial avec paternité. Vous avez donc l’autorisation de reproduire gratuitement ces contenus en en donnant la source. Et nous vous y encourageons même ! Histoire de ne pas interrompre la circulation des documents. Histoire de rétablir un peu d’équilibre dans ce débat entre les pouvoirs publics, les entreprises privées, d’un côté, et, de l’autre, les simples citoyens comme Christine ou Pierre que les autorités ont oublié de consulter.
*les prénoms ont été changés.
Photos : Sylvain Lapoix.
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Contrairement aux informations diffusées aux populations, le groupe pétrolier Toréador veut prospecter des couches de schiste en Seine-et-Marne, selon un rapport de gestion que s’est procuré OWNI.
Dans le document présenté le 30 juin 2010 aux actionnaires de la société, dont Julien Balkany est administrateur indépendant, on peut lire :
Cet accord devrait se traduire par la réalisation en 2010 d’au moins deux puits pilotes pour tester le thème Liasique non conventionnel sur le permis de Château Thierry.
Or l’expression « thème Liasique » désigne en termes géologiques les fameuses couches de schiste. C’est dans ces profondeurs, au delà de 2000 mètres sous le niveau de la mer, que se forment les gaz et huiles de schiste, dits hydrocarbures « non conventionnels ».
Des ressources qui ne peuvent aujourd’hui être exploitées autrement que par la technique brutale de fracturation hydraulique, principale raison du mouvement d’opposition à ce type d’exploration minière qui s’est récemment étendu au Bassin parisien.
A la veille de la manifestation qui a réuni ce samedi 5 mars 1500 à 3000 personnes dans la commune de Doue où une plate-forme est implantée, Toréador et son partenaire Hess avaient diffusé une lettre contredisant les inquiétudes des écologistes et des riverains :
Le projet de recherche de pétrole à Doue porte uniquement sur la recherche de nouveaux gisements d’huile dans la roche carbonatée. […] Dans ce but, nous devons forer un puits de recherche. Ce forage sera classique comme il en existe des centaines dans la région, selon les mêmes techniques employées depuis plus d’un demi-siècle et ce dans un cadre strict de préservation de l’environnement.
En dehors des géologues et connaisseurs des sous-sols seine-et-marnais, pas sûr que tous les habitants de Doue aient reconnu derrière le terme « roche carbonatée » le calcaire de Brie typique du plateau sur lequel est juché Doue. Le passage suivant a, en revanche, de quoi rassurer les riverains.
Ces forages « classiques », on les connaît bien : dans ce coin d’Île-de-France, la terre est persillée de vieux derricks qui crachotent quelques gouttes de bruts de temps à autres (environ 700 puits autour de Doue). Des puits qui n’ont jamais débordé sur les nappes phréatiques ou causé de problème. Rien de bien neuf.
Sauf que le rapport de gestion présenté aux actionnaires le 30 juin 2010 dit exactement le contraire :
De nouvelles demandes de permis sont également à l’étude pour accroître notre domaine minier et compléter les zones d’intérêts pour le thème « black shale » dans le centre du bassin notamment.
Ce bassin, c’est celui qui court de la Lorraine à l’Île-de-France et duquel Julien Balkany espère pouvoir tirer 4,5 millons de tonne de pétrole par an. Quant aux « black shale », ce sont les zones des couches profondes de schiste où se forme l’or noir de Toréador.
A quelques dizaines de kilomètres de là, un autre permis débute, dit « permis de Rigny-le-Ferron » (bourg d’une dizaine d’âme dans le pays Nogentais, à l’Ouest de l’Aube) où, encore une fois, Toréador jure à la presse locale qu’aucun projet de forage non conventionnel n’est prévu avant 2012. Là encore, dès la fin 2009, le rapport de gestion dit l’inverse :
Il est prévu en 2010 de forer un puits d’appréciation horizontal sur la structure de façon à produire le réservoir.
Plus clair, le passage omet seulement de préciser que « produire le réservoir » consiste à réaliser la procédure nécessaire à l’extraction. Autrement dit écarteler la roche par la méthode de « fracturation hydraulique ».
Partis d’autres documents mis en ligne sur les sites de la compagnie pétrolière française et de son partenaire Hess, l’ONG Greenpeace note également des contradictions édifiantes. Dans un Powerpoint présenté aux actionnaires, le schéma des couches visées par Toréador montre ainsi, à plus de 2000 mètres de profondeur, le feuilletage de schiste où se trouvent les gaz et huiles mentionnés dans les permis. D’autres allusions, dissimulées sous des références cryptiques, empêchent le moindre doute : détaillant les sites français, un « slide » 21 de la présentation compare le Bassin parisien à la « Bakken Shale » aux États-Unis. Un rapprochement qui prend tout son sel quand on sait que ces couches de schiste du bassin de Willitson sont désormais exploités par des pétroliers américains à grands coups de fracturation hydraulique.
Contacté par OWNI, la communication de l’entreprise Toréador (gérée par le groupe EuroRSCG) dément avoir voulu laissé entendre qu’il ne s’agissait pas de forages profonds et donne une interprétation personnelle de la notion de puits « classiques ».
Nous avons toujours prévu des recherches au delà de 100 mètres. Quand nous parlons de puits classiques, nous voulons dire que le « rig » (ensemble des éléments composants la plate-forme de forage, NdR) est le même que celui utilisé dans les forages convetionnels à 500, 1000 ou 2000 mètres de profondeur. De même pour les tuyaux, le ciment, etc. Il s’agit des outils classiques d’exploration pétrolière.
Quant aux « roches carbonatées » où la lettre indique que les forages auront lieu, il semblerait s’agir… d’une erreur humaine !
Il a toujours été question de forer dans les couches de schiste. Un brouillon de la lettre nous est parvenu en anglais qui le précisait bien. Peut-être s’agit-il d’une erreur de traduction, Hess étant une société anglosaxone, cela pourrait se comprendre. Mais si nous avons fait une erreur, nous en sommes désolés.
Espérons que Toréador aura su trouver de bons traducteurs pour lire le code minier fraîchement réformé.
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Photos : FlickR CC s.leture / OWNI CC BY Sylvain Lapoix.
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]]>Dans le document présenté le 30 juin 2010 aux actionnaires de la société, dont Julien Balkany est administrateur indépendant, on peut lire :
Cet accord devrait se traduire par la réalisation en 2010 d’au moins deux puits pilotes pour tester le thème Liasique non conventionnel sur le permis de Château Thierry.
Or l’expression « thème Liasique » désigne en termes géologiques les fameuses couches de schiste. C’est dans ces profondeurs, au delà de 2000 mètres sous le niveau de la mer, que se forment les gaz et huiles de schiste, dits hydrocarbures « non conventionnels ».
Des ressources qui ne peuvent aujourd’hui être exploitées autrement que par la technique brutale de fracturation hydraulique, principale raison du mouvement d’opposition à ce type d’exploration minière qui s’est récemment étendu au Bassin parisien.
A la veille de la manifestation qui a réuni ce samedi 5 mars 1500 à 3000 personnes dans la commune de Doue où une plate-forme est implantée, Toréador et son partenaire Hess avaient diffusé une lettre contredisant les inquiétudes des écologistes et des riverains :
Le projet de recherche de pétrole à Doue porte uniquement sur la recherche de nouveaux gisements d’huile dans la roche carbonatée. […] Dans ce but, nous devons forer un puits de recherche. Ce forage sera classique comme il en existe des centaines dans la région, selon les mêmes techniques employées depuis plus d’un demi-siècle et ce dans un cadre strict de préservation de l’environnement.
En dehors des géologues et connaisseurs des sous-sols seine-et-marnais, pas sûr que tous les habitants de Doue aient reconnu derrière le terme « roche carbonatée » le calcaire de Brie typique du plateau sur lequel est juché Doue. Le passage suivant a, en revanche, de quoi rassurer les riverains.
Ces forages « classiques », on les connaît bien : dans ce coin d’Île-de-France, la terre est persillée de vieux derricks qui crachotent quelques gouttes de bruts de temps à autres (environ 700 puits autour de Doue). Des puits qui n’ont jamais débordé sur les nappes phréatiques ou causé de problème. Rien de bien neuf.
Sauf que le rapport de gestion présenté aux actionnaires le 30 juin 2010 dit exactement le contraire :
De nouvelles demandes de permis sont également à l’étude pour accroître notre domaine minier et compléter les zones d’intérêts pour le thème « black shale » dans le centre du bassin notamment.
Ce bassin, c’est celui qui court de la Lorraine à l’Île-de-France et duquel Julien Balkany espère pouvoir tirer 4,5 millons de tonne de pétrole par an. Quant aux « black shale », ce sont les zones des couches profondes de schiste où se forme l’or noir de Toréador.
A quelques dizaines de kilomètres de là, un autre permis débute, dit « permis de Rigny-le-Ferron » (bourg d’une dizaine d’âme dans le pays Nogentais, à l’Ouest de l’Aube) où, encore une fois, Toréador jure à la presse locale qu’aucun projet de forage non conventionnel n’est prévu avant 2012. Là encore, dès la fin 2009, le rapport de gestion dit l’inverse :
Il est prévu en 2010 de forer un puits d’appréciation horizontal sur la structure de façon à produire le réservoir.
Plus clair, le passage omet seulement de préciser que « produire le réservoir » consiste à réaliser la procédure nécessaire à l’extraction. Autrement dit écarteler la roche par la méthode de « fracturation hydraulique ».
Partis d’autres documents mis en ligne sur les sites de la compagnie pétrolière française et de son partenaire Hess, l’ONG Greenpeace note également des contradictions édifiantes. Dans un Powerpoint présenté aux actionnaires, le schéma des couches visées par Toréador montre ainsi, à plus de 2000 mètres de profondeur, le feuilletage de schiste où se trouvent les gaz et huiles mentionnés dans les permis. D’autres allusions, dissimulées sous des références cryptiques, empêchent le moindre doute : détaillant les sites français, un « slide » 21 de la présentation compare le Bassin parisien à la « Bakken Shale » aux États-Unis. Un rapprochement qui prend tout son sel quand on sait que ces couches de schiste du bassin de Willitson sont désormais exploités par des pétroliers américains à grands coups de fracturation hydraulique.
Contacté par OWNI, la communication de l’entreprise Toréador (gérée par le groupe EuroRSCG) dément avoir voulu laissé entendre qu’il ne s’agissait pas de forages profonds et donne une interprétation personnelle de la notion de puits « classiques ».
Nous avons toujours prévu des recherches au delà de 100 mètres. Quand nous parlons de puits classiques, nous voulons dire que le « rig » (ensemble des éléments composants la plate-forme de forage, NdR) est le même que celui utilisé dans les forages convetionnels à 500, 1000 ou 2000 mètres de profondeur. De même pour les tuyaux, le ciment, etc. Il s’agit des outils classiques d’exploration pétrolière.
Quant aux « roches carbonatées » où la lettre indique que les forages auront lieu, il semblerait s’agir… d’une erreur humaine !
Il a toujours été question de forer dans les couches de schiste. Un brouillon de la lettre nous est parvenu en anglais qui le précisait bien. Peut-être s’agit-il d’une erreur de traduction, Hess étant une société anglosaxone, cela pourrait se comprendre. Mais si nous avons fait une erreur, nous en sommes désolés.
Espérons que Toréador aura su trouver de bons traducteurs pour lire le code minier fraîchement réformé.
Photos : FlickR CC s.leture / OWNI CC BY Sylvain Lapoix.
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