OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 La campagne des commandos américains http://owni.fr/2012/08/28/secret-commandos-americains-campagne-obama-navy-seal/ http://owni.fr/2012/08/28/secret-commandos-americains-campagne-obama-navy-seal/#comments Tue, 28 Aug 2012 12:03:52 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=118834 "devrait fermer sa gueule" assènent-ils. Un autre commando publiera prochainement son récit du raid contre Ben Laden. Ces troupes habituées à la discrétion entrent en campagne, placée sous le signe des vraies et des fausses fuites. ]]>

Entrainement des Navy Seals (2010) (cc)

D’ordinaire, ils sont connus pour leur discrétion. Les commandos marine américains des Navy SEALs sont aujourd’hui sous le feu des projecteurs. Obama en a fait le pivot de sa guerre contre le terrorisme. Contrairement à son prédécesseur, le président démocrate a tout fait pour accélérer le retrait des troupes engagées dans de vastes opérations extérieures. Il a préféré les frappes de drones menées clandestinement par la CIA et les actions ciblées de ses troupes d’élite. Ainsi fut exécuté par les Navy SEALs le raid victorieux contre Oussama Ben Laden, le 2 mai 2011.

À trois mois de l’élection présidentielle, voilà que la clé de voûte de la lutte contre le terrorisme est ébranlée. Tous les ingrédients sont réunis. Prises de parole incontrôlées des commandos, répliques du commandement, provocation d’Al-Qaïda. Le tout créant un étonnant brouhaha de campagne, ouvertement alimenté par les Républicains et discrètement nourri par les adeptes des Tea Party.

“Indignes révélations”

L’élection présidentielle du 6 novembre approchant, les épisodes se multiplient. Le mois d’août en a connu deux, et non des moindres. Une vidéo de 20 minutes est mise en ligne le 13 août, Dishonorable disclosures (“Indignes révélations”), par l’association de vétérans OpSec, pour Operational Security. Présenté comme non-partisan, le vrai-faux documentaire met gravement Obama en accusation : par ses révélations directes (annonce du raid contre Ben Laden) et indirectes supposées sur Stuxnet et le programme clandestin de frappes de drones (Kill List), il aurait mis en danger la vie de forces spéciales, et la sécurité nationale américaine.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Les révélations sur le programme Olympic Games, qui a donné naissance aux logiciels malveillants Stuxnet et Flame, et sur la Kill List sont parues début juin dans le New York Times. Pour les auteurs, Obama a organisé les fuites, sans aucun doute : “L’administation a fait volontairement fuiter l’existence de Stuxnet, permettant ainsi à l’ennemi d’en savoir plus sur nos opérations et nos secrets.” Aucune des personnes interrogées – agents de la CIA en retraite, anciens des forces spéciales et même un général – ne pardonne à Obama d’avoir ainsi sacrifié ces victoires militaires sur l’autel de sa réussite politique. De concert, ils assènent, à l’instar du Général Paul Vellely :

Avec tout le respect qui vous est dû, Monsieur le Président, nous avons besoin que vous gardiez vos lèvres closes et que vous la fermiez quand il s’agit “d’operational security”. Comme disent les SEALs, nous agissons, nous ne parlons pas.

La vidéo, léchée sur la forme, rappelle de plus anciens griefs. La réalisatrice Kathryn Bigelow a eu accès à des documents classifiés pour sa fiction retraçant la traque de Ben Laden. Un film annoncé en salles après l’élection du 6 novembre.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

OpSec ne survole pas autant les clivages politiques qu’il le prétend. Selon le New York Times, le groupe partage les mêmes locaux qu’une entreprise de consulting républicaine, le Trailblazer Group à Alexandria, en Virginie. Le porte-parole des SEALs effarouchés d’OpSec n’est autre que Chad Kolton, ancien de l’équipe contre-terrorisme de Bush, qui a invoqué des dispositions légales pour ne pas révéler les sources de financement du groupe. Quant aux participants, certains sont très marqués politiquement. Ainsi de Benjamin “Ben” Smith, figure connue du mouvement des Tea Party, qui n’a pas de mot assez dur – ni d’expression assez théâtrale – contre Obama : “Monsieur le Président, vous n’avez pas tué Oussama Ben Laden, l’Amérique l’a fait.”

Servir le Président

La prise de parole impromptue d’officiers n’a pas été du goût du commandement. Dans un courrier adressé à ses troupes que s’est procuré Foreign Policy, l’amiral à la tête du Special Operation Command (Socom), William McRaven bat le rappel.

Je suis inquiet par cette tendance grandissante à utiliser la marque des opérations spéciales, les SEALs, symboles et noms, dans des campagnes politiques ou visant des intérêts spécifiques. [Le Special Operation Command] ne soutient aucun point de vue politique, aucune opinion ou intérêt spécifique. Notre promesse au peuple américain en tant que militaire est d’être non-partisan, apolitique et de servir le Président des États-Unis sans égard pour son parti politique.

L’amiral a lui-même été l’objet de critiques après avoir accordé fin juillet une interview à CNN dans laquelle il évoquait l’opération contre Ben Laden. Il avait rendu un hommage appuyé à Obama et à son équipe, “qui avaient agi de façon formidable du début à la fin”.

Un Navy SEAL a cru bon de raconter lui aussi le raid contre Ben Laden. En détails. Sur CNN, l’amiral McRaven s’autocensurait autant que faire ce pouvait, déclenchant les rires du public. Le membre de la Team 6 qui a participé au raid contre Ben Laden va lui publier son témoignage in extenso, le 11 septembre. “No Easy Day: The Firsthand Account of the Mission That Killed Osama bin Laden” (“Rien n’est facile : le compte-rendu de première main de la mission qui a tué Oussama Ben Laden”) est écrit sous pseudo, Mark Owen, et les noms des protagonistes ont été modifiés. Sans grand succès. Quelques jours après l’annonce de sa sortie, Fox News publie le véritable nom de l’auteur, Matt Bissonnette selon “plusieurs sources” de la chaine d’information proche des conservateurs.

Les réactions de Navy SEALs, anonymes, ne sont pas tendres à l’égard de celui que certains appellent “un traitre”. Le porte-parole du Socom, le colonel Tim Nye, a dit ses inquiétudes à Fox News : “[il] s’est mis en danger tout seul”. Il a fallu deux jours. Un site officiel d’Al Qaida a publié vendredi une photographie de Matt Bissonnette avec son nom et cette légende :

Le chien qui a tué le cheikh martyr Oussama Ben Laden.

L’auteur du livre pourrait aussi être poursuivi, comme l’a indiqué le porte-parole de la Navy : “Tout membre du service qui révèle des informations classifiées ou sensibles peut être poursuivi. Cette disposition ne prend pas fin après le départ du service.” D’autant que l’administration Obama est plus que familière des poursuites contre les bavards, lanceurs d’alerte ou whistleblower en langue originale. Six fonctionnaires ont été poursuivis pendant son mandat placé du début à la fin sous le signe des fuites (“leaks”) subies, orchestrées ou combattues. Dès juin, le procureur général avait demandé qu’une enquête soit ouverte contre OpSec.


Photo via la galerie de HonorableGerman [CC-by]

]]>
http://owni.fr/2012/08/28/secret-commandos-americains-campagne-obama-navy-seal/feed/ 1
Des données culturelles à diffuser http://owni.fr/2012/03/28/des-donnees-culturelles-a-diffuser-opendata-bnus/ http://owni.fr/2012/03/28/des-donnees-culturelles-a-diffuser-opendata-bnus/#comments Wed, 28 Mar 2012 13:01:37 +0000 Lionel Maurel (Calimaq) http://owni.fr/?p=103776

Les données culturelles ou celles qui concernent la recherche occupent une place particulière parmi les données publiques. Elles restent de fait encore en retrait au sein du mouvement d’Open Data qui se développe en France.

Données particulières

En effet, un statut juridique particulier a été fixé par la loi sur la réutilisation des informations publiques, pour les données produites par “des établissements et institutions d’enseignement ou de recherche” ou par des “établissements, organismes ou services culturels”. Ce régime particulier, dit “exception culturelle”, permet à ces établissements de fixer les conditions de la réutilisation de leurs données. Les autres administrations relèvent du régime général de cette loi, qui instaure un véritable droit à la réutilisation des informations publiques au profit des citoyens.

Jusqu’à présent, les institutions culturelles et de recherche se sont plutôt servies de cette exception pour restreindre la réutilisation de leurs données, ce qui a pu faire dire que la culture constituait le “parent pauvre de l’Open Data en France“.

Des tensions sont même apparues entre certains services culturels, comme des archives,  et des entreprises à qui la réutilisation des données a été refusée. Les institutions culturelles (bibliothèques, musées, archives) et les institutions de recherche sont pourtant détentrices de données de grande qualité, dont l’apport pourrait être décisif pour le mouvement de l’Open Data.

La France entr’ouverte

La France entr’ouverte

L'État a lancé son site data.gouv.fr. La France, enthousiaste, ouvre donc ses données publiques comme les États-Unis. ...

Le lancement du portail Etalab, de ce point de vue, n’a pas complètement permis de lever les obstacles à la diffusion de ces données. Le Ministère de la Culture et de la Communication, ainsi que celui de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche participent bien à data.gouv.fr, et mettent en ligne plusieurs jeux de données.

En effet, les ministères en eux-mêmes ne bénéficient pas de l’exception culturelle prévue dans la loi de 1978, celle-ci n’étant ouverte qu’aux profits des établissements, institutions et services relevant de leurs tutelles ou a fortiori de celles des collectivités territoriales. De ce fait, ces ministères ont dû, de la même manière que tous les autres, se plier à l’obligation, imposée par la circulaire émise le 26 mai 2011 par François Fillon, de verser leurs données dans data.gouv.fr.

La circulaire a posé dans ce cadre un principe de réutilisation gratuite des données publiques, les administrations ne pouvant imposer de redevances que si “des circonstances particulières le justifient” et par le biais de la procédure relativement lourde d’un décret du Premier Ministre.

Néanmoins l’exception culturelle, si elle ne joue pas au niveau des ministères, continue à protéger les établissements publics. En effet, la circulaire du 26 mai 2011 précise que :

L’article 11 de la loi prévoit un régime dérogatoire pour les établissements et les institutions d’enseignement et de recherche ainsi que pour les établissements, organismes ou services culturels qui fixent, le cas échéant, leurs conditions de réutilisation de leurs informations publiques. Ces établissements ainsi que les collectivités territoriales et les personnes de droit public ou de droit privé chargées d’une mission de service public peuvent, s’ils le souhaitent, mettre à disposition leurs informations publiques sur le portail ‘data.gouv.fr’. Dans ce cas, une convention fixe les conditions de réutilisation de ces informations.

La participation à Etalab reste donc facultative pour les organismes culturels ou de recherche et c’est bien ce que traduit la liste des contributeurs, puisque seule la Bibliothèque nationale de France y figure à ce jour, pour une partie de ses données. C’est pourtant au niveau des établissements eux-mêmes que les jeux de données les plus intéressants sont situés (catalogues, instruments de recherche, données bibliographiques, documents numérisées, etc).

Licence ouverte

Cependant, cette mise à l’écart des données culturelles et de recherche n’est pas une fatalité. Car comme j’avais déjà eu l’occasion de le dire, les établissements peuvent user des latitudes dont ils bénéficient au titre de l’exception culturelle pour poser des règles favorables à la réutilisation. Rien ne les oblige à aller dans le sens de la fermeture.

De ce point de vue, Etalab leur offre un instrument essentiel pour mettre en place des conditions ouvertes de diffusion des données : la Licence Ouverte/Open Licence, retenue pour le portail data.gouv.fr.

Cette licence Etalab présente l’intérêt d’être ancrée dans le droit des données publiques français, tout en étant compatible avec les principes de l’Open Data et les licences libres employées dans le cadre de ces initiatives. S’appuyant sur le droit à la réutilisation des données publiques reconnues par la loi de 1978, la licence Etalab permet la réutilisation gratuite, y compris à des fins commerciales, tout en maintenant les exigences minimales du texte et notamment la mention obligatoire de la source des données (paternité).

Depuis l’ouverture du portail Etalab, un seul établissement culturel avait utilisé cette licence Etalab de manière volontaire pour la diffusion de ses données. Il s’agit de la BnF pour les données bibliographiques enrichies qu’elle diffuse au format RDF par le biais du site data.bnf.fr.

Néanmoins la semaine dernière, une autre bibliothèque, la Bibliothèque Nationale et Universitaire de Strasbourg (BNUS) a annoncé qu’elle adoptait la licence Etalab pour se lancer dans une démarche globale de libération de ses données. Une interview de l’un des responsable de l’établissement, le conservateur Frédéric Blin, explique la démarche de l’établissement et les raisons l’ayant poussé à faire ce choix.

La première originalité de la BNUS consiste à avoir choisi d’utiliser la licence Etalab aussi bien pour diffuser les métadonnées produites par l’établissement que pour les documents numérisés eux-mêmes, qu’elle produit à partir des œuvres du domaine public qu’elle conserve.


“La décision exacte votée par notre Conseil d’administration est formulée de la manière suivante”
:

La décision exacte votée par notre Conseil d’administration est formulée de la manière suivante :

  • Les données bibliographiques (dont les métadonnées des documents numériques) produites par la BNU sont considérées comme des données publiques et à ce titre placées sous Licence Ouverte ou autre licence compatible (libre réutilisation, y compris à des fins commerciales, sous réserve de mentionner la source de l’information) ;
  • Les fichiers numériques issus de la numérisation par la BNU d’œuvres du domaine public conservées dans ses collections sont considérés comme des données publiques et à ce titre placés sous Licence Ouverte ou autre licence compatible.

Par ailleurs, Frédéric Blin explique le calcul économique qui a conduit son établissement à renoncer à tarifer les réutilisations à des fins commerciales de ses données :


Avant notre décision, nous appliquions une redevance d’usage, de l’ordre de 35€ par image [...] Cependant, les sommes récoltées par la BNU chaque année au titre de la redevance d’usage étaient minimes, de l’ordre de 3000€. Elles ne couvraient naturellement pas le temps de travail de la secrétaire chargée de gérer les factures et la correspondance avec les lecteurs, ni le temps des autres personnes – y compris de l’Administrateur – impliquées en cas de demande d’exonération ponctuelle ou systématique. En outre, nous espérons que l’abandon de la redevance d’usage entrainera une augmentation des demandes de numérisation de documents, service qui lui restera payant. Dans notre cas particulier, nous pensons qu’en autorisant la libre réutilisation, l’établissement sera au final bénéficiaire au strict plan financier.

D’autre part, nous estimons que la libération des données favorise la créativité artistique et intellectuelle, de même que commerciale : établissement public, il est dans l’intérêt de la BNU de favoriser le dynamisme économique et commercial du pays, créateur d’emplois et générateur de rentrées fiscales. La BNU devient ainsi indirectement une source d’activité économique : le retour sur l’investissement consenti par la Nation pour le financement de la BNU trouve ici une concrétisation potentiellement mesurable.

Cette logique, qui est complètement en phase avec la philosophie de l’Open Data, est hélas fort peu répandue dans le secteur culturel. J’avais eu l’occasion de montrer par exemple, à partir d’une analyse systématique des pratiques, qu’une part écrasante des bibliothèques françaises restreignent l’utilisation des œuvres du domaine public qu’elles numérisent, en recourant à des droits de propriété intellectuelle revendiqués dans des conditions contestables.

La situation n’est pas différente, sinon plus fermée encore, dans les services d’archives et de musées, et le discours au niveau central reste celui d’une valorisation économique des données, assortie d’une défense de l’exception culturelle.

Quelques établissements commencent à adopter une attitude plus ouverte, en employant notamment la Public Domain Mark, pour les documents du domaine public qu’ils diffusent.

L’exemple de la BNUS ouvre une nouvelle piste, plus générale, par laquelle la licence Etalab permet la libre diffusion à la fois des métadonnées et des documents numérisés.

L’enjeu de ces discussions n’est pas seulement juridique. Il est aussi celui de la participation des données produites par les institutions françaises, culturelles et de recherche, au mouvement général de l’Open Data et à la constitution du web sémantique.

Beaucoup de temps a sans doute été perdu en France autour de débats stériles à propos de cette exception culturelle, dont l’utilité reste encore à démontrer. Pendant ce temps, au niveau européen, une nouvelle directive sur la réutilisation des informations du secteur public est en préparation.

Dont l’un des enjeux est justement à savoir s’il faut maintenir un statut particulier pour les données de la culture et de la recherche.


Illustration par Marion Boucharlat pour Owni /-)

]]>
http://owni.fr/2012/03/28/des-donnees-culturelles-a-diffuser-opendata-bnus/feed/ 8
Samples, remix, covers: de quoi a-t-on le droit? http://owni.fr/2010/08/27/25905/ http://owni.fr/2010/08/27/25905/#comments Fri, 27 Aug 2010 15:38:00 +0000 Emmanuelle Bruch http://owni.fr/?p=25905 La soucoupe musicale est honorée d’accueillir à son bord Emmanuelle Bruch, avocate à la Cour, ancienne productrice/éditrice et manager.

La création musicale des années 2000 a souvent tendance a faire des emprunts à des créations pré-existantes. Aussi semble-t-il capital de faire un point sur ces nouveaux modes de création, et de bien avoir en tête les réflexes à adopter pour « créer » et exploiter ses créations en toute légalité, même si elles empruntent à d’autres œuvres.

A titre préliminaire il convient de bien rappeler qui sont les titulaires de droits sur une œuvre musicale (I) puis d’examiner la nature des droits en jeux, et les démarches à effectuer en cas d’utilisation de sample, de création de remix, ou de production ou d’interprétation d’une cover (II)

I) L’œuvre musicale et ses ayants droits

L’œuvre musicale est protégée par le droit d’auteur (article L112-1 du code de la Propriété Intellectuelle) et par les droits voisins (Article L213-1 du même code).

Autrement dit, il existe des titulaires de droits sur :

La composition (ou encore l’œuvre immatérielle) :

Du seul fait de sa création, l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. (Article L111-1 du code de propriété intellectuelle).

Ce droit est composé :

  • Du droit moral de l’auteur, qui comprend : le droit de divulgation, le droit de retrait (article L121-4 CPI), le droit à la paternité (article L121-1 CPI), le droit au respect de l’intégrité de l’œuvre : (articles L121-1 ; L132-11 ; L132-22 CPI)
  • Du droit patrimonial de l’auteur, comprenant, aux termes de l’article L122-1 du CPI : le droit de reproduction (fixation matérielle de l’œuvre permettant de la communiquer au public) et le droit de représentation. Ces droits font en général l’objet d’une gestion collective par la SACEM.

A noter qu’il est fréquent que l’auteur cède une partie de ses droits patrimoniaux à l’éditeur, qui doit le cas échéant, aussi être considéré comme un ayant-droit de l’œuvre. (Un article sera consacré à toutes les questions relatives à l’édition musicale)

L’enregistrement ou encore le « master »

L’enregistrement est protégé par les droits dits « voisins » du droit d’auteur comprenant :

  • Les droits de l’artiste interprète :

L’artiste interprète jouit d’un droit moral au titre de l’article L212-1 du code de la propriété intellectuelle : ce droit «  inaliénable et imprescriptible » attaché à sa personne comprend le droit au respect de son nom, de sa qualité et de son interprétation.

Il jouit aussi, au titre de l’article L212-3 d’un droit patrimonial, soumettant à autorisation écrite de l’artiste interprête la fixation de sa prestation, sa reproduction et sa communication au public.

  • Les droits du producteur de phonogramme :

Aux termes de l’article L213-1 du code de la propriété intellectuelle, le producteur de phonogramme est la personne, physique ou morale, qui a l’initiative et la responsabilité de la première fixation d’une séquence de son.

Les droits du producteur de phonogramme consistent uniquement en des prérogatives patrimoniales.

Il dispose du droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la reproduction directe ou indirecte de leurs phonogrammes mais aussi de celui de contrôler toute communication de l’œuvre au public.

Aussi, il faut ici retenir qu’en cas d’utilisation d’une séquence d’enregistrement d’une œuvre musicale pré-existante, il est impératif de solliciter l’autorisation du producteur et de l’artiste interprête s’il y a lieu.

En cas d’utilisation d’un sample reproduisant l’interprétation d’un artiste, il faudra aussi, au titre du respect de son droit moral et des droits de personnalité qui lui sont attachés porter son nom sur les crédits du nouvel enregistrement. De même, la modification ou l’altération de cette interprétation ne peut aucunemenent se faire sans son autorisation.

Aussi, il conviendra de systématiquement s’interroger sur la nature des droits empruntés à l’occasion de l’utilisation d’un sample, de la production / interprétation d’une cover, et de la création d’un remix.

Notons une intéressante décision de la Cour d’appel de Paris qui opère une distinction et une définition de toutes ces « nouvelles techniques » :

« La technique du sample consiste dans l’intégration d’extraits musicaux dans une autre et ne peut du fait de sa fragmentation qui constitue une altération de l’œuvre première, être pratiquée sans l’autorisation de l’auteur, tandisque le mix consiste dans l’enchainement d’œuvres enregistrées dans leur intégralité et le remix suppose une reprise intégrale de l’œuvre pré-existante dans une nouvelle interprétation, enregistrements qui dans la mesure où ils ne modifient ni le texte ni la musique d’origine sont licites. »

(Cour d’appel de Paris 4ème chambre Sect. B 22 octobre 2004 Marc Cerrone c/ Alain Wisniak et autres)

II) Le Sample, le remix, la Cover

Le Sample

Les problématiques liées au Sample soulèvent plusieurs questions :

  • Quelle est la nature de l’œuvre nouvelle intégrant le sample ? A qui appartiennent les droits sur cette nouvelle œuvre ?
  • Que faut il faire lorsqu’un sample est incorporé dans une œuvre ?
  • Quel est le régime et quelles sont les sanctions attachées à l’utilisation non « clearée » d’un sample ?
  • Y a t’il des utilisations d’échantillons d’œuvres pré-existantes qui pourraient se faire sans solliciter l’accord des ayants droits de l’œuvre originale ?

Nature de l’œuvre nouvelle

De façon unanime, l’œuvre nouvelle incorporant le sample doit être considérée comme une œuvre originale.

Cette œuvre originale pourra être soumise au régime de l’œuvre dite « composite » ou à celui de l’œuvre de collaboration. Toutefois l’utilisation d’un sample dans une œuvre nouvelle, du fait de la non contribution active de l’auteur de l’œuvre dont l’échantillon est extrait, semble davantage conférer à l’œuvre nouvelle le statut d’œuvre composite.

Quelle est donc la différence entre l’œuvre composite et l’œuvre de collaboration ?

L’œuvre composite est définie, aux termes de l’article L113-2 alinéa 2 du code de propriété intellectuelle, comme une œuvre nouvelle à laquelle est incorporée une œuvre préexistante sans la collaboration de l’auteur de cette dernière.

L’œuvre de collaboration est l’œuvre à laquelle ont concouru plusieurs personnes.

Que dit la jurisprudence ?

Selon une décision du Tribunal de Grande Instance de Paris (23 Septembre 1992 / RIDA, oct. 1993, p.257) « Il y a œuvre composite dès qu’il y a utilisation d’éléments formels empruntés à une œuvre protégée par le droit d’auteur »

Titularité des droits sur l’œuvre nouvelle :

Rappelons que l’incorporation d’un sample dans une œuvre nouvelle semble plutôt conférer à l’œuvre nouvelle le statut d’œuvre composite.

Aussi, partant de cette considération, il faut se référer à l’article L113-4 du code de propriété intellectuelle pour déterminer la titularité des droits sur l’œuvre nouvelle : « L’œuvre composite est la propriété de l’auteur qui l’a réalisée, sous réserve des droits de l’auteur de l’œuvre pré-existante »

Ainsi, selon les commentaires sous cet article dans le CPI :

« cette disposition exprime clairement l’idée que le créateur de l’apport nouveau original d’une œuvre de seconde main est le seul auteur de cette dernière. Mais pour pouvoir disposer de cette création, il lui sera nécessaire de respecter les droits patrimoniaux (autorisation, rémunération) et moraux (divulgation, respect, paternité) du créateur de l’œuvre première.»

« L’auteur d’une œuvre première a droit à une rémunération proportionnelle sur les recettes de l’exploitation de l’œuvre composite » (Paris, 10 mars 1970)

Il s’agira donc d’obtenir l’accord de l’auteur de l’échantillon incorporé à l’œuvre nouvelle, et de lui attribuer une rémunération proportionnelle sur l’œuvre nouvelle, qui sera en général fonction de l’importance de l’extrait incorporé dans l’œuvre nouvelle.

Régime et sanctions attachées à l’utilisation non « clearée » d’un sample :

Comme exposé dans les développements précédents, la solution indiquée pour fonctionner en toute légalité est bien évidemment que l’auteur de la nouvelle œuvre incluant des extraits d’une œuvre pré-existante sollicite l’accord  des ayants droits de celle-ci. Et c’est la régle de principe à retenir.

Cette autorisation peut être sollicitée auprès de la SACEM qui gère collectivement les droits de représentation et de reproduction attachés au droit d’auteur.

Il existe toutefois des exceptions légales :

  • L’utilisation d’extraits d’œuvres tombées dans le domaine public : il faudra juste ici être vigilant sur la nature des droits empruntés et bien distinguer un emprunt au droit d’auteur ou un emprunt aux droits voisins. En effet, Une œuvre peut être tombée dans le domaine public au terme de la protection accordée par le droit d’auteur, mais si c’est un enregistrement qui est « samplé », il conviendra de s’assurer que l’enregistrement ne fait pas l’objet d’une protection au titre des droits voisins, car il a pu être fixé récemment. Auquel cas, l’autorisation de l’auteur ne serait pas nécessaire, mais l’autorisation du producteur, et de l’artiste interprète le cas échéant, oui.
  • Les autres exceptions légales permettant une utilisation de l’œuvre sans autorisation ne semblent pas s’appliquer à l’utilisation d’un sample dans une œuvre nouvelle, il s’agit : du droit de citation (article L122-5 du CPI) ;  de la parodie, la caricature, le pastiche ; et de l’exception d’usage privé (articles L122-5 & L211-3 du CPI)

Quelles sont les sanctions attachées à l’utilisation sans autorisation d’un sample ?

On distinguera encore ici les sanctions attachées à l’utilisation non autorisée d’un extrait de l’œuvre en elle-même (contrefaçon de droits d’auteur) des sanctions attachées à l’utilisation sans autorisation d’un extrait de l’enregistrement (protégé par les « droits voisins »).

  • L’utilisation non autorisée d’un extrait de l’œuvre musicale :

Une telle utilisation est en principe sanctionnée par le délit de contrefaçon. En effet, aux termes de l’article L122-4 du Code de la Propriété Intellectuelle, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. »

Et en application de l’article L335-3 du CPI, « est un délit de contrefaçon toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d’une œuvre de l’esprit en violation des droits de l’auteur, tels qu’ils sont définis et réglementés par la loi »

Le délit de contrefaçon est sanctionné par trois ans d’emprisonnement et 300.000 Euros d’amende (article L335-2-1 CPI).

Toutefois la contrefaçon n’est pas toujours prononcée en matière d’utilisation d’échantillon musical. En effet, le droit d’auteur ne protège que « l’organisation intellectuelle des sons ». Les éléments caractéristiques de l’œuvre musicale étant la mélodie, l’harmonie et le rythme.

Aussi, « la recherche se fera par l’examen des ressemblances dans l’analyse verticale, c’est à dire harmonique, et l’analyse horizontale, c’est à dire mélodique et rythmique, en sorte que l’analogie des mélodies et des similitudes dans la conduite harmonique et la forme, notamment lorsqu’elles portent sur l’intégralité du refrain et sur le pont caractéristique, constituent des actes de contrefaçon » (Paris, 19 novembre 1985).

De même, « il n’y a pas contrefaçon à reprendre une cellule mélodique utilisée dans deux mesures lorsque cette cellule est dénuée d’originalité car appartenant à un fonds commun que l’on retrouve dans différentes formes de musique et à différentes époques » (Paris, 30 novembre 1979)

Le critère mis en avant désormais par la jurisprudence pour déterminer le caractère contrefaisant ou non de l’utilisation non autorisée d’un sample est le caractère reconnaissable de l’emprunt par un auditeur moyen. (TGI de Paris 2 décembre 1993 Les inconnus contre Macéo Parker ; 3ème chambre de la CA de Toulouse 16 mars 2000 ;TGI Paris 5 juillet 2000).

  • L’utilisation non autorisée d’un sample d’enregistrement

L’utilisation d’un sample d’enregistrement jouit d’une protection plus forte car l’atteinte aux droits est constituée, dès l’utilisation d’une seule note.

Il faut en effet bien comprendre qu’une portion de musique enregistrée, significative ou pas, appartient à son producteur et ne peut être utilisée sans son accord.

Une telle utilisation est également sanctionnée par le délit de contrefaçon en application de l’article L335-4 du CPI. Ce délit est puni par trois ans d’emprisonnement et 300.000 Euros d’amende.

Cette utilisation peut également être sanctionné d’autres façons, par des actions fondées sur le droit commun de la responsabilité délictuelle (article 1382 et 1383 du code civil ) pour atteinte aux droits de la personnalité de l’artiste interprète par exemple.

Pour conclure, en cas d’utilisation de sample dans une œuvre nouvelle, il est important de bien distinguer selon qu’est empruntée uniquement la composition, et que l’accord samplé est réenregistré, auquel cas il suffira de solliciter l’accord de la SACEM, et d’attribuer aux ayants droit de l’extrait leur rémunération proportionnelle et de respecter leur droit moral. Si c’est aussi une portion de l’enregistrement qui est incorporée dans le nouvel enregistrement, il faudra impérativement solliciter l’accord du producteur et de l’artiste interprète le cas échéant, et respecter son droit moral.

Le Remix

« Le remix suppose une reprise intégrale de l’œuvre pré-existante dans une nouvelle interprétation, enregistrements qui dans la mesure où ils ne modifient ni le texte ni la musique d’origine sont licites. » (Cour d’appel de Paris 4ème chambre Sect. B 22 octobre 2004 Marc Cerrone c/ Alain Wisniak et autres)

Il faut déduire de cette décision que l’utilisation de l’œuvre pré-existante ne porte pas atteinte au droit d’auteur. Toutefois il conviendra de s’acquitter des droits d’auteur à la SACEM.

En général le « remixeur » peut demander des droits d’arrangement (généralement à hauteur de 5 % ) sur la version remixée.

Concernant les droits voisins, le remix est une version modifiée d’un phonogramme. Il peut réunir des séquences pré-existantes modifiées et des nouvelles séquences fixées spécialement.

Au regard des droits voisins, cette réutilisation est soumise à l’autorisation préalable du producteur (article L213-1 CPI) et des artistes interprêtes.

En effet, selon l’article L212-3 du code de la propriété intellectuelle :

« sont soumises à autorisation écrite de l’artiste-interprète la fixation de sa prestation, sa reproduction, et sa communication au public, ainsi que toute utilisation séparée du son et de l’image de la prestation lorsque celle-ci a été fixée à la fois pour le son et l’image »

De même, le respect du droit moral de l’artiste interprète est nécessaire : donc le respect de son nom, dont on déduit la nécessité de créditer le nom sur les crédits de la version remixée, et le respect de son interprétation. Car aux termes de l’article L212-2 du CPI, « le respect dû à l’interprétation de l’artiste en interdit toute altération ou dénaturation » (Soc. 8 février 2006).

Le Tribunal de Grande Instance de Paris a pu ainsi juger que :

« la superposition d’un bruitage à l’interprétation d’un chef d’orchestre peut, dans certaines circonstances, porter atteinte au droit au respect de cette interprétation ». (TGI Paris 10 janvier 1990)

Statut du remix

Selon Jean Vincent, le remix aurait un statut hybride et il évoque ici aussi un statut d’œuvre composite. Cependant il envisage ici ce statut au regard des droits voisins, et envisage ici un statut de co-propriété de deux producteurs : celui du son emprunté et celui des nouvelles séquences de son.

Si cela paraît tout à fait juste si l’on se base sur le droit voisin. Une autre analyse, au regard du droit d’auteur, et si l’on s’en tient à la position de la Cour d’appel, attribuerait d’avantage le statut d’ adaptation, ou d’œuvre dérivée au remix (article L 112-3

La Cover

La « Cover » ou encore la « reprise » (en français) correspond à la production d’un nouvel enregistrement d’une version exactement similaire à une version existante interprétée par un nouvel artiste interprète.

Cette pratique est complètement licite, au regard du droit d’auteur,  dès lors que les redevances sont acquittées auprès de la société de gestion collective des droits d’auteur (La SACEM).

De même, cette technique ne porte pas atteinte aux droits voisins, car il s’agit d’un nouvel enregistrement.

Toutefois, si la reprise de l’enregistrement original fait l’objet d’une sortie commerciale au même moment que la sortie du titre original, cette pratique peut être qualifiée de pratique déloyale et parasitaire, l’éditeur de la cover ayant eu pour seul objectif de profiter des investissements publicitaires réalisés par le producteur de la version réinterprétée. ( Cour d’appel de Paris 13 nov. 2002 Sony music entertainment c/ Wegeber International BV)

Il est important et fondamental, dans cette ère de la création musicale, marquée par une évolution des techniques, où l’on emprunte beaucoup au passé, et notamment avec l’avènement du hip hop et de l’électro, de veiller au respect du droit d’auteur et des droits voisins. En espérant que ce court développement offre une synthèse suffisante des droits en jeu et des démarches à opérer, chers Créateurs, comme on dit, « y a plus qu’à »…

__

Crédits Photo CC Flick : Thomas Hawke,Mixtribe et Auroramixer.

]]>
http://owni.fr/2010/08/27/25905/feed/ 32
Mes amis sur Facebook n’ont pas (encore) toutes leurs dents http://owni.fr/2010/04/29/mes-amis-sur-facebook-n%e2%80%99ont-pas-encore-toutes-leurs-dents/ http://owni.fr/2010/04/29/mes-amis-sur-facebook-n%e2%80%99ont-pas-encore-toutes-leurs-dents/#comments Thu, 29 Apr 2010 18:25:07 +0000 Marie-Andrée Weiss http://owni.fr/?p=13998 De plus en plus de parents créent une page Facebook ou Twitter au nom de leur enfant, parfois dès la naissance, et même quelquefois bien avant. Certains parents justifient cette pratique par la nécessité de fournir régulièrement aux grands parents de nouvelles photos du bambin sans devoir pour ce, horreur, accepter parents ou beaux-parents comme amis sur les réseaux sociaux.

Autre phénomène, certains parents utilisent la photo de l’un de leurs enfants pour avatar. Les parents, titulaires de l’autorité parentale, ont-ils un droit absolu de publier l’image de leur enfant mineur?

Le Children Online Privacy Protection Act

S’il n’est pas interdit selon les Conditions Générales d’Utilisation de Facebook d’utiliser comme avatar une image autre que notre propre photographie, il est en revanche interdit d’utiliser Facebook si l’on a moins de 13 ans, et le site ferme systématiquement les pages des bébés créées par leurs parents.

Le choix de l’âge de 13 ans comme âge limite n’est pas anodin pour cette compagnie soumise au droit des États-Unis. En effet une loi fédérale, le Children Online Privacy Protection Act (COPPA) exige que les créateurs de sites Internet collectant les informations personnelles d’enfants âgés de moins de 13 ans aient une politique de confidentialité adaptée, et obtiennent un consentement parental préalable et vérifiable.

En outre, le parent doit pouvoir refuser que ces informations soient divulguées à des tiers, et une option opt-out doit lui être proposée. Le parent peut même effacer les données personnelles de l’enfant ainsi collectées. Un site Internet qui ne respecterait pas les dispositions de cette loi encourt des peines d’amende jusqu’à 400 000 dollars.

L’autorité parentale

Le consentement des parents permet la collecte des données personnelles des enfants de moins de treize ans aux États-Unis. En France, l’article 371-1 du Code civil définit l’autorité parentale comme « un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant », et elle doit être exercée dans le respect dû à la personne de l’enfant. Décider de publier la photographie de son enfant sur Internet, et d’ouvrir ainsi le traditionnel album de famille aux internautes, respecte-t-il la personne de l’enfant ?

Le droit à l’image

Chacun a droit au respect à sa vie privée selon l’article 9 du Code civil, et chacun a un droit sur sa propre image. Il s’agit d’un droit de la personnalité, c’est-à-dire d’un droit extra-patrimonial qui s’apparente à un droit de l’homme. Les parents sont les gardiens de ce droit de l’enfant, et ils doivent donner leur autorisation expresse pour que l’image de leur enfant soit utilisée par des tiers.

Ils peuvent ainsi s’opposer à la publication sur un site de réseau social d’une photographie de leur enfant mineur, même par une grand-mère, un oncle, ou un ami proche de la famille. De plus, selon la Cour de Cassation, le parent dont l’autorité parentale a été méconnue par la publication de l’image de son enfant mineur éprouve, du fait de l’atteinte à ses prérogatives, un préjudice personnel dont il peut obtenir indemnisation.

L’enfant mineur a-t-il le droit de prendre des décisions concernant son droit à l’image?

L’enfant mineur a-t-il des droits sur son image avant sa majorité ?Seul un parent peut autoriser la publication de son image. En 1972, la Cour de Cassation n’avait pas été convaincu par le moyen invoqué par une maison d’édition, qui avait publié des photographies d’un mineur illustrant sa liaison avec un de ses professeurs, selon lequel « les pouvoirs de l’administrateur légal ne sauraient aller jusqu’à déposséder le mineur de sa propre histoire, sous peine de le priver de toute individualité et de lui ôter la qualité même de personne humaine ».

Selon la Cour de Cassation « la divulgation de faits relatifs à la vie privée d’un mineur [est] soumise à l’autorisation de la personne ayant autorité sur lui ». Le mineur n’a pas le droit de prendre des décisions quant à la divulgation ou non d’informations appartenant à sa vie privée. Cette jurisprudence est toujours en vigueur après près de quarante ans.

Réponses possibles du législateur

Plutôt qu’aux parents, est-ce au législateur de protéger le droit l’image des mineurs? Viviane Reding, alors commissaire européenne chargée de la société de l’information et des médias, avait déclaré il y a un an que

« la protection de la vie privée doit être une priorité pour les fournisseurs et pour les utilisateurs des sites de socialisation. Il me paraît essentiel que les profils des mineurs (…) soient privés par défaut et inaccessibles aux moteurs de recherche ».

Si la France se dotait d’une loi obligeant les sites de réseaux sociaux à rendre inaccessibles par défaut les profils des mineurs, la publication des images des mineurs ne se ferait alors que dans le cadre, non du cercle de famille, mais des « amis » du réseau social, et la décision de permettre ou non à un tiers d’accéder à un profil appartiendrait toujours aux parents, qui contrôleraient ainsi le champ de diffusion des photographies.

Vers une gestion personnelle du mineur de son droit à l’image?

Pourrait-on envisager que le mineur ait bientôt le droit de gérer sa propre image? Dans un avis de février 2010 sur l’actuelle proposition de loi visant à mieux garantir le droit à la vie privée à l’heure du numérique, la Sénatrice Catherine Morin-Desailly proposa d’adapter le Children Online Privacy Protection Act en droit français, mais en étendant les droits du mineur de plus de treize ans afin qu’ils puissent faire jouer « directement et personnellement le droit d’opposition ou de rectification des données publiées qui les concernent ».

Il est vrai que cette proposition de loi prévoit que les élèves soient informés des risques liés à l’utilisation d’Internet au regard de la protection des données personnelles et du droit à la vie privée. Mieux informés, les mineurs pourraient gérer efficacement l’utilisation de leur image sur Internet. Ils pourraient alors demander à leurs parents de supprimer leurs photographies publiés sur les réseaux sociaux.

On revient d’ailleurs désormais sur l’idée reçue que « les jeunes ne se soucient pas de leur vie privée », et plusieurs études parues récemment aux États-Unis tendent à prouver le contraire.

La proposition de loi ne sera peut-être jamais adoptée, mais, une fois majeur, l’enfant a plein contrôle sur son image. Mais Internet a beaucoup de mémoire, à tel point que le gouvernement français s’interroge actuellement sur la nécessité d’un droit à l’oubli.

Un droit à l’oubli de nos photographies?

Il n’existe pas actuellement en droit français de droit à l’oubli pour des faits relatifs à la vie privée licitement révélés au public. Il existe néanmoins un droit à l’oubli de nos données à caractère personnel. Si elles sont conservées sous une forme permettant l’identification de la personne, elles ne peuvent être conservées pendant une durée excédant la durée nécessaire à la finalité du traitement de données (article 6 de la loi « Informatique et Libertés »). En outre, l’article 38 de la loi donne à toute personne le droit de s’opposer à ce que des données à caractère personnel la concernant fassent l’objet d’un traitement.

Dès l’âge de 18 ans, l’enfant pourra interdire à ses parents de publier sa photo sur Internet, au risque de se voir, sinon déshérité, du moins banni de leur compte Facebook

Merci à Sabine Blanc qui m’a donné l’idée de ce billet !

> Illustration CC par Leonidas Tsementzis sur Flickr

]]>
http://owni.fr/2010/04/29/mes-amis-sur-facebook-n%e2%80%99ont-pas-encore-toutes-leurs-dents/feed/ 6
Le droit d’auteur est-il une notion périmée ? http://owni.fr/2010/04/27/le-droit-dauteur-est-il-une-notion-perimee/ http://owni.fr/2010/04/27/le-droit-dauteur-est-il-une-notion-perimee/#comments Tue, 27 Apr 2010 10:40:08 +0000 Guillaume de Lacoste http://owni.fr/?p=13702 Alors que la guerre est engagée entre Google et les éditeurs et qu’elle s’étend aux photographes, il est temps de reconsidérer à neuf la notion même de propriété intellectuelle.

Les domaines de la culture, des savoirs et de l’information sont bouleversés. Il y a le piratage, massif dans la musique, le cinéma, le jeu, la photographie et les journaux, embryonnaire mais en pleine expansion dans le livre. Il y a le développement stupéfiant du contenu généré par les utilisateurs sur internet, avec les blogs, les wiki et les applications dites Web 2.0. Il y a les multiples initiatives de Google pour rendre accessibles tous les contenus de manière structurée, dans la presse, l’édition, la musique, la vidéo, les images… Il y a le monde du logiciel libre, dont l’ampleur et le sérieux rivalisent avec le logiciel propriétaire.

Face au déferlement de ce nouvel univers numérique, les représentants des secteurs économiques concernés n’ont qu’une réponse, mais absolue : le droit d’auteur. Depuis les discours des organisations professionnelles et du Ministre de la culture, jusqu’aux deux lois Hadopi qui veulent apporter une solution opératoire, tous s’accrochent au droit d’auteur comme à un dogme. C’est ce dogme que je veux interroger d’un point de vue pragmatique.

Rappel sur le droit d’auteur

La propriété intellectuelle est une construction juridique récente. Elle apparaît à la Renaissance, se répand à la fin du XVIIIe siècle et trouve sa formalisation complète avec la convention de Berne de 1886. Depuis cette époque, le principe est établi, et les développements ultérieurs n’ont été que des aménagements.

Le fond du droit d’auteur est simple : la loi attribue à toute personne un droit de propriété incorporelle sur les œuvres de l’esprit qu’elle crée. Ce droit porte non sur les idées, qui restent libres, mais sur leur expression. Certes, la distinction est toujours délicate entre une idée (un poète provincial candide monte à Paris pour y trouver la gloire, et devient un journaliste retors) et son expression dans une œuvre déterminée (Les Illusions perdues), mais la jurisprudence a su s’y retrouver, et cette règle apparemment très théorique s’applique bien.

L’invention juridique de la propriété intellectuelle a permis l’essor des industries culturelles à partir de l’imprimerie, sans empêcher la libre circulation des idées. Ainsi le droit d’auteur est-il entré dans les mœurs, en dépit de son caractère conventionnel.

Comment le droit d’auteur fonctionne-t-il ? Il se divise entre un droit moral et un droit patrimonial. Le droit moral tient dans le respect de l’intégrité de l’œuvre et du nom de son auteur. Le droit patrimonial concerne l’exploitation commerciale de l’œuvre ; il se subdivise entre le droit de reproduction et le droit de représentation.
Le droit de reproduction est assez évident, puisqu’il s’agit de la copie. Il est aisé de déterminer si une réplication est abusive, qu’il s’agisse d’un plagiat ou d’une exploitation non autorisée de l’œuvre.

La représentation est une notion beaucoup moins claire. Elle devait couvrir la lecture publique et la représentation dramatique. Tant qu’il s’agit de roman, de poésie ou de théâtre, on s’y retrouve. Mais dès qu’on entre dans le domaine des idées, avec les essais ou les manuels d’enseignement, ce droit pose un problème d’usage.

Le droit de représentation à l’épreuve de l’enseignement

Un professeur qui suit de près un ouvrage pour donner un cours en fait une représentation. Ce n’est pas le cas lorsque l’enseignant développe un commentaire neuf à partir d’une œuvre, car il y a alors création au sens où l’entend la jurisprudence, mais il suffit d’avoir été étudiant pour savoir combien les cours originaux sont rares… De plus, lorsque le cours est basé sur un manuel, la représentation est évidente, puisque c’est le principe même de ce type de livre. Or cette représentation n’est pas expressément autorisée. Au regard de la loi, il s’agit donc chaque fois d’une infraction, aggravée par le fait que l’enseignant en tire une rémunération.

Il existe dans tous les systèmes juridiques des exceptions pédagogiques, mais elles concernent l’usage d’extraits, et non de pans entiers de livres ; et elles doivent être compensées par une rémunération. Cette deuxième condition n’étant jamais remplie, rien ne permet la pratique commune de l’enseignement.

Les écoles et les universités sont ainsi, depuis que le droit d’auteur existe, le lieu d’un piratage massif sur lequel auteurs et éditeurs ont toujours fermé les yeux, alors qu’ils étaient en droit de réclamer des contreparties financières sur tous les cours calqués sur des livres. Le photocopiage dans les établissements d’enseignement, qui a suscité tant d’émois et qui a finalement été régulé, n’était que le pendant visible de ce qui se passe dans les salles de cours et les amphithéâtres. Les droits de représentation auraient dû être traités en même temps, mais la fraude était moins facile à établir, faute de preuves matérielles.

Longtemps, cette inadéquation de la notion de droit d’auteur à l’enseignement est restée inaperçue car elle n’affectait pas les modèles économiques des éditeurs. Aujourd’hui que de très nombreux cours sont accessibles en télédiffusion sur internet, ce phénomène a gagné en ampleur au point de menacer l’édition universitaire. Il ne faut pas en accuser les technologies de l’information : la faille était d’origine dans le droit de la propriété intellectuelle, qui est inadapté à la transmission des savoirs.

Reformer le copyright pour les savoirs : les licences Creative Commons

Les licences Creative Commons, qui se répandent depuis quelques années, notamment avec le projet Wikipedia, donnent un cadre juridique à la pratique habituelle de l’enseignement (voir sur creativecommons.org). Le principe de ces licences est de permettre la libre diffusion d’une œuvre, en ne régulant que le droit moral, c’est-à-dire le respect de la personne de l’auteur et de son intention.

Par exemple, l’auteur peut autoriser la diffusion de son œuvre à la condition de mentionner sa paternité, de ne pas la commercialiser et de ne pas en faire des œuvres dérivées (c’est alors une licence Attribution Non-Commercial No Derivatives, abrégée cc by-nc-nd). Il peut également en autoriser tous les usages librement dans la mesure où les productions dérivées respectent les mêmes conditions de licence (Attribution Share Alike, cc by).

Les licences Creative Commons constituent une grammaire du droit d’auteur, à partir de quatre catégories de base : mention de la paternité, autorisation ou non d’en faire des œuvres dérivées, obligation ou non de diffuser ces œuvres dérivées aux mêmes conditions, autorisation ou non à des tiers de faire une exploitation commerciale de l’œuvre. Ces licences partent du principe que les œuvres de l’esprit doivent circuler librement tant que le droit moral des auteurs est sauf, ce qui les distingue radicalement du copyright, qui vient du présupposé contraire, à savoir que les productions intellectuelles ont vocation à être commercialisées.

Concrètement, le cadre juridique élaboré par les licences Creative Commons semble plus pertinent que le droit d’auteur comme principe général de droit pour les savoirs. Son succès croissant en l’absence de toute incitation tend à le prouver.

Ainsi, les licences libres, comme le copyleft ou les licences GNU et BSD, qui sont très utilisées dans le domaine du logiciel, peuvent s’exprimer dans les catégories des Creative Commons. Elles sont des expressions de cette approche.

Mais le droit d’auteur n’est pas mis à mal uniquement avec le droit de représentation dans le domaine de l’enseignement.

Le marché de l’occasion, lieu de non-droit d’auteur

Le dispositif de la propriété intellectuelle souffre de plusieurs faiblesses structurelles issues de son caractère conventionnel. Cette propriété repose sur une abstraction première, qu’on oublie souvent mais qui est pourtant la clé de voûte du système : le droit de propriété est attaché à l’œuvre de l’esprit indépendamment de ses supports matériels. “La propriété incorporelle est indépendante de la propriété de l’objet matériel.”

C’est pour cette raison que, si on veut utiliser une photographie qui n’est pas encore tombée dans le domaine public, il faut en demander l’autorisation non au propriétaire du cliché ou des négatifs, mais aux ayants-droits du photographe. Le droit incorporel n’est pas attaché à la chose mais à l’acte créatif de l’auteur.

Le même principe fonde le “droit de suite“, qui permet au créateur d’une œuvre d’être intéressé à la cession de l’original, par exemple quand le propriétaire d’un tableau le revend.

Dans les faits, cette règle souffre une exception notable mais peu contestée : le marché de l’occasion. S’il est permis de revendre le papier d’un livre ou la galette d’un CD, il est théoriquement interdit de céder en même temps l’accès à l’œuvre ainsi contenue. Le client d’un bien culturel d’occasion devrait payer le propriétaire du support, d’une part, mais aussi verser un droit de suite aux ayants-droits de l’œuvre, d’autre part. Or il n’en est rien, et tout se passe pour le marché de l’occasion comme si le droit d’accéder à l’œuvre était inclus dans le support matériel.

Encore une fois, cette inadéquation du droit de la propriété intellectuelle à la réalité des échanges n’a pas posé de problème tant que les modèles économiques des principaux professionnels de la culture restaient viables. Les revenus des ventes couvraient largement le préjudice potentiel. Mais les possibilités de reproduction des œuvres ont changé la donne et manifesté une autre limite latente du droit d’auteur : l’objet donne non seulement l’accès à l’œuvre mais aussi le moyen de la transmettre, et désormais à grande échelle.

Le problème juridique du téléchargement


Pour compléter ce tableau des insuffisances de la notion de propriété intellectuelle, il faut encore s’arrêter sur le moyen principal de circulation des œuvres de l’esprit aujourd’hui : le téléchargement. Ce procédé, quoique neuf, est maintenant le plus utilisé de tous. Or il n’entre pas dans les catégories du droit d’auteur.

En effet, la distinction fondatrice entre reproduction et représentation est impuissante à rendre compte du téléchargement, qui est à la fois l’un et l’autre de manière totalement imbriquée. Le téléchargement est une reproduction (d’un support électronique sur un autre), mais elle passe par une télédiffusion (un réseau), et la télédiffusion fait partie du droit de représentation. Comment arbitrer cette réalité ? Les autorités fiscales considèrent le téléchargement non pas comme une reproduction (qui ouvrirait droit à la TVA à taux réduit pour les livres) mais comme un service ; les autorités fiscales allemandes jugent le contraire…

Cette nouveauté fait imploser les catégories juridiques qui permettaient de réguler le droit d’auteur, et met à mal tous les contrats existants. Les juristes s’en sortent par une inflation de codicilles pour tenter de cerner une notion qui échappe au droit actuel, mais la valeur juridique de ces constructions contractuelles reste à prouver.

C’est précisément dans ce flou légal que Google prend place avec beaucoup d’audace. Faute de réponses juridiques claires à ces nouvelles problématiques et faute d’alternative robuste, il est possible que ses initiatives finissent par infléchir la conception actuelle du droit d’auteur. Les jurisprudences le diront, sinon les usages.

L’impossibilité d’un droit national

Les plateformes de publication (telles les blogs), les sites de partage de fichiers (MegaUpload, Hotfile et leurs concurrents) et les sites de lecture en flux (streaming) redessinent les usages culturels au niveau mondial. Or le droit de la propriété intellectuelle s’appuie sur le maillage des législations nationales, qui sont impuissantes à intervenir pour mettre un terme à la reproduction de masse des œuvres de l’esprit qui se déroule par delà toute frontière.

Les procès spectaculaires intentés dans certains pays contre quelques-uns des ces sites (Google aux États-Unis et en France, MegaUpload en Allemagne) ne concernent qu’une portion infime des reproductions illicites à travers le monde. Pire, ils durent beaucoup trop longtemps pour être une réponse adéquate à un phénomène aussi rapide. Le temps de juger ces infractions ici ou là, elles se seront répliquées ailleurs par de nouveaux procédés, qui nécessiteront une nouvelle jurisprudence.

Internet est trop vaste et fluide pour les tribunaux. La réponse juridique est inadaptée à la réalité ; leurs étendues ne sont plus commensurables. On n’arrête pas une inondation avec des joints d’étanchéité.

La matérialité des œuvres permettait de tenir le droit immatériel

Après avoir passé en revue plusieurs failles dans le dispositif du droit d’auteur tel qu’il a été conçu dans l’esprit des Lumières, il est temps d’en venir à ce qui a réellement changé et qui mine cette notion juridique.

Le droit d’auteur s’appuie sur un principe clé : il s’agit d’un droit incorporel, indépendant des supports matériels. Or il y a là un paradoxe. C’est le fait que les œuvres soient prises dans des objets matériels (livres, disques, tableaux…) qui permet de faire valoir ce droit incorporel. Aujourd’hui, grâce à la numérisation, les œuvres se libèrent des supports ; il n’est plus possible alors de protéger le droit d’auteur.

Dit autrement, le démembrement de la propriété d’un objet – entre sa possession et le droit de propriété incorporelle qui y est attaché – fonctionnait tant qu’il était purement théorique et abstrait. Maintenant que ce démembrement peut se réaliser, la propriété incorporelle en devient impuissante. Le droit d’auteur était une construction intellectuelle pure, il devient une notion caduque.

La numérisation fait apparaître la réalité du droit d’auteur. C’était la matérialité du support qui permettait de tenir l’œuvre et de l’affecter à un droit de propriété incorporelle. Avec l’informatique et la possibilité de copier à l’infini un fichier dans un temps infime, nul support n’est plus capable de contenir la diffusion des œuvres.

Or plus un droit de propriété concerne quelque chose de matériel (un objet, un terrain), plus il est évident à tous et aisé à faire respecter ; a contrario, plus la chose devient intangible (comme une part sociale), plus il lui faut l’appui de la loi pour en maintenir la propriété, mais il doit toujours rester des éléments physiques pour la manifester (comme la participation à l’assemblée générale pour les détenteurs de parts sociales). Quand ces signes tangibles s’estompent, le droit qu’ils représentaient tend à perdre sa réalité aussi. C’est ce qui arrive au droit d’auteur avec la numérisation des œuvres.

Aujourd’hui, les tribunaux sont la seule force pour faire respecter ce droit qu’aucune borne physique ne protège plus ; mais la démultiplication mondiale des copies par les réseaux rend impossible la traque des contrevenants. La propriété intellectuelle semble de plus en plus un abus de droit parce qu’elle était purement conventionnelle, que de moins en moins de personnes en acceptent la légitimité, et qu’elle tient désormais par la force contre les mœurs.

Au résultat, dans son principe, le droit d’auteur tel qu’il a été défini depuis le 18e siècle est devenu inadéquat et peu opérant, en fait un concept périmé.

La création des œuvres de l’esprit avant l’âge moderne

Si le droit d’auteur venait à disparaître, faut-il craindre la fin de la création intellectuelle, comme le redoutent et le clament les professionnels des industries de loisir ? La réponse à cette objection se trouve sans peine, puisque le droit de la propriété intellectuelle est récent. Il suffit de se reporter aux époques antérieures.

Dans le domaine des idées, comment Platon, Sénèque, Érasme, Descartes, Kant et tous les savants ont-ils produit leurs essais ? Dans le domaine des lettres, comment Homère, Euripide, Virgile, Chrétien de Troyes, Ronsard, Molière et tant d’autres ont-ils écrit leurs livres ?

Pour les idées, la plupart étaient professeurs, précepteurs ou bien encore conseillers des grands, et tiraient leurs revenus de ces activités. Pour les hommes de lettres, comme pour les compositeurs, leur rémunération venait des représentations pour les dramaturges et les musiciens, ou alors de mécènes qui accolaient leur nom aux œuvres qu’ils parrainaient. La création en fut-elle de moindre qualité ? De toute évidence, non.

Si on y regarde de plus près, on remarque que les revenus des auteurs provenaient non pas de la reproduction de leurs œuvres, mais de leur représentation auprès d’un public. Qu’il s’agisse des leçons d’un maître, des avis d’un conseiller, des pièces de théâtre ou des chansons d’un poète, on rémunérait l’auteur à sa prestation, et les écrits n’en étaient que la mémoire figée.

Les pratiques contemporaines commencent à rejoindre ces usages antiques : les musiciens vivent de leurs concerts et non plus de leurs disques, et de plus en plus d’acteurs de cinéma font des apparitions dans des publicités ou au théâtre. Une telle évolution n’est pas anodine.

Comment rémunérer la création ?

L’argument du financement de la création, qui est tant brandi par les défenseurs du droit d’auteur, doit être évalué à l’aune de ce qui revient effectivement aux créateurs. Dans les faits, 99,9 % des auteurs perçoivent des sommes dérisoires, sinon nulles, du fait de leurs publications.

La majorité des créateurs n’attend pas d’être payée pour écrire, composer, inventer. Ils le font selon un mouvement intérieur et tâchent ensuite d’en tirer le meilleur bénéfice, quand cela est possible.

Parallèlement, l’investissement consenti par un éditeur pour la publication d’un livre, ou par une maison de production pour un disque, est généralement faible ; le gros des frais va à la promotion, quand il y en a. Sauf pour les films, très rares sont les cas où la création d’une œuvre est tributaire d’une mise de fonds importante en amont.

D’autre part, cette mise de fonds ne nécessite pas le régime du droit d’auteur pour rentrer dans ses frais. Pour l’édition, le cas de la publication de textes anciens retrouvés en apporte la preuve. Pour le cinéma, la circulation abondante de vidéos pirates dès la sortie des films n’empêche pas leur rentabilisation non plus.

Ce qui doit être rémunéré, et qui peut l’être encore en dépit des reproductions de masse, c’est de donner au public un accès adapté et vivant aux œuvres. On retrouve ici la représentation, non plus comme un accessoire du droit d’auteur mais comme le pivot de l’activité intellectuelle. La raison en est simple : les pensées et les émotions se communiquent ainsi, par la rencontre des esprits.

Quels sont alors les modèles économiques disponibles ? Pour les savoirs, on l’a vu, la réponse existe. La rémunération peut se faire à la prestation : de conseil pour l’expert, d’enseignement pour le professeur, etc.

Pour la fiction, la question est plus délicate. La représentation in situ ne peut concerner que le théâtre. Le seul vrai modèle économique viable est le mécénat, comme ce fut longtemps le cas.

En réalité, le mécénat se pratique toujours, dans les films, les chansons et les jeux vidéo, et il commence à toucher le roman. Sa forme contemporaine est le placement de produits : l’apparition programmée d’un produit ou d’une marque dans une œuvre. C’est même une source importante de revenus pour l’industrie des loisirs. La publicité finance déjà la radio et la télévision, et, par ces médias, les œuvres qu’ils diffusent ; le placement de produits en est une approche plus subtile, qui permet à l’annonce d’intégrer l’œuvre et de circuler avec elle.

Les mécènes d’aujourd’hui ne sont plus les familles riches mais les annonceurs et les groupes de pression. Le mécénat est toujours le fait des puissants de l’époque ; seules les modalités de la puissance évoluent…

Dans cette configuration, le créateur serait rémunéré sous forme d’honoraires ou de salaire par le producteur ou l’éditeur ; et ce dernier n’aurait plus le monopole sur l’œuvre, mais uniquement la primeur. Une telle organisation modifierait assez peu les pratiques qui ont cours pour les créations ; elle supprimerait juste le monopole qui s’ensuit, donc les rentes de situation des industries de loisir et de quelques ayants-droits, très peu nombreux en fait. Ce faisant, elle obligerait même à davantage de créativité de la part de ces industries, afin de se maintenir dans la durée.

La créativité n’est pas menacée par le recul du régime de la propriété intellectuelle. Du droit d’auteur, seul le droit moral est vraiment important, au titre du respect dû aux personnes. Les droits patrimoniaux font de moins en moins sens, à mesure que la dématérialisation progresse. Rien ne sert de s’y accrocher à tout prix : le droit d’auteur était une invention juridique récente, il a fait son temps, il peut passer. L’esprit demeurera sans lui.

rédacteur : Guillaume DE LACOSTE LAREYMONDIE, Critique à nonfiction.fr. 

> Article initialement publié sur nonfiction.fr

> Illustrations CC par Giuli-O et 917press

]]>
http://owni.fr/2010/04/27/le-droit-dauteur-est-il-une-notion-perimee/feed/ 64