Les opérateurs ont prévu d’occuper durablement la bande WiFi, car ces fréquences libres leur offrent la possibilité de réaliser des économies substantielles. Dans le même temps, ils gardent le contrôle exclusif des fréquences GSM, 3G et 4G, payées à prix d’or, refusant, autant que les États, leur libre utilisation.
Le 15 septembre dernier, Orange, SFR, Bouygues Télecom et Free, déposaient leurs candidatures à l’ARCEP (Autorité de Régulation des Communications Electroniques et des Postes) pour l’achat de la première des deux fréquences 4G.
Certes la 4G sera plus performante sur Internet mais ne suffira pas à absorber un trafic mondial, qui doublera tous les ans jusqu’en 2015. Tenus à des obligations de qualité de service, et accrochés à leurs rentes, ils doivent rapidement trouver des solutions de repli.
Sébastien Crozier, élu CFE CGC Orange-France Télécom, confirme :
Le pire ennemi pour les opérateurs mobile c’est Internet. Les smartphones on fait exploser le trafic data [internet sur mobile]. Pour tenir le choc, nous devons nous délester sur des technologies de type WiFi.
Une solution avantageuse pour les opérateurs. Elle ne nécessite pas d’investissements dans de nouvelles infrastructures. Le réseau WiFi est déjà déployé sur les box Adsl de millions d’utilisateurs de l’Internet fixe, les hotspots en ville, les réseaux municipaux, commerçants, associatifs. “Les opérateurs se sont très vite inspirés de ces réseaux alternatifs au début des années 2000, raconte Laurent Guerby du réseau associatif toulousain Tetaneutral, en créant eux aussi des hotspots et en intégrant le WiFi sur leurs box”.
Jusque-là, faire fonctionner les réseaux de façon centralisée avec un point de passage obligé – l’antenne relai – a permis aux opérateurs de contrôler tout le trafic cellulaire et maximiser leurs profits. En bons net-goinfres, ils ne veulent pas ré-investir dans le réseau 3G saturé et vont utiliser les fréquences libres et les technologies sans fils qui assureront leur avenir à moindres frais. Dans le même temps, la croissance exponentielle du trafic, va leur apporter des revenus colossaux : l’internet de demain sera mobile, avec les deux tiers du trafic en vidéo et 7 milliards de terminaux mobiles prévus pour 2015. Ils vont même plus loin, comme l’explique Sébastien Crozier :
Que voulez-vous qu’on fasse ? Si nous ne pouvons pas répartir le trafic sur les bandes de fréquences WiFi nous seront obligés de filtrer les contenus sur l’internet mobile pour mieux gérer les volumes de data sur le réseau. Et adieu la neutralité du Net !
Leur utilisation du WiFi permettrait donc de préserver… la neutralité du Net. “Le filtrage ne leur permettait de gagner que 10% de capacité sur 4 mois. Nous leur disions depuis trois ans que la seule solution à long terme était l’investissement, explique Benjamin Bayart, président du FAI associatif French Data Network (FDN). Or ils ne veulent pas redimensionner le réseau GSM/3G qui leur coûterait des milliards et le WiFi reste leur meilleur plan. Si cela se dénoue comme ça, ce n’est pas si mal pour les réseaux.”
Chez Orange ou Free, on l’admet sans détour :
Nous n’avons aucun droit sur les fréquences WiFi
Comprendre : nous avons autant de droits que les autres mais pas de droits exclusifs comme sur les fréquences des technologies 3G et 4G. Car n’importe qui peut utiliser les bandes de fréquence WiFi, de manière libre, gratuite. L’ironie, c’est que ces petites “junk band”, laissées libres et gratuites par les États depuis une vingtaines d’années, vont littéralement sauver les opérateurs qui vont intégrer durablement ces technologies sans fils alternatives à leurs réseaux. La candidature de Free à l’Arcep en 2009 [pdf], révélait déjà cette orientation, avec l’utilisation du réseau WiFi et de femtocellules sur les box. Une belle manière de tirer parti d’un bien commun dans le but de préserver leurs rentes.
L’utilisation commerciale des bandes de fréquences libres n’est donc pas interdite, mais leur exploitation par les poids lourds de la téléphonie mobile sera quelque peu délicate à faire passer sans compromis. Partout dans le monde, des réseaux alternatifs, des administrations ou des commerçants, proposent depuis dix ans des espaces de communication libres et gratuits. Des entrepreneurs, des chercheurs, des hackers innovent sans cesse sur les technologies WiFi qui représentent un marché dynamique composé de modèles économiques variés et souvent porteurs de valeurs universelles. Et des clients de voiP comme Skype ou Fring permettent déjà de communiquer gratuitement ou à très faibles coûts en se passant des opérateurs.
“Il existe déjà une solution simple à mettre en place pour les contourner : libérer les points d’accès WiFi, explique Benjamin Bayart. Il suffirait d’enlever tous les mots de passe et identifiants, la bande passante serait vraiment accessible partout. Cela permettrait de passer des appels en local avec un client de voIP, en restant dans un lieu fixe. Le souci, vous diront-ils, c’est que c’est incompatible avec Hadopi par exemple.” Ou les lois sécuritaires votées en 2006. Des opérateurs qui n’hésitent pas à s’abriter derrière la loi quand leur modèle économique est menacé.
Le cabinet finlandais Notava, expert en “data offloading”, notait en 2010 dans son étude sur la croissance du trafic Internet sur mobile :
Les opérateurs qui n’adoptent pas la technologie WiFi, perdront le contrôle d’une part importante du trafic data mobile et des revenus qui y sont attachés.
Si les opérateurs squattent les fréquences libres, ce n’est pas pour sauver la neutralité du net mais assurer leur avenir et conserver leur monopole. En attendant, la société civile se voit refuser l’utilisation libre de l’ensemble des fréquences du spectre radio, et proposer des offres forfaitaires toujours aussi élevées sur les mobiles…
“Si nous étions dans une situation de libre concurrence, ajoute Benjamin Bayart, on pourrait imaginer une baisse de prix. Or ce n’est pas le cas actuellement. Sauf si un quatrième opérateur venait changer les règles du jeu en cassant les prix pour cette raison là.”
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