On apprend que le concept de “fanfic” est déjà ancien, les premiers exemples remontant aux années 60, autour de séries telles que “Des Agents très spéciaux” ou “Star Trek”. Mais c’est une fois de plus le Web 2.0 qui a catalysé ces nouvelles pratiques littéraires en simplifiant à la fois l’écriture et l’échange de textes.
Ce que je trouve impressionnant, c’est la liberté avec laquelle les fans pourtant dévoués peuvent recomposer les intrigues, dévoyer les personnages, voire remettre en cause la logique même des œuvres d’origine (je vous passe les détails mais les sous- et sous-sous-genres [en] de la fanfic peuvent aller très loin). Une démarche de réécriture en profondeur, qui va au-delà de l’hommage ou du pastiche et ressemble davantage à du “proto-remix”.
Car, si depuis Barthes l’auteur était “mort” au nom de la pluralité des interprétations, il restait la seule source de création littéraire. Un privilège qui lui échappe désormais avec la fan fiction, dont le caractère collaboratif et démocratique le transforme en simple géniteur contraint de partager la garde de ses enfants avec la communauté. Ce qui pose évidemment des problèmes de droits d’auteurs, aussi bien financier que moraux. Cependant, Lev Grossman (qui signe le reportage de Time) nous rappelle -et à juste titre- que le concept-même de droit d’auteur demeure très récent et pourrait évoluer à moyen/long terme vers plus de flexibilité.
En attendant, les stars de l’édition divergent sur l’attitude à adopter face à la fan fiction. Certains y voient un viol pur et simple de leur art, là où d’autres, comme J.K.Rowling notamment, l’encouragent. L’écrivain écossaise aurait semble-t-il prévu une section fanfic au sein de Pottermore [en], le portail officiel qui ouvrira en octobre prochain (cela dit, pas sûr qu’on y retrouve du slash…). C’est que, malgré ses bizzareries, la fanfic revient à de la promo gratuite, de la publicité à l’œil, des earned media quoi…
Néanmoins, je pense que dans le cas de Rowling, refuser la fanfic serait carrément un paradoxe, tant l’heptalogie Harry Potter est elle-même le fruit d’innombrables mélanges mythologiques, littéraires et stylistiques. On y retrouve en effet les archétypes et structures de tout grand récit qui se respecte, couplés avec des éléments empruntés au folklore et au cinéma. Sans oublier de troublants parallèles avec notre propre Histoire et le fait que l’action se déroule en parallèle du “monde réel”, et non dans quelque univers isolé dans le temps et l’espace… Véritable méta-récit, “Harry Potter” est en quelque sorte la grande saga de la génération remix. Une saga vouée à se poursuivre sous la plume de ses lecteurs devenus auteurs.
Illustration CC FlickR par Beacon Radio
]]>Dans UFO, la terre de 1980 doit se défendre contre une menace extra-terrestre : des vaisseaux spatiaux inamicaux visitent régulièrement la planète bleue et n’hésitent pas à détruire les centres de recherches dont les découvertes pourraient menacer leurs plans, ou à tuer des humains pour leur voler des organes, dans le but probable d’adapter leurs propres organismes aux conditions de vie terrestre. L’existence des extra-terrestres et leur hostilité sont cachés au public, c’est pourquoi le SHADO (Supreme Headquarters, Aliens Defence Organisation), organisation secrète de défense de la terre, a son quartier général dans un studio de cinéma et est dirigé par Edward Straker, un ancien militaire américain qui se fait passer pour un producteur de cinéma. Lorsqu’il appuie sur un bouton, son bureau apparemment normal s’enfonce sous terre où il peut rejoindre son équipe. Jolie mise en abyme : des producteurs de films de science-fiction racontent l’histoire d’une organisation future qui combat des extra-terrestres sous le masque de la production cinématographique. Dans le second épisode de la série, le studio Harlington-Straker emploie même son expertise en effets spéciaux non pour fabriquer de la fiction, mais pour supprimer toute preuve de l’existence d’une menace extra-terrestre sur des films et des photographies réalisés par deux pilotes d’essai.
Le SHADO opère dans l’espace, sur la lune, sur terre, dans les airs et sous les mers. Chaque section a sa propre base d’opérations, son personnel, son fonctionnement, et même son esthétique. Sur la lune, par exemple, les femmes portent toutes des ensembles argentés, des perruques violettes et un maquillage à la truelle qui leur donne l’air d’être des poupées.
Les scénarios de UFO ne sont pas formidables, on peut les comparer à ceux de Thunderbirds : une alerte est déclenchée, il faut détruire les extra-terrestres, les forces du SHADO se mettent en branle, chaque corps d’armée tente quelque chose, ça rate, mais heureusement, in extremis, le dernier arrivé parvient à envoyer le bon missile au bon moment. Boum ! Certaines intrigues sont complètement invraisemblables et tirées par les cheveux. De nombreux thèmes perturbants (lavage de cerveau, contrôle mental, prélèvement d’organes,…) sont évoqués, mais le spectateur ne se sent jamais vraiment inquiet, nous sommes loin des sentiments paranoïaques suscités trois ans plus tôt par Les Envahisseurs ou Le Prisonnier.
Comme dans leurs autres séries, les Anderson ne se gênent pas pour réemployer les mêmes séquences : décollage d’un engin, arrivé en voiture dans le studio, départ des pilotes, etc. Je me rappelle que, enfant, je prenais un certain plaisir à identifier les séquences redondantes dans Cosmos 1999 ou les Thunderbirds. Cette cinématographie économique est tout de même un peu lassante à la longue et donne l’impression d’une série extrêmement répétitive.
Ce qui frappe, par contre, c’est l’ambiance visuelle de la série. Manifestement inspirés par 2001 : L’Odyssée de l’espace, les producteurs mélangent les véhicules-jouets et les uniformes de Thunderbirds à du design sixties-seventies futuriste où les meubles sont faits de plastique moulé oranges et où les costumes (tous dus à Sylvia Anderson) sont très variés. L’aspect général, tout en la préfigurant, est assez éloignée de la forme plutôt pure de Cosmos 1999. Entre autres détails, on remarque de nombreuses œuvres d’art qui rappellent l’art cinétique ou cybernétique — derrière le bureau de Straker on voit par exemple un tableau animé qui rappelle le Mur lumière ou le Lumino de Nicolas Schöffer.
Le monde de 1980, vu par Gerry et Sylvia Anderson, est un monde plus ou moins pacifié , où, comme dans Star Trek, les questions de conflits raciaux appartiennent à l’histoire ancienne et où les femmes sont prises au sérieux (comme militaires ou comme scientifiques, par exemple) tout en ayant le droit de s’apprêter avec soin et de montrer leurs jambes — possibilité qui s’avère fortement exploitée par le scénario. On notera entre autres, dans le premier épisode, une séquence pendant laquelle la charmante Gay Ellis s’habille derrière un miroir sans tain, tandis qu’un de ses collègues — qui ne peut la voir, mais nous ne le comprenons pas instantanément — lui parle.
Certains éléments de prospective technologique sont assez pertinents et s’intègrent avec un grand naturel dans l’univers de la série : la visio-conférence, les téléphones sans fil ou encore les téléphones portatifs (téléphone montre, par exemple).
Parmi les choses finalement bien vues dans UFO, il y a l’omniprésence des ordinateurs. Il s’agit pour l’essentiel de mini-ordinateurs équipés de lecteurs de bandes magnétiques et de boutons clignotant dans tous les sens, selon une esthétique installée depuis le milieu des années 1950 . On voit aussi de nombreux postes d’observation-radar semblables à ceux du projet Whirlwind de l’armée de l’air américaine. Des écrans affichent des messages en gros caractères, mais servent aussi à montrer des animations abstraites semblables à celles de John Whitney pour Westworld (1973). On les distingue mal mais cette utilisation décorative de l’affichage informatique, qui nous évoque anachroniquement les économiseurs d’écran inventés bien plus tard et qui s’inspire des osciloscopes, est d’une grande nouveauté pour l’époque.
Dans UFO, on trouve aussi un ordinateur autonome, SID (Space Intruder Detector), un satellite artificiel vide de toute présence humaine qui passe son temps à guetter l’arrivée de nouveaux objets volants extra-terrestres et à signaler leur activité. L’intérieur du satellite est composé de murs colorés. Lorsque l’ordinateur envoie un message, c’est avec une voix humaine dénuée d’affect.
Cet ordinateur, qu’on ne peut pas vraiment qualifier d’intelligence artificielle (ses messages obéissent à un protocole assez strict), est sans aucun doute inspiré par HAL 9000 (voix neutre, panneaux colorés qui rappellent la pièce où se trouvent les mémoires de HAL dans 2001), mais il semble « psycho-robotiquement » plus solide.
Dans UFO, l’ordinateur n’est pas utilisé que pour des raisons de tactique militaire, il sert aussi à analyser la personnalité humaine afin de vérifier l’état psychologique de chacun des quatre cent employés du SHADO. Dans l’épisode Computer Affair, par exemple, les tests réalisés par le psychologue sont analysés par un ordinateur qui conclut que le lieutenant Gay Ellis et le pilote Mark Bradley peinent à travailler efficacement ensemble car ils sont, sans se l’être avoué, mutuellement amoureux.
On notera qu’Ellis est « blanche » et que Bradley est « noir », ce qui rend leur Idylle plutôt inhabituelle pour la télévision de l’époque.
Même si quatre cent personnes sont censées travailler pour le SHADO, la distribution tourne avec un nombre de personnages redondants assez réduit : Le commandant Straker (Ed Bishop), chef autoritaire qui ne jure que par la logique et n’a pas peur de faire des sacrifices ; le robuste colonel Alec Freeman, ami et conseiller du précédent, qui est en quelque sorte la part d’humanité de Straker et est capable d’envolées lyriques telles que « je me moque de ce qu’en dit l’ordinateur » ; le colonel Paul Foster (Michael Billington), homme d’action recruté au second épisode ; le lieutenant Ellis (Gabrielle Drake), qui dirige la base lunaire ; le capitaine Peter Carlin (Peter Gordeno), qui commande le sous-marin Skydiver et pilote son avion — pour la petite histoire, l’acteur est à présent musicien et accompagne les tournées du groupe Depeche Mode. Parmi les autres acteurs de la série, on note Vladek Sheybal, qui apparaît dans une dizaine d’épisodes dans le rôle du psychiatre Jackson et dont la physionomie slave a connu un certain succès dans le cinéma d’espionnage puisqu’il a joué dans Bons baisers de Russie, Casino Royale, Billion Dollar Brain ou encore dans des séries telles que Le Saint ou Destination: danger.
À ce jour je n’ai pas eu le courage de regarder l’intégralité des vingt-six épisodes de la série, qui n’a ni l’ambiance cérébrale et désespérée ni les excellents acteurs de Cosmos 1999, série qui concrétise avec une certaine rigueur certaines pistes engagées dans UFO. Même la musique, composée par Barry Gray, semble être une ébauche de celle de Cosmos 1999.
UFO synthétise un certain air du temps mais conserve la naïveté des productions pour enfants que Gerry et Sylvia Anderson ont réalisé pendant la décennie précédente. On comprend que la série n’ait eu qu’une saison, mais il n’en est pas moins distrayant d’en visionner un épisode de temps en temps.