Disponible et curieuse, Violet Blue a accepté de répondre longuement à mes questions pour la soucoupe, dont voici un (trop court) résumé.
Quel est le principe de l’Open source sex ? D’où vient cette idée ?
Je suis de San Francisco, je baigne donc dans l’univers technologique mais aussi dans la contre-culture de la cote Ouest, où la liberté sexuelle a un sens tout particulier. Le rapprochement des deux univers me paraît naturel pour peu qu’on regarde à travers le prisme des problématiques et des réponses pratiques.
Au cœur de la sexualité et de la technologie, il y a des enjeux communs comme le mystère, la peur de la technique, la honte de ne pas savoir, l’expérience et la pratique régulière ou occasionnelle, mais aussi l’accès aux informations et aux outils de compréhension.
Une fois que l’on a établi ces parallèles, ce qui fonctionne pour la technologie doit pouvoir fonctionner pour le sexe. Certaines problématiques comme la monétisation (prostitution, porn business), l’évangélisation, ou l’ouverture de la technique au grand public sont tout à fait actuelles pour les deux sujets.
Comment devient-on une sexologue médiatisée, écoutée et respectée ?
L’exercice est toujours un peu périlleux mais il y a quelques règles de base à suivre pour rester crédible, protéger sa vie intime et continuer à porter un discours clair. Finalement ça tient en peu de choses : ne pas juger, ne pas se présenter comme un exemple, dépassionner, prévenir des risques à tous les niveaux (santé, émotions, famille, réputation personnelle), être descriptif et non prescriptif, et répéter aux gens qu’il n’y a rien d’anormal à partir du moment où il s’agit de choix de personnes conscientes, adultes et responsables.
Je m’occupe d’une hotline (rire) qui vient en aide à des personnes qui se posent des questions, et je dois me montrer à l’écoute avant de parler. Analyser les besoins doit intervenir avant le conseil lui-même. Il faut illustrer les choses avec des exemples, mettre la “mécanique” au second plan.
Je donne les outils, j’explique enjeux et usages, après c’est à chacun de s’amuser et de faire ses propres expériences. Je suis un peu comme un service qui propose une API du sexe à des développeurs, avec comme leitmotiv un classique de la culture informatique et punk : do it yourself. C’est en quelque sorte du hacking : bidouillez, explorez des choses imprévues, mais évaluez les risques et prenez vos responsabilités.
Vous avez pourtant des opposants très déterminés, que vous reprochent-ils ?
Qu’il s’agisse de ligues familiales, de mouvements religieux de type new-born christian, d’associations prônant l’abstinence ou de conservateurs plus traditionnels, ils font l’amalgame entre pornographie et éducation ce qui est particulièrement dangereux. Maintenir les gens dans l’ignorance, c’est garder un pouvoir sur eux et surtout générer une forme de frustration pour vendre des béquilles aux blessés de la vie ou aux gens fragilisés à un moment donné.
Le problème c’est qu’ils dissocient, parce que ça fait partie de la tradition occidentale depuis longtemps, le corps et l’esprit. Je suis désolée, mais le software ne peut exister sans un bon hardware, et il faut en prendre soin ! Mon rôle est de faciliter le rapprochement des deux en prenant le parti de l’expérience personnelle. Je rappelle qu’il faut prendre des précautions : safe sex, ne pas piéger et ne pas se faire piéger, gérer ses émotions, parler à son partenaire avant de lui faire une surprise trop importante (chérie, devine qui vient avec nous dans notre lit ce soir ?), ne pas avoir peur de faire marche arrière et de dire stop, ne pas maltraiter son corps, dire si quelque chose ne convient pas et parler si cela a été traumatisant.
Vous êtes attaquée personnellement ? Comment réagissez-vous ?
Le fait d’intervenir régulièrement dans les médias, par exemple dans des tribunes pour le San Francisco Chronicle ou à la radio, fait de moi une cible de choix. Je reçois un courrier abondant, parfois aussi des menaces de mort. Surtout, je fédère des inimitiés de la part de groupes qui deviennent des alliés objectifs, par exemple les ligues féministes m’en veulent autant que les groupes religieux et s’associent parfois à eux parce que je ne m’inscris pas dans leur rejet frénétique de la femme-objet. Les gays de San Francisco ne comprennent pas que je m’insurge contre leur pression à l’encontre des bisexuel. Ils leur intiment l’ordre de choisir leur camp, on croit rêver !
Je suis souvent calomniée ou interprétée, dans le mauvais sens bien entendu. Quand je parle du “sexe positif“, les gens entendent “la porte ouvert à tout et n’importe quoi“. Face à tout cela, il n’y a qu’une ligne qui tienne : les faits, les données, les exemples non personnels, la constance, et aussi une petite dose de paranoïa pour protéger efficacement sa vie privée. Heureusement, je suis souvent soutenue par les éditeurs, ce qui est souvent un bon signe (sourire).
Vous parlez des féministes avec distance, vous ne vous sentez pas proche d’elles ?
Pas du tout ! Elles s’entredéchirent pour des prises de position qui sont légèrement différentes, le mouvement est morcelé et s’est aussi énormément radicalisé. Pour faire un parallèle, elles sont dans le logiciel et non dans le processus. Elles se disent de la première vague, ou de la troisième, la cinquième… avec des querelles de clocher sans fin, un peu comme ceux qui préfèrent la version 1.5 à la version 3.2.
Mais la vie est un processus évolutif, en temps réel ! Je me sens bien plus près de l’Electronic Fronteer Foundation (une association de protection des libertés numériques), avec laquelle je collabore, que des féministes. Leur combat est un combat d’arrière-garde largement mythifié sur certains plans comme la femme-objet. Surtout, elles sont aussi contestables dans leurs amalgames que les ligues pour l’abstinence. Elles souhaitent par exemple criminaliser la pornographie en s’appuyant sur des récits d’anciennes actrices X qui ont affirmé (puis se sont rétractées) avoir été contraintes de tourner après avoir pris de la drogue. C’est ridicule.
Le sexe est encore un tabou très fort et source de débats très virulents aux Etats-Unis, le web libère-t-il la parole ?
En un sens oui parce que l’anonymat favorise l’échange sous forme de questions ouvertes et secrètes à la fois, mais le tabou est à différents niveaux et révèle des tabous plus profonds dans la société américaine. Le marketing de l’industrie pornographique est un signe intéressant à analyser : parler de “sexe interracial”, par exemple.
Je suis plutôt nominaliste, alors je ne comprend pas quand une amie me dit : “ce soir je coucherai avec mon premier partenaire noir”. Il reste sans doute des traces dans l’inconscient collectif qui datent de l’époque de la ségrégation, ce qui donne un goût d’interdit à quelque chose pourtant simple : deux personnes vivent quelque chose ensemble.
Pour prendre un exemple plus large de rejet mental, presque partout dans le monde les transsexuels sont perçus comme des être étranges alors que dans certaines cultures, dans certaines région du Mexique ou en Thaïlande, le troisième sexe fait partie de la société sans jugement moral. L’âme et le corps ne coïncident pas, alors la personne s’adapte et adopte un corps plus en harmonie avec son esprit.
Voilà le sens de mon approche : parler, expliquer, laisser les gens décider, ne pas juger.
Comment se fait-il que dans la culture populaire américaine, la France soit autant objet de fantasmes sur notre rapport à la sexualité ?
Il y a un rapport de répulsion et d’admiration à la fois, c’est sûr. Vous nous avez apporté des choses étonnantes comme Sade, le ménage à trois (en français dans le texte), l’esprit libertin, la soubrette, et le chic à la française. En tout cas nous avons une représentation très romantique et pleine d’allure, de panache et d’érotisme autour de votre hédonisme, qui lui est attesté. Nous envions vos vacances, votre gastronomie, votre patrimoine historique et touristique, vos discussion, les déjeuners tardifs avec des croissants, le vin… Tout cela rend le stéréotype du mode de vie français particulièrement attractif par le mélange d’intellect et de mystère.
Pour prendre un exemple évident, vos présidents ont des mœurs bien plus libérées que les nôtres, par exemple, et ça ne choque pas autant. Bill Clinton a dû s’excuser platement et publiquement, même si Hillary l’a soutenu.
Savez-vous pourquoi il n’y a quasiment pas de blogs d’hommes hétérosexuels parlant de leur sexualité à la première personne ?
C’est une question que je me pose souvent. Il y a en effet des blogs gays, des blogs de sexologues masculins, et parfois de temps en temps des blogs anonymes qui apparaissent et disparaissent très vite. Ces derniers ressemblent à des exutoires ou bien à compétitions façon tableaux de chasse ou concours de lieux, mais il n’y a pas de suivi et très peu d’engagement avec l’audience dans les commentaires.
Je crois que les hommes hétéros se protègent pour ne pas montrer leurs faiblesses, les émotions qu’ils ressentent, leur empathie. Ils intériorisent et ne montrent à l’extérieur que l’aspect compétition et performance. Tout ce qui ne correspond pas au stéréotype traditionnel du “mâle” est perçu comme autre chose qu’un homme. Entendre par là, un” sous-homme”, une “tafiole”, une “gonzesse”… C’est tout ou rien, il faut remplir toutes les conditions.
Je trouve cela dommage car c’est le genre d’écrits que j’aimerai bien lire !
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