[Télécoms] Un paquet de bons sentiments
Le "Paquet Télécom", textes sur les télécommunications en Europe, est transposé dans la loi française. Sur le papier, le régulateur du secteur en ressort renforcé. Dans la réalité, bien moins.
Le ministère de l’Industrie, en charge de l’économie numérique, veut faire de l’Arcep, l’autorité administrative indépendante de régulation des communications électroniques et des postes en France, un super gardien du réseau français. Rendre ce régulateur plus indépendant, plus dissuasif, et à même de “garantir la neutralité des réseaux”: tels sont les objectifs décrits au Président de la République, et poursuivis dans une nouvelle ordonnance, publiée vendredi dernier au Journal officiel.
Le texte inscrit dans le droit français un ensemble de directives européennes, appelé “Paquet Telecom“, sur le monde des télécommunications. Sa publication survient quelques jours après le tollé provoqué par un document de la Fédération Française des Télécoms (FFT), envisageant de mettre fin aux forfaits Internet fixe illimités et révélés sur OWNI. Si l’Industrie se défend de tout lien de cause à effet entre cette affaire et la sortie de l’ordonnance, elle tombe néanmoins à pic. Éric Besson, ministre en charge du dossier, s’était ému du projet de la FFT, déclarant vouloir “encadrer l’utilisation du terme “illimité” par les opérateurs, afin de protéger les consommateurs contre certains abus”, sans donner plus de détails sur le modus operandi envisagé. En donnant les moyens à l’Arcep de mieux réguler les opérateurs et de prévenir toute atteinte à la neutralité, ce texte pourrait bien apporter des solutions pour éviter ce genre d’incartades surprises. Du moins sur le papier. Car à y regarder de plus près, les nouvelles attributions de l’Autorité sont au mieux encore à définir, au pire inconsistantes.
Opérateurs: de “l’Internet”, sans Internet, mais expliqué à tous !
A la lecture de l’ordonnance, on apprend que l’Arcep est en charge d’assurer à l’utilisateur l’accès à un Internet neutre (art.3) et d’imposer des “exigences minimales de qualité de service” afin ‘”de prévenir la dégradation du service et l’obstruction ou le ralentissement du trafic sur les réseaux” (art.16). Elle peut aussi recueillir davantage d’informations auprès des acteurs du net (art.4) et détient un pouvoir de sanction sur les opérateurs (art.18). Un bouquet de compétences élargies, jugé satisfaisant par le régulateur qui a émis un “avis favorable” sur le projet [PDF]. Mais qui ne résiste pourtant pas à l’analyse.
Ainsi l’article 3, apportant modification à l’article L.32-1 du Code des postes et des communications électroniques, autorise l’Arcep à “favoriser la capacité des utilisateurs finals à accéder à l’information et à en diffuser ainsi qu’à accéder aux applications et services de leur choix”. Cela signe-t-il la mort des forfaits Internet dits “illimités” que proposent les opérateurs sur mobile, et qui excluent précisément l’accès à certains services du réseau (comme la VoIP, le P2P et les newsgroup)? “Bonne question”, répond-on dans un sourire du côté de l’Autorité, qui ne se risque pas à interpréter plus avant ce nouvel outil.
Par ailleurs, si les opérateurs se voient échoir un certain nombre d’obligations, dont l’installation d’un “médiateur impartial et compétent” (art.36), sorte d’hyper service client, ils sont uniquement tenus de fournir des informations sur leurs offres (art.33), concernant notamment “leur niveau de qualité”, “le service offert”, “le détail des tarifs pratiqués”, les mesures de gestion de trafic, ou bien encore les “les restrictions de l’accès à des services et à leur utilisation”.
Un véritable progrès pour des contrats peu lisibles, mais qui ne va pas dans le sens d’une protection stricte de la neutralité, requise par certaines associations de consommateurs et éditeurs de contenu. Ces derniers prônent l’abandon pur et simple des restrictions, en particulier sur mobile, pour tout forfait désigné comme une “offre Internet”, afin que celui-ci renvoie à un accès réellement illimité au réseau. Ici, on demande aux opérateurs de garder la dénomination “Internet”, tout en précisant qu’il ne s’agit pas vraiment d’Internet. A noter que cette orientation va dans le sens des opérateurs, qui préconisaient dans le document de travail de la FFT révélé par OWNI, de:
conserver les termes “Internet mobile” ou “Internet 3G” et d’afficher plus clairement les exclusions pratiquées. Il est en effet plus compréhensible pour un consommateur de préciser les exclusions, que d’adopter un autre terme potentiellement moins clair. Le terme “Internet” reste d’ailleurs le plus parlant pour le consommateur et le plus représentatif de l’offre fournie”
(p.1)
Lever l’opacité du réseau, le “gros boulot” de l’Arcep
D’un point de vue plus technique, l’Arcep se voit aussi attribuer la possibilité de mettre son nez dans les tuyaux du réseau. Elle peut ainsi demander aux “personnes fournissant des services de communication au public en ligne” des “informations ou documents concernant les conditions techniques et tarifaires d’acheminement du trafic appliquées à leurs services” (art.4).
Plus encore, elle a désormais l’autorité de régler les différends portant sur “les conditions réciproques techniques et tarifaires d’acheminement du trafic entre un opérateur et une entreprise fournissant des services de communication au public en ligne” (art. 17-5).
Le pouvoir de l’Arcep s’étend donc à de nouveaux acteurs du net. Reste à savoir lesquels. Une chose est sûre, les fournisseurs de contenu, les Google, Facebook et autres, entrent dans la boucle. Mais le reste ? Car entre les sites, en amont, et les opérateurs, en aval, existe tout un écosystème qui grouille d’acteurs (CDN, opérateurs de transit, hébergeurs…), monétisant précisément le trafic Internet. Agissant en intermédiaires, dans les entrailles du réseau, ils sont peu connus du grand public. Pourtant, ils participent pleinement à son économie, et influencent la façon dont les données parviennent à l’utilisateur final. Un enjeu financier éminemment stratégique. Autant dire que si l’Arcep veut savoir qui paye quoi et à qui pour qu’une vidéo YouTube arrive chez l’abonné, sans pour autant pouvoir faire pression sur ces intermédiaires, ses informations seront plus que lacunaires. Difficile dans ces conditions, de savoir si l’Internet est neutre. Et donc d’accomplir pleinement les missions attribuées par le texte.
En l’espèce, le droit ne nous vient pas en aide. Selon Benoit Tabaka, responsable juridique et réglementaire de PriceMinister, la notion de “fournisseur de services de communication au public en ligne” est un monstre juridique. Elle hybride le concept de “services de communication au public en ligne” (dont le principe est défini dans la LCEN) et celui de “fournisseurs de services de communication électronique” (Code des postes et des communications électroniques, L-32). En clair: la définition reste à faire.
Un flou qui s’ajoute à l’opacité du réseau Internet, dont les conditions d’accès et d’interconnexions entre acteurs sont qualifiées “d’obscures” par l’Arcep. L’autorité, qui travaille à clarifier ce marché, n’est donc pas aidé dans sa tache, qu’elle estime déjà “très difficile”.
Pour protéger la neutralité, l’Arcep devra donc redoubler d’efforts, tant dans l’interprétation de ses nouvelles compétences que dans leur mise en œuvre. Suite à l’affaire FFT, l’Autorité justifiait son silence à OWNI en expliquant que “les opérateurs font les offres qu’ils souhaitent”.
Premier trimestre 2012, elle devra rendre un rapport au gouvernement et au Parlement sur la qualité de service de l’accès à Internet, la situation des marchés d’interconnexion, ainsi que les pratiques de gestion de trafic des opérateurs. Et devra donc se montrer plus offensive. Car pour obtenir une photographie fidèle du réseau français, ni Orange, Bouygues, Free, SFR et consors, ni Google, Facebook et cie, ouvriront aisément leurs portes, leurs infrastructures, et leurs comptes.
Illustrations CC FlickR: Steven de polo, Horia Varlan
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